Alphabet City : Haro sur le scénario
Statu quo ou blanco. Pensum à la page
ou livre d’images.
Tu veux filmer ? Écris d’abord.
La contradiction n’étonne personne. Voici l’ordre des choses, qui point
n’indispose. Les esclaves savourent leurs entraves. L’aléatoire liberté les
effraie. Au cinéma, au-delà, en-deçà, soumets-toi. Conforme-toi au chloroforme.
Ne nage pas vers le large, au courage du naufrage. La marge, les
subventionneurs que tu t’épuises à séduire la maudissent. Tu agirais de même,
pense une seconde aux dettes, aux remboursements, aux enjeux, malheureux.
Soucie-toi de ta réputation dans le milieu, surtout si tu aspires à le
pénétrer. La profession des professionnels, famille consanguine, se fout des
amateurs, néglige que l’amateurisme découle, merci à l’étymologie, de l’amour.
Welles, technicien sur le tas de Toland, maître magistral du train immobile,
défendait pourtant cette fraîcheur de l’approche. Ne lis pas ce que je n’écris
pas : il ne saurait s’agir de minorer le rôle du scénariste et je sais
bien tout ce que doit Citizen Kane à Herman J. Mankiewicz,
pas besoin d’une pitoyable Pauline Kael pour me le rappeler. À quoi ressemblait
Sueurs
froides before l’arrivée de
Samuel Taylor ? À pas grand-chose, si l’on en croit James Stewart. Et 2001,
l’Odyssée de l’espace expose en partie la prose d’Arthur C. Clarke
dans sa poésie métaphysique, voire psychédélique. Trois titres, trois
décennies, auxquels rajouter, prolongeons la perspective méta, étasunienne, le tandem seventies des William, Friedkin & Peter Blatty selon L’Exorciste.
Avant, après, pour les décades précédentes ou suivantes, je te laisse te
souvenir, découvrir, je te renvoie vers mon petit portrait de Charles Spaak,
collaborateur de Duvivier ou Renoir. En vérité, la question de l’auteur,
marronnier franco-français, m’intéresse autant que celle de l’adaptation
littéraire.
Le cinéma, pardonne-moi ce truisme,
procède du parasitisme, il se nourrit à tous les râteliers, il transforme des
romans, du théâtre, musical ou non, il implique la musique et parfois la
peinture, il ne méconnaît pas l’architecture, la sculpture, la danse. Alliance
sacrée, dépassée, au ciné, de tous les arts que tu sais énumérer. Cependant, de
même que la réalisation excède la mise en scène, le métrage s’émancipe du
scénario. Il le devrait, il l’ose rarement, pour les raisons esquissées supra. La situation se complique puisque
la poétique participe du politique, n’en déplaise aux esthètes, aux
nostalgiques, aux naïfs, aux aveugles volontaires. Quand j’emploie ce mot, je
désigne la vie au sein de la Cité, je me fiche des financements bien-pensants
de chaîne franco-allemande classée culturelle, où l’on se permet de papoter à propos de
la pauvreté hexagonale en costard, à Cannes, sur un yacht autarcique. Les partis, les a priori, les prés carrés, les syndicats de privilégiés,
l’œcuménisme, l’humanisme, la citoyenneté à la sauce socialiste, l’engagement
de Monsieur Vincent Lindon et ses égaux, je les laisse à ceux qui se la jouent
Jean Jaurès du seizième arrondissement parisien, à tout le ramassis des beaux
esprits en ligne, anonyme, qui pratique le sermon, la coercition, la délation.
Ne crois pas que je m’égare, que je me disperse à la manière de Michel Audiard, façon puzzle des Tontons flingueurs. Le
scénario, sa conception, sa rédaction, son utilisation, sa justification, tout
s’inscrit dans le champ social, tout interroge le récit sociétal. Les
structures, narrative ou collective, se déploient en parallèle. L’argument de
la comédie dramatique résonne avec le storytelling
tragi-comique. La fiction scénaristique reflète le fictionnel du quotidien. Peut-être
plus qu’aucune, la filmographie italienne cristallisa cela, essaie de
sauvegarder le dialogue, de maintenir le contact.
