Downrange : American Sniper
Pneu crevé ? Film
essoufflé.
I shot the
sheriff, but I did not shoot the deputy
Bob Marley
Unité de lieu, de temps,
d’action : six passagers d’un SUV subissent les assauts d’un tireur
embusqué, sur un arbre perché, en pleine journée, le long d’une route rurale
isolée. Une famille, père endormi, mère au volant, enfant volante, puis, de
nuit, quatre policiers motorisés, armés, les rejoignent – dans la tombe. Comme selon
la comptine macabre d’Agatha Christie, l’élimination numérique et mécanique se
solde par une soustraction définitive, puisque l’unique survivante, victorieuse
du bourreau délogé, doté d’un gros couteau à la Rambo, sa face camouflée fracassée
à coup de crosse de fusil elle-même décorée du total de ses victimes, reçoit au
creux de la gorge la dernière balle décoincée par sa colère, misère. Avec un
tel argument solaire et linéaire, on pouvait espérer un survival abstrait, une réflexion en action(s) sur l’absurdité de
l’existence, de la violence, surtout aux États-Unis, une sorte de théorème sur macadam à l’ombre claire, assommante, du
mélodrame. Connu par votre serviteur pour une adaptation réputée de Clive
Barker, The Midnight Meat Train (2008), Bradley Cooper
d’ailleurs déjà présent avant d’aller jouer les snipers américains chez Clint Eastwood, Ryuhei Kitamura emprunte un brin
ce chemin-là, quand Tod, le chauffeur veuf, se souvient que sa Sarah attendait
un bébé, mort-né sans raison, sans transition, quand il recouvre d’un morceau
de chemise sa moitié de visage éborgnée, vite convoitée par des corbeaux à la Edgar
Allan Poe. Peu après, un loup blanc s’approche d’un Noir à l’agonie, semble
pensif, presque compatissant. On remarque aussi la main ensanglantée de la deuxième cible précitée, tendue en vain, et son trépas sonore, car elle respire encore,
malgré son œil droit explosé. De tels instants tirent, jeu de mots idoine,
le film vers un niveau supérieur, vers le lyrisme et l’onirisme.
Hélas, le métrage découpé en trois
actes minutés patine rapidement, handicapé par un casting passable, un déroulement plan-plan (ou pan pan), que co-écrivit
le scénariste Joey O’Bryan, partenaire de Johnnie To & Wai Ka-fai sur Fulltime
Killer (2001), et une réalisation assez soignée mais jamais inspirée.
Même en traversant de sa caméra un crâne perforé de baraqué à la Dario Argento,
même en éclairant la coda à la manière, naguère, de Russell Mulcahy son
sanglier australien (Razorback, 1984), Kitamura ne
déploie aucun sens de l’espace, du temps, du cadre, rajoutent les moins
cléments, et personne ne le confond une seconde avec Anthony Mann ou Michael
Cimino. Certes, Downrange (2017) n’empeste pas le cynisme, le fascisme, le jeu
de massacre stérile de silhouettes stupides, en rime à The Belko Experiment
(Greg McLean, 2016). Toutefois, la fête d’anniversaire avortée, la fifille de
militaire informée, désolé, ça ne le fait pas, pas durant quatre-vingt-dix
minutes, en tout cas. Au final, le covoiturage frise la naufrage, le point
mort, manœuvre contre-productive, menace l’ouvrage, et il ne reste quasiment
rien à sauver, à sauvegarder, à ressentir, sinon un écran de fumée, en écho à
celui utilisé par le stratège au féminin, aux chasseurs familiaux, peut-être
puni pour son manque résilient de solidarité, descendu dos tourné. Le natif
d’Osaka voulait à l’évidence emballer une série B suffocante, efficace. Son
travail satisfera quelques fans, certains
se gorgeront du gore généreux.
Pourtant, à proximité de la cinquantaine, il convient de faire mieux, plus
sérieux, ambitieux, d’une façon soutenue par un horizon, au-delà de la
sensation. Le high-concept à la sauce
Don Simpson, franchement, on le laisse à Michael Bay, Adrian Lyne, feu Tony Scott. Tant pis et à
la prochaine, Mister Kitamura – ou
pas.
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