La Tête d’un homme

 

Un métrage, une image : L’Homme au crâne rasé (1966)

Tourné pour la TV, distribué en salles, voici un ouvrage séminal, de la filmo de Delvaux, de celle du pays aussi, rayon fiction. Qui commence sur un mec ensommeillé, un diminutif féminin murmuré, prière peu patibulaire, d’un professeur point profanateur, souvent en sueur, lesté d’une sensibilité trop lourde à supporter. L’odyssée au tiers temps en POV se termine à l’asile, il convient de s’occuper de son jardin, dirait l’autre voltairien, d’accepter une altérité d’identité, en clin d’œil bien rimbaldien. Le cinéaste mélomane adapte donc un romancier cinéphile, signe le texte d’une chansonnette à la Weill & Brecht, la maison de fous projette itou L’Opéra de quat’sous (Pabst, 1931), en sus d’actualités d’actualité, adieu à la culpabilité, au féminicide intempestif, fictif, bienvenue à une forme de salut, d’humilité à cultiver, au propre, au figuré, à fabriquer un familial et immaculé tabouret, dessein divin, soi-même assumé raté. Éclairé par l’incontournable Cloquet (Le Feu follet, Malle, 1962), incarné par l’excellent et intense Senne Rouffaer, vrai-faux sosie rajeuni de Paul Crauchet, L’Homme au crâne rasé comporte une invisible autopsie, un beau cerveau, met en abyme un masculin délire, grand petit précis très précis de pathologie, de romantisme sur le seuil de l’onanisme, je me touche, te touche, je transpire, tire. On papote à propos d’atrocité, de beauté, de cadavre, d’une dame, de l’âme, de sa localisation d’occasion, appendic(it)e, pardi, danse du ventre ouverte sur l’infini, tantrisme transcendé, Joy (Bergonzelli, 1983) rigole. Sur les nerfs à la Baudelaire & Apollinaire, l’idéal déraille, l’éclat provoque un chaud et froid, de l’effet, de l’effroi, l’ami de Dieu abrite en lui un nid de fourmis, ça grouille, ça dérouille, la passion sans rémission vient renverser l’ordre du home, de l’homme, de l’école. Delvaux explore avec acuité une psyché tourmentée, il délivre en sourdine une satire sociale, sentimentale, Baudelaire, les Belges, ça gamberge, une suffocation de saison, causée selon le rôle à jouer, à chanter, mari maniaque, père patraque, le masque à porter, la mise à nu de l’individu, coupe courte, au coiffeur, face au docteur, maître transformé sur le tard en bagnard, Hugo et ses increvables Misérables illico. Muni d’humour, le mélodrame de solitude, de solipsisme, place en parallèle un vibromasseur capillaire et un costotome funéraire, une secrétaire d’enfer et un imprésario pas catho, un macchabée humide et des godasses à la flotte. Quelque chose colle à la semelle, d’essentiel et d’existentiel, un appel ardent, hors du temps. Les types pathétiques, baisés en série, ne sauraient l’assouvir, l’image, dommage, demeure un leurre. Parmi les jours dénués d’amour, comment survivre, sinon à la Spider (Cronenberg, 2002) : renoncer, régresser, s’isoler, s’écouter, assister à un récital mini quasi Carrie (De Palma, 1976), illusions de jeunesse, de princesse, (dis)corde Hitchcock, Miss Tyszkiewicz, Madame Wajda, diva very Schygulla. Ni Les Risques du métier (Cayatte, 1967), ni Un homme qui dort (Perec & Queysanne, 1974), le titre précurseur de l’estimable auteur de Un soir, un train (1968) ou L’Œuvre au noir (1988) donne à (re)voir disons le somnambulisme d’une nuit, d’une vie, salut à Caligari, à entendre un écho de Vertigo (Sir Alfred, 1958). Quant à l’ultime plan, impressionnant, poignant, il traverse l’écran, il transperce à présent, paraphe la fatigue intime d’une tragédie drolatique.

Commentaires

  1. Beau texte dense, riche de perspectives multiples à réflexions, évocateur d'un certain passage sensible de l'autre côté du miroir. Et que dire du montage élégant et touchant de Suzanne Baron ?

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    1. Merci ; familière du cinéma de Malle, la Baron en question assura aussi l'assemblage songeur de Un soir, un train. De la coupe du coiffeur à celle de la monteuse, il s'agit ainsi de figurer de façon rythmée un "effondrement central de l'âme", disait le pas si marteau Antonin Artaud...

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