Le Maître de marionnettes

 

L’éclairante obscurité d’une délicate destinée…

Mais un jour je vivrai mes chansons

Poupée de cire poupée de son

Sans craindre la chaleur des garçons

Gall & Gainsbourg

Quarante ans auparavant, les créatures de ciné décédaient, aussitôt ressuscitaient, surtout selon E.T. et ici. Spielberg pratique le pathétique, le chaud, le froid, le rouge, le blanc ; Henson & Oz optent pour autre chose, l’épique, l’héroïque, le tragique, puisque sacrifice offert au milieu d’une cérémonie d’éternité coordonnée, contrariée. À chacun son éclat coloré, de cœur déployé à l’intérieur de toute la petite poitrine, métaphore du film, de cristal malade, cassé, à surplomber, à compléter. Afin que la prophétie messianique s’accomplisse, il faut que s’effondre la gracieuse héroïne, que la claire lumière solaire, en trois exemplaires, traverse le triangle un brin utérin, alignement de renouvellement, magnifie et purifie le bloc à bloc phallique, sis à proximité d’un puits fatidique, dont l’analité embrasée ne refroidit les psys, totem tabou et à bout, que le protagoniste perfore ou redécore, à la suite d’un instant suspendu, bras tendu, à contre-jour, mon amour, relecture illico d’une image emblématique de L’Exorciste (Friedkin, 1973). Peu après surviendra une pietà, celle de Jen & Kira, suivie d’une mue bienvenue, scarabées écrabouillés inclus, d’une fusion en forme de rédemption, races réunies, retrouvée harmonie. Maintenant, on se magne, on ne désarme, malgré la métonymie tombée à terre, misère, l’ersatz pas naze de clébard furibard, fissa foutu aux oubliettes aussi sec. Lui aussi survivra, que ne gémisse la jeunesse, merci à Aughra la devineresse, vocalisée en VO par Billie Whitelaw, l’inoubliable nounou d’enfer, suicidaire, de La Malédiction (1976) de Dick Donner. La scène en partie disponible en ligne, sur chaîne officielle, cristallise une réussite collective, affiche un faisceau de gens de talent, le classicisme amène du précité tandem servi et au service de l’illustrateur et de la sculptrice Brian & Wendy Froud, couple de plateau encore au boulot à l’occasion de Labyrinthe (Henson, 1986), du directeur de la photographie Oswald Morris, ultime métrage du haut de son grand âge, du compositeur Trevor Jones, la même année occupé à scorer les Rêves sanglants de Roger Christian, et bien sûr, last but not least, de l’armée d’invisibles et valeureux marionnettistes, eux-mêmes sous l’influence, sinon la formation, d’un mime suisse, fichtre. Dark Crystal se termine ainsi de manière idyllique, au propre, au figuré, ordre restauré, contraires réconciliés. Cette coda consensuelle contredit donc la victoire à la Pyrrhus précédente, assez superbe et presque poignante, dialogue à distance avec le contemporain Conan le Barbare, autre histoire de massacre liminaire, de culte occulte, de révolte pas en toc, quête dans laquelle le mémorable James Earl Jones paraissait s’inspirer du quasi homonyme Jim Jones, le gourou relou de Guyana, la secte de l’enfer (Cardona Jr. 1979), en sus d’interpréter un serpent inclément, commentaire incarné, moins doux qu’amer du guère démocrate Milius, au sujet de la périlleuse permissivité de la décennie (tré)passée, hypnotisée, innocentée, de sa pseudo-spiritualité de candide et cannibale communauté, vive l’individualisme et le romantisme du Cimmérien nietzschéen. Si Valeria ne se relève pas, blonde incendiaire brûlée sur bûcher funéraire, les Doors, j’adore, destin des humains, des pantins, aux fils fragiles, que coupent des Parques impitoyables, l’exilé adopté, sur Terre abandonné, les elfes rebelles, leur magie manuelle, dépassent le désespoir, l’apocalypse polaire, identitaire, du cruel Carpenter (The Thing, 1982), exécuteur laconique – « Lassie dans l’espace », indeed, hélas – d’un confère à l’écrasant et encombrant succès, au satisfecit logique, symbolique, au fric pharaonique, manne commerciale idem des produits dérivés, mondialisés, face à une forme protéiforme de pornographie horrifique, de noirceur eschatologique, à la beauté brutale, du mal, du mâle, modelée-animée par l’inoublié Rob Bottin. Songeur à la Sturgeon, sauveur à la Henson, le cristal, amical, combat le local, le létal.               

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