Dark Star


Ou comment un patchwork pop et mystique devint une atroce étoffe de soie…


Une grande enseigne parisienne, selon l’expression consacrée de l’hypocrite TV, respectueuse des lois en matière de publicité (pas de marques citées, inversion des images de produits) mais si peu de l’intelligence et de la sensibilité du spectateur (et pourquoi s’en faire, après tout, le cochon de consommateur continuant à payer sa redevance, à se contenter de cela, épicé d’un zeste de navigation numérique souvent pareillement désolante), vient de choisir la série de films de Lucas (cohérente revente de sa société à Disney) pour thème de ses traditionnelles vitrines de fin d’année. Les enfants de cinq ans et de quarante (ou plus) vont donc pouvoir déambuler sur le pavé de Gavroche en léchant les vitres illuminées, derrière lesquelles contempler les saintes reliques en plastique d’une mythologie mercantile déclinée jusqu’à la nausée, sur tous les écrans, tous les supports, tous les formats possibles, imaginables et encore à inventer (après le Dolby, ce réducteur de bruit hissé au rang d’environnement sonore immersif). Quel plaisir de retomber en enfance, escorté par les troupes immaculées des soldats de la tempête (un second Bush, digne successeur du cabot des séries B des années 30 à 60, lui-même inspiré lexicalement par l’univers d’ILM, mènera son propre conflit du désert en Irak, Saddam substitué à Vador), après les complots, la paranoïa, les tours explosées en boucle, le chômage, la baisse du pouvoir d’achat, les sourires obscènes des dirigeants de ce monde, l’incurie des flux migratoires, les haines raciales, le réchauffement climatique et le désenchantement prégnant, à l’écran et en dehors, dans l’Hexagone et par-delà ; laissez venir à moi les petits fans sur la route en briques jaunes, je promets de pas soulever mon rideau d’illusionniste, de pas suspendre ma mélodie de flûtiste, à Hamelin ou ailleurs… 

Saint George, priez pour nous, pauvres pécheurs abreuvés de cinéma dit d’auteur tourné dans les chambres à coucher consanguines du seizième arrondissement, aux dramatiques drames de société torchés en banlieue – rendez-la à ceux qui y vivent, dans leur vérité partagée ailleurs – par des gosses de riches (et fils de), avec l’arrogance bien-pensante de nouveaux colons venus visiter ces zoos urbains, où poussent les fleurs colorées (murmurent-ils) du rire, bientôt cueillies par une chaîne cryptée à la démagogie choisie, camouflée en insolence innovante (plus grave, érigée en partenaire/perfusion privilégié(e) de la cinématographie nationale depuis une trentaine d’années, sans parler de sa présence façon Barnum à un ridicule et sinistre festival sudiste). Vous qui sûtes terrasser le dragon du Nouvel Hollywood, tous ces cinéastes égocentriques et dispendieux, explorateurs aventureux de territoires obscurs dans le sillage du soupçon d’alors, en Amérique et dans le reste immense du monde, à présent canonisés par la critique, rassemblés en âge d’or alternatif aussi discutable que la mise au pas d’hier, venez délivrer les masses acquises, les nourrir avec votre ambroisie d’effets spéciaux, de syncrétisme mythique, de questionnements œdipiens. Luc, arpenteur laïque du ciel stellaire, gentiment amoureux de sa sœur aux nattes princières (Carrie Fisher jouera les naïades rieuses et sensuelles pour la presse de charme qualifiée de branchée), porta jusqu’ici votre évangile, et l’on continue à le boire jusqu’à la lie, on ne s’en lasse vraiment pas, croyez-en les milliards de pages (dont celle-ci) consacrées à votre grande entreprise pas près de connaître la crise, surtout en temps estampillé de crise (économique, politique, morale), juste hommage au montant de vos dividendes colossaux amassés durant bientôt quatre décennies.

Peu semblent s’en souvenir à présent, mais le gamin miraculé de Modesto – d’un accident de voiture tu réchapperas – signa autrefois, sur un scénario du sorcier sonore Walter Murch, une attachante uchronie bien incarnée par Robert Duvall et Donald Pleasence. Fallait-il que cette fuite solaire d’une ville souterraine et virginale, sans liberté ni sexe, débouche sur l’érection d’un empire du marketing ? Quelle fatalité lucrative conduisit l’aimable trilogie originelle (à défaut d’être réellement originale) à se muer, passée du côté obscur des billets verts, en royaume régressif adoubé par un autre Luc, qui en célébra les artefacts dans d’autres vitrines au sein de sa cité pas vraiment sur le point de crack-er, dans une galaxie pas si lointaine ? Nous ne le saurons sans doute jamais, et probablement cela importe peu face à la force (est avec toi, Luke) de frappe mirobolante de ce nouvel espoir entaché de cynisme (les huiles de la Columbia se frottèrent par avance les mains devant l’échappée au LSD des cavaliers faciles : tout s’achète et tout se vend au soleil californien, y compris la quête impossible des origines et du sens, à l’aune du paysage américain). Ne désespérons pas, toutefois – le cadeau intéressé prévu pour Noël réserve peut-être la surprise mélancolique de figurines lestées par l’âge à leur corps défendant, en dépit de tous les liftings de la retouche d’image, malgré le bruit assourdissant des recettes prévues et des commentaires synchrones d’innombrables adorateurs. Dans l’espace, personne ne vous entend crier, pas vrai Ripley (celle de Scott, pas celui de Miss Highsmith), mais on peut déceler le compte (à rebours et des espèces plutôt sonnantes que trébuchantes) d’une imagerie infantile devenue un cas d’école pour établissement de formation en commerce, à des années-lumière du cinéma et par conséquent de la cinéphilie.    


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