Lorsqu’un individu, une institution,
un établissement scolaire, risibles et lucratives écoles de cinéma,
t’apprennent à rédiger une histoire assemblée en scènes, d’exposition puis de
conclusion, peuplée de personnages à développer, à épouser, sacro-sainte
empathie jolie, appelée à divertir, à réjouir, plutôt à faire pleurer, penser,
tant le rire, dans ce triste pays attristé, équivaut au pire, en dépit de
Rabelais, Molière ou Louis de Funès, il ne s’agit pas seulement de ça, de
recevoir un enseignement surplombant, et de quel droit, dis-moi ? Si tu ne
sais pas marier les mots, change de boulot, si les films que tu vois, ressens,
comprends, ne te suffisent pas, exerce un talent différent. Les ateliers
d’écriture relèvent de l’imposture, simulacre de lien social, créatif, à peine
digne d’une séance de macramé à plusieurs, régressif. On écrit comme on vit et
rêve, un salut au Conrad de Au cœur des ténèbres – seul. Bien
sûr, on s’entoure, on s’illusionne, on fabrique en équipe, même si un triangle
de scénaristes s’assimile à une partouze, dixit
Gérard Brach, alter ego loin des
projos d’un certain Roman Polanski, que des féministes moralisatrices ne
finiront jamais de faire fléchir, de réduire au silence, sus au sodomite sémite
de modèle mineur envapé, peu importe l’absolution de la résiliente intéressée.
Tu souhaites relire Lolita en 2018, ici ou aux USA, patrie d’aliénés au sommet, le
Poe du Système du docteur Goudron et du professeur Plume se marre, de script doctors chargés de rétablir,
ranimer, le marmot commis en studio, à la chaîne, avorton d’à quoi bon mort-né
avant que de respirer, placé dès sa naissance démoniaque, enfer en effet du development hell, sous le sceau du consensus, du plus petit dénominateur
commun, de la doxa du politiquement correct, ce fascisme de défavorisés, se
targuant de s’exprimer en leur nom, de les représenter sur la scène obscène
d’une comédie humaine guère balzacienne ? Renonce, rouvre Nabokov, revois
le pudique Kubrick.
Le climat malsain contemporain n’arrange rien,
reprise rassie de conflits que l’on croyait enterrés, dorénavant ressuscités, religieux,
genrés, croupis dans la victimisation et prolongés dans le terrorisme. En
Furies fastidieuses, les spectres stupides et stériles des années 70 poursuivent
le présent, lui font payer comptant son hédonisme, son individualisme, sa
sexualité filmée, sa laïcité en synonyme de neutralité. Le capitalisme et la
foi, l’immanence et la transcendance, le vagin et le pénis, ne vois-tu pas que
ton scénario en atteste, que le filigrane constitue la trame, que les éléments
sous-jacents remontent à la surface du film fantôme ? Tu estimes témoigner du
monde mais le monde te traduit en procès, t’assomme de procédés, te dit comment
faire afin d’éviter de (le) défaire, te dirige sur une voie tracée séculaire,
porteuse d’une piètre psychologie de pantins mesquins. La nécrophilie naturelle
de la cinéphilie tourne à la nécrophagie généralisée. Tu manges de la mort, tu
la mâches et recraches, on t’applaudit, on t’en remercie. La révolution, n’y
touche pas, pauvre con, réminiscence de vulgarité sarkozyste. La conservation,
des conventions diégétiques, des principes historiques, continue-la, sers-la,
reproduis-la, bonjour à Bourdieu. Héritier désargenté, te voilà enrichi de
vilenies, admis au club des
producteurs du film-réalité baptisé en juste oxymoron par Bill Burroughs. Même
quelqu’un d’aussi fadasse qu’Olivier Assayas s’en émouvait gentiment dans un
supplément du DVD de L’avventura : la disparition du
personnage presque protagoniste, en rime au Psychose synchro de
Hitchcock & Stefano, ouvre le champ des possibles, rompt avec la tradition,
convoque un soupçon d’horizon, donne à humer enfin un peu d’air frais, fenêtre
affolante vite refermée à double tour par toutes les forces de réaction
devant/sur/derrière l’écran.
