Le Jour de mon retour : True Lies
Il existerait pire que renoncer à ses souhaits – les voir se réaliser…
Le Secret des Marrowbone se déroulait en 1969 et Le
Jour de mon retour itou ; tandis que les Américains plantent leur
drapeau de petits propriétaires à la surface lunaire, Donald Crowhurst
s’embarque pour le Golden Globe, course autour du monde désormais sans escale.
Première maritime et première pour lui, pas même marin dominical, à peine
inventeur désargenté. Le film s’inspire d’une histoire vraie, assume sa prise
de libertés fictionnelles à des fins « d’effet dramatique », nous
indique le générique. Pourquoi part-il ? Parce qu’il veut accomplir
quelque chose d’inédit, de jamais fait avant lui, parce que sa vie, malgré son
boulot ludique, sa spacieuse propriété bientôt gagée, sa jolie famille à la
Norman Rockwell de côte anglaise, paraît anecdotique, sinon vide. Le speech liminaire d’une légende vivante,
à la fois lucide et dynamique, lui donne l’envie avide de mettre les voiles
littérales. Hélas, tout ira vite très mal, par manque de temps, de préparation,
le trimaran aussitôt transformé en passoire, l’odyssée pionnière en duplicité
suicidaire. Car Donald, désespérément lent, ment constamment, sur sa
progression, sa direction, ses intentions, et lorsque tous les autres
concurrents s’écartent, il ne peut affronter la vérité, illico dévoilée par la presse des charognards, précédemment à sa
gloire. Carrément excellent dans A Single Man ou Le Discours d’un roi,
Colin Firth incarne ici avec une fatigue fraternelle un navigateur amateur au
rêve matérialisé en cauchemar, un cousin de l’affabulateur de Notre
agent à La Havane aux prises avec un Adversaire similaire à
celui de Jean-Claude Romand. Il doit quitter terre au plus tard le 31 octobre
1968 mais sa peur puis son dépit ne doivent rien à John Carpenter ni à une
psychologie de sociologie. L’attaché créatif, malice de David Thewlis, lecteur
des carnets de bord abandonnés, retrouvés dans le bateau solo, empuanti, le
verrait bien néanmoins en émule de Churchill, en réanimateur de l’esprit
d’aventure d’Albion.
A contrario,
James Marsh signe avec un credo discret
une fable sur la solitude, l’autodestruction, le « péché de
dissimulation » que l’océan clément, mystique, semble seul capable de
laver, de pardonner. Pourtant son épouse, poignante et vaillante Rachel Weisz,
pouvait lui donner l’absolution et continue de l’attendre avec ses trois
enfants, même en sachant qu’il ne reviendra pas. Film doublement insulaire,
puisque britannique, sur l’isolement, film mélancolique illustrant avec soin,
précision, émotion, l’aphorisme introductif d’Albert Cohen dans Le
Livre de ma mère, « Chaque homme est seul et tous se fichent de
tous et nos douleurs sont une île déserte », Le Jour de mon retour ne
sonde pas le mystère de la suppression par soi, il l’effleure, il le regarde à
travers une reconstitution se permettant une scène évocatrice d’hallucination,
quand notre Robinson au destin de dilemme observe, sidéré, des chevaux à la
surface de l’eau, toponyme de Horse Latitudes familier à tout fan des Doors. Auparavant, les sabots
surréalistes résonnaient sur le pont alors signalons que l’opus déploie en sus un sound
design de bon aloi. Ni scolaire ni révolutionnaire, ce binaire biopic nautique bénéficie d’invités
français, citons Jacques Perrin à la production, spécialiste du sujet, Éric
Gautier à la direction de la photographie, dans l’écume de Irma Vep, Clean,
Into
the Wild ou Les Herbes Folles. Quant à Jóhann Jóhannsson, il compose l’une
de ses ultimes partitions, contemporaine de Marie Madeleine. Ulysse
sans sirènes, au sommet d’un mât endommagé, au sein des abysses de la
mystification, régionale, nationale, Donald, qualifié de « loco inglese »
par les autorités argentines soupçonneuses et magnanimes, navigue à vue, dérive
en solitaire relié aux siens par la radio. Comme presque tout film originaire
du Royaume-Uni, Le Jour de mon retour affiche un filigrane social : Clare
mendie à l’administration des vêtements et la cantine gratuite, le vainqueur la
primera.
Au final, que reste-t-il d’un homme
dépassé par son projet insensé, mis sous pression, hissé, ensuite descendu, par
les médias, marchands de songes eux-mêmes fabricants de mensonges ? Il
reste son absence, rien à part un planisphère à replier, à ranger, une jetée face à
l’horizon, un métrage certes sage et cependant rétif au naufrage. Si DC, à
moitié cinglé, se perçoit en « être cosmique », James Marsh ne le
dépeint point en être comique, opte pour le mélodramatique privé de pathos et
d’explication(s). Au-delà des circonstances de sa mort, encore imprécises, le
protagoniste filmé au carré, héros enfui de home
movie, anti-héros d’actualités, coupe la corde servant à (le) sauver, largue
sans tintamarre les dernières amarres, boussole glissant doucement vers le sol
sableux. Au terme prématuré de son voyage de camouflage, il trouve enfin une
sorte de miséricorde, explicitée par l’intitulé original, The Mercy, que la VOST
laïcise en délivrance à la Boorman. Chez Dostoïevski, relisez Les
Possédés, la mort de Dieu aboutit au nihilisme, donc au terrorisme,
aujourd’hui revenu, notez l’ironie, au religieux, à son alibi. En mer, cimetière vivant divisé par Moïse, le téméraire
expérimente l’aventure, l’imposture, aspire à une paix hors d’atteinte. Moby
Dick ricane et Donald Crowhurst regarde le soleil, vaincu par son obscurité,
promis à la spectralité, celle du souvenir et du ciné. Élargissons la dimension
de sa disparition. À contre-courant de l’espérance hédoniste et utopiste des
années 60, il annonce les tromperies et le gâchis de la décennie
suivante, placée sous le signe de la désillusion, sur et hors de l’écran. Je me
garderai de reformuler maintenant ce que j’écrivis jadis à propos du plaisant Visitors
de feu Franklin et des films situés au large, je renvoie le matelot vers les
liens des libellés.
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