Love Story

 

Un métrage, une image : Le Tueur (1972)

Échec critique et public, l’avant-dernier film de l’auteur des estimables Un taxi pour Tobrouk (1960), Le Bateau d’Émile (1961), Le Voyage du père (1966) ou Le Tatoué (1968), mérite d’être réexaminé, voire réévalué, car il donne à (re)voir, avec une livide lucidité, la France des années septante, glaçante, glacée, aussi son ciné. Coproduit entre ici, l’Allemagne et l’Italie – Éric Rochat reviendra via L’Affaire Dominici (Aubert, 1973), Histoire d’O (Jaeckin, 1975), scénarisera-réalisera sa vraie-fausse suite (Histoire d’O, numéro 2, 1984) –, coécrit par Pascal Jardin, parce que le dialoguiste fidèle le valait bien, éclairé en soft focus par Claude Renoir, bientôt au boulot à l’occasion d’une autre chasse à l’homme, pardon, à la dame (La Traque, Leroy, 1975), les mecs abjects font des misères à Mimsy Farmer, musiqué par le Marseillais Hubert Giraud (Sous le ciel de Paris, Duvivier, 1951), interprété par Blier & Gabin, Glas & Garcin, caméos rigolos de Mario David en pied-noir, Depardieu en repoussoir, Le Tueur s’avère vite un item funèbre, ressemble bel et bien à un requiem, commence en prison, ligne de vie évanouie, eh oui, se poursuit à l’asile, électrochocs ad hoc, en toc, multiplie les planques, errance, souffrance, se termine sur un rural et brumeux suicide. N’en déplaise à Andrzej Żuławski, la force fragile et l’intime mélancolie de Fabio Testi apportent beaucoup à L’important c’est d’aimer (1975), tandis que l’acteur guère mineur, à la fois solide et subtil, physique et psychologique, sut s’illustrer en sus chez De Sica (Le Jardin des Finzi-Contini, 1970), Dallamano (Mais... qu’avez-vous fait à Solange ?, 1972), Squitieri (Lucia et les Gouapes, 1974) ou Risi (Le Fou de guerre, 1985). Sentimental, impitoyable, l’assassin en série savoure une sorte de lune de miel au soleil à Marseille, y dessoude illico Sady Rebbot, déguisé en grenoblois proxo, regagne dare-dare le gris d’Orly, d’un Paris en train d’être détruit, construit, tour Montparnasse érigée, quartier des Halles éventré, Ferreri ne s’en fiche et toutefois en rit (Touche pas à la femme blanche !, 1974). Face aux frères pas si patibulaires de de La Patellière, deux flics d’une différente race se font face, guéguerre des polices complices, dotée d’indics, dite scientifique. En hiver, extérieur, intérieur, où dénicher un chouia de chaleur, sinon au sein jamais malsain d’une prostituée émancipée, teutonne, point conne, certainement pas au milieu d’une projection privée, avortée, vive le Louvre, escroquerie de rue, puisque porno mal vu, malvenu, « cinéma cochon » pour carapaté con, instrumentalisée selon le commissaire amer, en sourdine mariole, qui passerait à tous ces pénibles psys leur propre camisole. Parmi ce monde immonde, sans une once d’horizon, de rédemption, merde à Noël, même si les affaires du sex-shop, ave Berri, paraissent au top, tu m’étonnes, nos amants criminels, romantiques, maudits, n’incarnent pas uniquement un renouvellement, une génération agitation en floraison, sociologique, esthétique, davantage une jeunesse privée de lumière, de poker, d’espérance, de seconde chance. Il règne ainsi un vide à la Melville, plus de surprise à apercevoir à nouveau une passerelle en fer, ferroviaire (Le Samouraï, 1967), une campagne macabre aux clébards furibards et aux fourgons à foison (Le Cercle rouge, 1970). Ni Un condé (Boisset, 1970), ni Série noire (Corneau, 1979), Le Tueur séduit donc en raison de son don d’observation, sa précision/dépression encore de saison…     

Commentaires

  1. "Le Tueur séduit donc en raison de son don d’observation, sa précision/dépression encore de saison… " Merci pour ce billet à l'écriture sensible et juste de ton qui pose beaucoup de vraies questions, on peut s'interroger en effet sur l'échec commercial de ce film qui avait tout pour...Peut-être trop près de certaine réalité ; à l'époque enfant, je voyais le fameux trou qui me semblait être la résultante de l'explosion d'une bombe en plein coeur de la capitale, il restait comme par miracle quelques cafés et marchands des halles à l'ancienne comme hébétés et qui attendaient leur dernière heure, soit l'expulsion pure et simple et parfois sans relogement autre que l'hospice pour certains d'entre-eux qui avaient vécu-là un demi siècle pour le moins. Certaines boutiques éphémères fleurissaient bizarrement sans raison apparente, avec une foule de gens interlopes comme clients, des gens décalés qui trafiquaient à on ne sait trop quel commerce plus ou moins avouable, ça sentait l'herbe et le breuvage frelaté et la nouvelle génération avait l'air tout aussi au bord du précipice que l'ancienne, plus personne ne se causait, le bruit des engins de chantiers était parfois assourdissant, parfois il régnait sur ces lieux comme un silence de mort. Balzac et Baudelaire avaient en leur temps déjà souligné avec certaine émotion la disparition du Vieux Paris...

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  2. Ce film me fait penser à un autre opus où un policier veut la peau d'un homme, en l'occurence
    Section de Choc (1976) de Massimo Dallamano, (quelli della calibro 38)
    Marcel Bozzuffi y excelle dans des décors de certaine Italie bien représentatifs d'une époque plus que plombée https://www.youtube.com/watch?v=GnpB8-p6F8k
    Marcel Bozzuffi encore dans un autre film "clin d'oeil" où il est également un flic prêt à tout car ayant eu à subir la perte de femme et enfant du fait de ses enquêtes un peu trop diligentes dans certains milieux, l'oiseau en cage est ici un mainate siffleur...L'Arbalète (1984) de Sergio Gobbi avec Daniel Auteuil, Marcel Bozzuffi https://www.youtube.com/watch?v=RJ4pNeYIlBw.
    Le quartier parisien de la Goutte-d'Or que j'ai habité était bien tel que montré dans le film même si celui-ci pêche un peu par moment, il n'en reste pas moins un certain témoignage d'une musique typique d'une époque qui virait au traffic en bandes , nazis compris façon Starmania...
    Ces deux films sans doute déjà vus par vous cinéphile attentif amateur de liens et d'échos cinématographiques.

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    1. http://lemiroirdesfantomes.blogspot.com/2022/05/operation-crossbow.html

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    2. http://lemiroirdesfantomes.blogspot.com/2022/05/le-choix-des-armes.html

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