Le Choix des armes
Un métrage, une image : Section de choc (1976)
À Jacqueline
« Le Marseillais, rends-toi ! »
crie le flic de Bozzuffi, mais moi je ne démissionne, je visionne. De l’action,
encore de l’action, toujours de l’action dirait Danton, alors Dallamano n’y vas
pas mollo, il décèdera d’ailleurs bientôt, dans un accident d’auto. Pour
l’instant, en été, sort en salle une sorte d’instantané, une photographie
remplie d’énergie d’une certaine et turinoise Italie. Les années plombées, à
main armée, connaîtront un tournant illico,
avec l’assassinat d’Aldo Moro, lui-même devenu cadavre retrouvé à Rome au creux
du coffre d’une Renault, décroîtront ipso
facto, la Démocratie chrétienne, au
régime déjà malsain, idem sur le
déclin, remplacée par le capitalisme spectaculaire, sens duel, berlusconien,
parce qu’il(s) le valai(en)t bien. Pourtant, deux ans auparavant, le spectateur
perçoit un changement, comme un renversement, dont témoigne le métrage de son
âge. L’idéologie se dissout ainsi, le politique périclite, le terrorisme se mue
en banditisme, les attentats dénaturent le trauma.
S’il se pose en variation et délocalisation de Magnum Force
(Post, 1973), en reprend les policiers à moto, exécuteurs à moteur et molto
fachos, désavoués par un Eastwood au scénario cosigné Cimino, presque repentant
après les procès d’intention, à la con, causés par le succès de L’Inspecteur
Harry (Siegel, 1971), Pauline Kael, ta gueule, Section de choc
l’accommode selon la saison, la situation, le commissaire de Marcel recadre les
joyeux justiciers, leur impose une jambisation dotée de connotation, non ?
Cependant, suite à la disparition programmée des idées, de la lutte armée, bis, sinon instrumentalisée, revoici la
DC, de toute façon injustifiée, puisque responsable et coupable de morts
collatérales, l’équipe ne résiste, l’individu reprend le dessus. Le De Palma
des Incorruptibles
(1987) puis de Mission impossible (1996) documentera cette dynamique (dynamite) à base de
massacre, cette faillite du collectif, ce jeu dangereux avec les limites de la
légalité, Ness pousse Nitti, le laisse tomber, au propre, pas au figuré. Œuvre
de vengeance in media res commencée,
en boucle bouclée terminée, porte d’appartement ouverte par la maman sur le
néant, porte d’avion ouverte par le papa sur le trépas, interprétée par les
habituels suspects, salut à Casablanca (Curtiz, 1942), à savoir,
surtout, Ivan Rassimov & Carole André, caméo rapido de Grace Jones inclus,
bienvenu, munie des morceaux de l’estimable Stelvio (Cipriani, pardi), Quelli
della calibro 38 comporte itou une cascade automobile d’anthologie, par
notre Rémy Julienne national conduite a
priori. Sur trottoir ou sur train, le
film va bon train, les adversaires very
vénères roulent vers leur destin, n’épargnent personne, rien, a fortiori une femme patraque, prise de
remords, dans l’habitacle mise à mort, scène sèche et discrète assez superbe. Le
Bozzuffi de L’Arbalète (Gobbi, 1984) déclarait au sujet de l’Arabe aux
tibias abîmés : « Ce fils de pute a essayé de m’enculer »,
preuve parlante de l’obsession sodomite, interdite, des mecs hormonés,
tourmentés. Ici, il résume aux journalistes rassemblés : « La
brigade est morte avant même d’avoir existé », en effet. Autrefois de
Leone et ses dollars le dirlo photo,
Dallamano, auteur en outre des intéressants Mais... qu’avez-vous fait à
Solange ? (1972) ou Émilie, l’enfant des ténèbres
(1975), esquive l’esquif du droitisme, démontre en sourdine, escalier en
contre-plongée, la reproduction par les jeunes générations du tumulte adulte,
d’une violence (re)jouée dès l’enfance, paraphe un polar jamais archéologique,
aux fondations mélodramatiques, qui mérite mes lignes magnanimes, mon merci à
la cinéphile...