Aventureux, le cinéma, auteuriste ou
pas ? Pas sous perfusion télévisuelle, cahier des charges à respecter à la
virgule près, établi en comité homologué en amont de la production,
éventuellement remonté, pasteurisé, pour diffusion télévisée autorisée. Pas
plombé par des castings de patronymes
bankable aux sales gueules de gens
gentils, nantis, vrais-faux amis qui donneraient leur chemise à des pauvres
gens heureux, comme chantait Brel. Pas régi par le mépris, de classe, de
surplace, usine artisanale ou colossale de produits méprisants et méprisables. En
écrivant un scénario, tu t’insères dans l’existant, tu ne peux te réfugier dans
le solipsisme, à moins d’avoir les moyens de ton autonomie, de délaisser les
plateaux pour les tableaux, à l’instar d’un David Lynch. Pourquoi tant de
métrages se résument à leur bande-annonce ? D’où provient l’insipidité en
série ? Qui, aujourd’hui, se différencie, à quel prix ? Des réponses
figurent sur ce blog, lis-moi ou pas.
La paresse n’explique pas tout, ni l’inculture, ni le manque de talent.
Vittorio Storaro se lamentait récemment de la disparition du souci de la
composition parmi la jeune génération et néanmoins il convient de dépasser le
constat, d’accorder sa confiance à ceux qui débutent, nous suivront, nous
enterreront, ou alors imitons Mel Gibson chez Dick Donner et pressons la
détente clémente. L’ennemie première, l’adversaire que tu dois affronter en
priorité, tu les identifies déjà, en toi, que tu veuilles ou non te lancer dans
le ciné. La peur, mon frère, ma sœur, la peur se penche sur ton épaule tandis
que tu pianotes sur le clavier, que tu essaies d’écrire et avant tout de vivre
avec un minimum de beauté, de
lucidité, d’éthique adulte.
Peur de déplaire, peur d’aller en
sens contraire, peur de souffrir, de faire souffrir, peur d’échouer ou de
réussir, peur d’apercevoir au miroir un visage dangereux, de mirer à travers la
persona une part de toi terrible et
démasquée. Truisme, bis : un
écrivain écrit avec son corps, avec son sang, corrige Nietzsche, et un(e)
scénariste aussi. Les peurs ultimes, intimes, la perte, la maladie, la mort, tu
ne devrais pas en avoir peur, tu devrais savoir, pouvoir, t’en servir en
moteurs, dans le sillage de l’horreur, imagerie magnanime, recalée des deniers
du CNC, racisme de tiroir-caisse asservi à la bienséance rance. Je ne te
demande pas de ne plus écrire, je ne te demande rien, crois-le bien, j’aimerais
bien que tu écrives diversement, que tu deviennes divergent, que tu me
démontres les séductions de ta diversion, par exemple sensuelles, sensorielles,
tendues vers l’abstraction, la sécession. La figuration, on commence à
connaître, au bout d’un gros siècle. L’autobiographie itou. Regarde autour de
toi, ose sonder en toi, déchire le CV, renverse la nasse. Pas de psychologie,
de la chair. Pas d’inertie, de la colère. Pas de surplomb ni d’immersion, juste
une distance juste, généreuse parce qu’audacieuse et inversement. On t’apprend
depuis très, trop longtemps, à apprendre, à reprendre, rarement à comprendre, à
désapprendre, à te reprendre, à te réapproprier la réalité. Les mots appartiennent à
tous et tu n’appartiens pas à cette langue dominante, pas totalement, en tout
cas, sinon tu ne me lirais pas. Je possède peu, je t’exhorte à beaucoup, à te
gausser des gourous, à plonger dans tes puissances. L’histoire reste à écrire,
meilleure, consciente du pire. Une vie sans ciné ni scénar ? Va voir.
Alphabet City : dans les années cinquante, un dicton et de quoi en faire tout un film
RépondreSupprimerAvenue A, you're Alright
Avenue B, you're Brave
Avenue C, you're Crazy
Avenue D, you're Dead.
Quid de ce qui reste du scénario en fonction des plans de financements, des critères ultraformatés pour un meilleur retour sur investissement, de la vidéo, des influenceurs et influenceuses Youtube, le peu de cinéma qui perdure est à grands effets car le temps de cerveau disponible se réduit comme peau de chagrin, alors il faut en mettre plein la vue, ou quelque films pour amateurs éclairés qui se font de plus en plus rares, croire à la jeunesse certes mais si la jeunesse ne veut plus y croire...la continuité dialoguée et le document écrit étant presque aux oubliettes...