Obsession : La Ronde


Un billet d’un seul jet, en sacre scriptural d’un requiem très pervers et pourtant candide… 


Le trop courtois Courtland, troubadour égaré en territoire capitaliste ou en pèlerinage italien – naissance, à la Renaissance, des banques là-bas, sans Montana – obsédé par sa trépassée, tourne autour de la gracile restauratrice (de toiles picturales/cinématographiques), représentante d’une insaisissable espèce dont les jambes en compas cartographient la planète (interdite) du désir, source truffaldienne d’équilibre et d’harmonie, de vide et d’outrages, et Brian tourne autour des deux tourtereaux gentiment incestueux (sacré Schrader, fort marri de l’ablation de son troisième acte avec double, ou triple, on ne compte plus, enlèvement, et pas au sérail mozartien), aussi inséparables que les oiseaux transportés à Bodega Bay (s’y terre itou Carpenter dans son smog autonome), aussi damnés que Carrie et sa mère, que le masqué Jon Voight, papa d’Angelina, avec la fifille de feu Béart, les deux (dés)astres entraînés dans une révolution de travelling circulaire, prisonniers volontaires du cercle vicieux/vertueux de la géométrie du temps perdu et proustien (un paradis déchu ? Le Xanadu de Kane, qui d’autre ?), au rythme épique et mélancolique d’une valse soyeuse du génial Bernard Herrmann, entiché de l’actrice (ah, sa photographie dans son portefeuille), si jeune et si vieille Geneviève Bujold, toutes les femmes en une seule, corps sacré bientôt profané, en rêve, seulement (au spectateur de se faire son propre et sale blue movie), car baiser une morte, cela ne se peut, sinon sous la lumière nocturne d’une lune refroidie par Bouchitey ou dans les turpitudes teutonnes de Nekromantik – Body Double reformulera le fantasme méta, avec son cercueil agoraphobe et sa « hardeuse/punkette » aryenne –, mais ceci ne suffit point à l’architecte politique et scopique, qui nous montre, par deux fois, un panoramique vertical sur un haut immeuble immaculé, siège du félon faussement virginal à son image (complet blanc de camelot distingué), monument-pénis en réponse à la courbe matricielle et aux roues du bateau à aubes cherchant vainement à remonter le fleuve temporel, à l’instar de la roue de l’Infortune sise au-dessous du volcan par Lowry-Huston ; oui, tout tourne (mal), dans ce film et dans le monde, dans ce Deep South sans Deep Throat (quoique, embarquement immédiat, et avec arrêt sur image, pour le septième ciel, Emmanuelle Kristel « taillant un pompier » au pilote), où plane l’ombre de malheur de Faulkner, avec ses amours consanguines, sa langueur déliquescente, les folles répétitions de la langue dans des monologues pleins de bruit et de fureur, de fièvre dans le sang (kolossal Kazan) et le cœur, quand la stèle sépulcrale, plantée sur l’autoroute perdue, rime avec le calme bloc mallarméen « ici-bas chu d’un désastre obscur », pont vers les fantômes de Murnau munis d’un visage d’ange (Jean Simmons ?) pour mieux faire chuter les mâles à châtier (à châtrer), dont la tête tourne autant que celle du spectateur, emporté comme jamais ailleurs (ou alors dans la fumerie d’opium de Leone, dans les étoffes de Wong Kar-wai, dans la danse sableuse de Visconti, grimé vieillard épris du bel éphèbe muet), et si Kim Novak « vomit », à raison et à tort (un « viol » demeure différent), l’usage des notes de Vertigo en accompagnement exhaussé du piètre artist, que dire de la paresse démontrée par l’auteur surfait de Brazil dans sa ménagerie simiesque, tandis que Marker partait à la recherche de sa Madeleine à lui sur le tarmac d’Orly, puisque les films s’enlacent pour une dernière étreinte (conseillons ce Demme mal connu et réellement hitchcockien « en diable », lui) – mais le bonheur ineffable de retrouver, quitte à la perdre encore, celle que l’on aime, la première et la dernière femme, la gamine et l’orpheline, la maman et la putain, surpasse tous les détours, allers-retours, point de non-retour, et notre réalisateur, romantique jusqu’au bout du rail (de caméra puis de coke à Cuba) nous abandonne à l’acmé des retrouvailles, ce moment suprême, ineffable (dans sa fable) de reconnaissance, de pardon, de fusion filiale, sublimé sous les néons oniriques de Vilmos Zsigmond et via le déroulement ralenti de Paul Hirsch : voici Elizabeth/Sandra et Michael enfin délivrés (d’eux-mêmes), sur le point de vivre leur vie (JLG, admiration de jeunesse de BDP), loin des caméras de surveillance pas encore (?) installées dans l’aéroport, couple improbable réuni sur le ring (Hitch, always) de leur « roman familial », sans œil cyclopéen pour les espionner (celui, ophidien plutôt qu’œdipien, de Snake Eyes) : le lyrisme, au cinéma, possède un nom, et il s’appelle éternellement Obsession


Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Les Compagnons de la nouba : Ma femme s’appelle Maurice

La Fille du Sud : Éclat(s) de Jacqueline Pagnol

L’Enfer d’Henri-Georges Clouzot : Le Trou noir