Grand merci pour ce beau billet et la dédicace à "double entrée".
RépondreSupprimerLe choix de la photographie illustrant votre propos est, comme toujours, placé à bon escient pour souligner sensiblement un certain regard relatif au film et aux acteurs qui l'animent.. Du Turin de ma jeunesse, je me souviens des alentours de la gare peuplés de jeunes vendeurs éphémères de cigarettes et de la volée de motos pétaradantes qui venaient se ravitailler-là parce que c'était moins cher et aussi de temps à autre d'une main de prestidigitateur le client, plus rarement la cliente, se voyait proposer montres en or ou plaqué, gourmettes chevalières et chaînes, et ça faisait comme un éclat brillant dans l'air une seconde avant que ça ne change de main, billets pliés en quatre à l'appui de l'autre, les vendeurs étaient le plus souvent très jeunes, le torse bronzé sur la chemise ouverte et le jean si serré aux fesses que l'on pouvait soupçonner qu'ils étaient à "voile et à vapeur " pour certains d'entre-eux et qu'un autre commerce de charme s'effectuait la nuit dans d'autres quartiers ad hoc. De temps à autre les carabiniers arrivaient et tout ce beau monde s'envolait comme par miracle à toute allure, à une vitesse vraiment folle ; parfois on voyait aussi une grande voiture sport rutilante venir relever les compteurs comme ça se dit, écumant les divers points de vente méthodiquement les uns après les autres...
La ville était au moins scindée en trois, quartiers historiques et bourgeois du centre, une ville dans la ville avec l'usine Fiat et des banlieues et entrepôts étalés à n'en plus finir le long de voies ferrées et d'autoroutes, comme on peut bien l'apercevoir dans le film.
La “passeggiata” en cette fin des années soixante-dix était encore un passage incontournable de le vie de la cité. Je me souviens de belles figures de la haute-bourgeoisie défilant avec sur les robes à fine dentelle toute une jonquaille de clips et de colliers tout droit venus des années trente pour la forme de leurs tailles et de leurs motifs,
des femmes à haut chignon volumineux et savamment monté autour de résille et de perles, défilant dans la soie à frous frous et aux bras d'hommes en costumes d'été de lin clairs avec fleurs de gardenias capiteux à la boutonnière, les femmes diffusant longtemps derrière elles un luxueux parfum de poudre d'iris comme je n'en ai pas humé ailleurs qu'en Italie ; les enfants étaient impeccables dans le costume jupes plissées et bermudas avec des chemisiers brodés pour les filles et des chemises blanches et des souliers vernis , et une pléthore de gants blancs ou crème souvent brodés aux initiales de la famille pour tout le monde. Parfois le temps d'une pause tout ce beau monde s'arrêtait digne et quelque peu distant et hautain pour déguster une glace aux fruits confits dans un établissement select sous les arcades élancées d'un autre temps et si typiques de la cité à l'ambiance restée surtout à cette époque-là encore très "années trente".
Une autre classe sociale plus populaire et endimanchée à sa façon et qui sentait l'eau de Cologne pour les hommes et le muguet pour les femmes défilait sous ces mêmes arcades sans s'adresser un regard, chacun étant tout concentré sur son beau paraître.
Les courses poursuites la nuit étaient monnaies courantes, que ce soit de jeunes gens motorisés pour le fun ou de plus gros poissons pour d'autres trafics, l'équilibre de la cité semblait précaire.
Merci à vous, surtout, de cette évocation - quel don d'observation, de rédaction ! - savoureuse et valeureuse, comme si Pasolini croisait ici Visconti, sous les arcades de la cité, du passé...
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