Les Nuits de Cabiria : Julieta

 

Suite à son visionnage sur le site d’ARTE, retour sur le titre de Federico Fellini.

Ton style c’est ton cul

Ton style c’est ton cœur

Léo Ferré

Les Nuits de Cabiria  (1957) croise Le Cheik blanc (1952) à La strada (1954), devine La dolce vita (1960), présage Juliette des esprits (1965). En dépit des apports de Pasolini & Rondi, il ne s’agit, cependant, d’une matrice apocryphe de Accattone (1961) ni Ingrid sulla strada (1973), à chacun sa représentation de la prostitution, donc. On peut un peu en plus penser à Pretty Woman (Marshall, 1990), surtout pendant le premier épisode un tantinet méta, toutefois le conte de fées sur fond de classes sociales, Fellini s’en fiche, a contrario de la dichotomie molto catho entre profane et (con)sacré, perdition et pureté. Item récompensé à Cannes, adoubé à Hollywood, désormais restauré mais toujours incomplet, quid du philanthrope aux troglodytes interlopes, jadis à la demande de l’Église censuré ?, la co-production franco-italienne, cogitée par l’incontournable et gros Dino (De Laurentiis), chronique le parcours tragi-comique d’une catin candide, d’une péripatéticienne plutôt sentimentale que sereine. Deux fois menacée, deux fois sauvée, en boucle bouclée, elle en bave, la brave Cabiria, elle part en autocar, en pèlerinage d’un autre âge, elle se désape, pas au propre, au figuré, en public, hypnotisée, ridiculisée, amitiés délocalisées à Carrie (De Palma, 1976), dont tout le monde idem rit, elle file une rouste à une rivale, elle cède à perte sa piaule en parpaings à une smala sympa, elle sourit, elle soupire, elle danse (Mambo à la Silvana Mangano chez Robert Rossen, 1954), elle doute, elle enchante, elle déchante. Résistante, résiliente, elle se fait baptiser contre son gré, dès l’ensoleillé, accompli en travelling panoramique, programmatique incipit, par son latin lover voleur et cynique, elle connaîtra, au terme du traquenard d’Oscar, incarné par un Périer retardé, suave et rusé, en coda de l’émouvant et amusant chemin de croix, sa sienne nuit de Gethsémani, au sommet d’une falaise d’hésitant et suant dessillement.



Parmi Les Nuits de Cabiria, on entrevoit (viva) Maria, prénom de madone divine et de martyre héroïne, on découvre un diable de music-hall, salut à la gosse sataniste, un brin à la (Mario) Bava, à laquelle succombe, en bagnole, décapité, le Toby Dammit de Histoires extraordinaires (Fellini + Malle & Vadim, 1968), hôte de spectacle médiocre, poignant et drôle, hallucination collective d’évocation en sourdine de Et vogue le navire… (1983), on avise un(e gueule d’) « ange » qui dérange (beau salaud de Giorgio), un « saint » malsain, on se situe sur la route d’Ostie, Pasolini y périt, on achète aussi sec des cierges en cortège, tant pis pour l’hostie. Escorté par un double et talentueux tandem, Flaiano & Pinelli au scénario, Martelli & Tonti à la photo, de Rimini le maestro immortalise et magnifie sa muse suprême, point passive, assez irrésistible, Giulietta Masina elle-même bien entourée par un impeccable casting choral, mention spéciale à Franca Marzi, lucide amie, putain opulente, actrice attachante. Le Capra de La vie est belle (1946) puis le Pasolini de Théorème (1968) croiront, selon leur façon, aux miracles, de solidarité céleste, terrestre, ou de communisme sexuel. Fellini, surtout ici, ne s’en soucie, puisque l’estropié, pieux tonton de proxénète, conserve ses béquilles, puisque « Personne n’a changé », en effet, constat déçu, de colère alcoolisée, que fera bientôt, en excuse pro domo, l’ensablé, dessoûlé, Marcello, himself face à une seconde enfant, cette fois-ci angélique. Si le Ciel n’existe, alors ne demeure que la ferveur ; si le Destin s’éteint, dévalué en « féminicide », la liberté renaît. Durant la dernière scène, en réponse à l’impossible suicide, à la déchirante déréliction, sorte de miséricordieuse correction à de Zampano la finale et lacrymale rédemption, à de l’infanticide du philosophe la déraison, l’increvable Cabiria, victime consentante, ex-noyée guère reconnaissante, petite propriétaire capitaliste indépendante, aux rêves conservateurs, de mari, de maison, de magasin, à faire peur, a fortiori aux féministes des seventies, revient sur ses pas, retrouve le sourire, certes humide, larme de mascara, merci aux aimables fêtards, à la musique tout sauf mélodramatique de Rota.


Soudain, en douceur, elle regarde droit dans la caméra de son caro Federico, elle nous prend à témoin de la poursuite du lendemain, de la salée saveur de la vie, de la survie, de la venue (de l’avenue) du jour d’amour et de désamour, à l’issue bienvenue du brillant voyage au bout la nuit. Poème en prose, élégant et précis, tendre et cruel, Les Nuits de Cabiria s’avère ainsi une fable affable du fidèlement infidèle Fellini, à sa cara Giulietta, à sa première manière de cinéma, à plus ou moins juste titre classée néo-réaliste, où l’art, y compris paupérisé, s’apparente à un miroir, où l’éternel retour des (dés)illusions, des génuflexions, des passes en camion, dommage pour la captivante et pieds nus procession, garantit, oui, la souffrance, et néanmoins, du même élan désarmant, accorde la grâce d’une seconde chance, in extremis, stoïcisme sudiste à la Sisyphe.                     


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