Le Professeur : Spider

 

Suite à son visionnage sur le site d’ARTE, retour sur le titre de Valerio Zurlini.

La chair est triste, hélas ! et j’ai lu tous les livres.

Mallarmé

Sous la pluie, toujours à Rimini, revoici Les Vitelloni (1953) de Fellini, cette fois-ci vieillis, grandis, en correspondance avec les Husbands (1970) de Cassavetes, médiocres et immatures amis en détresse, adeptes du fric, du trafic, de la fesse, de la vitesse. Contemporain d’un certain Le Denier Tango à Paris (1972) dû à Brando & Bertolucci, Le Professeur (1972) de Zurlini documente lui aussi la débandade des mâles, dès l’orée d’une décennie pourtant supposée celle des expérimentations sensuelles et de l’interdiction de tous les interdits, pratiquons donc la pédophilie, surtout en compagnie de Dany. Dans trois ans, la loi sur le X surtaxé en France affichée, fi des affiches explicites, vive les titres drolatiques, grâce ou à cause de feu VGE, séducteur ou imposteur, Minos défiera Belmondo, fera Peur sur la ville (1975), cherchera à en chasser la « boue sexuelle » des sales et salaces femelles, des sur pellicule professionnelles, cercueil selon Verneuil. Pour l’instant, l’arrogant, émouvant, Adalberto Maria Merli roule en coûteuse et sportive voiture rouge, joue aux cartes patraques, bénis-les de ta chatte, « truie » chérie, tant pis pour le beurre sur le postérieur de Maria Schneider pleine de (dis)grâce et de stupeur, se moque des dettes sous forme de chèques, qui se rachètent, multiplie les conquêtes qui s’achètent, tel le silence, pas la souffrance, et en sus, Voyeur (1960) presque à la Powell, projette à son cheptel, aux types épuisants, épuisés, précités, au creux de son appartement de parvenu, de m’as-tu-vu, de la lune de miel vénitienne virant vite à la sex tape avant la lettre. Car au cœur de la « mélancolie incurable » de la fifille tout sauf apaisée de prostituée renommée, au langage ordurier, au domicile de deal friqué, réside en effet un sordide secret, un gang bang commis, effectué, durant la minorité, par la bande inconsistante, inconsciente, mecs bruns + blonde dame idem, elle apparaît d’ailleurs sur l’écran personnel, décadrée par l’appareil.


On le voit vite, ce viol implicite, à complicité mutique, économique, tacite, tragique, à menace de climax, cristallise le climat dépressif de l’ensemble, lui confère un faux air de giallo ma non troppo pour ciné psycho, à trauma auteuriste. Et même si le sommeil, petit ou grand, trivial ou littéral, immobilise les délices des amants, les définit, à leur(s) corps défendant(s), en symboliques gisants, les deux scènes d’accouplements, assorties d’une mini-orgie funèbre, au sein des ténèbres, racisme à l’encontre de la danseuse à peau d’ébène, s’apparentent à des enterrements, des exténuements de morts-vivants, des noyades en tandem. Pas de préliminaires, pas de désir sur la durée, juste une froide fureur morose, une éjaculation précoce, un non devenu un oui, un impératif de continuer, défonce-moi, vas-y, interrompu par le fil ou le conflit du téléphone ou du vaudeville. On baise sur les braises ? On s’étend sur des cendres, celles du don, du pardon, de la passion, de la détestation, de la poésie, du temps imparti. Chronique d’une mort écrite, cousine idéalisée, adorée, suicidée, vaillamment et vainement versifiée, en rime à la gamine humide de la maison en ruine, d’un trépas programmatique, puisque collision de citerne-camion, à bonnes intentions fatidiques de post-baston antihéroïque, coda discrètement ironique pour le conducteur peu porté sur l’essence en raison de ses finances, cependant la sombre cérémonie démontrera sa famille moins démunie, Le Professeur diagnostique en surface et en profondeur le spleen du sperme, le cafard de l’art et du brouillard, les couples en déroute. Molto catho, tu nais pour souffrir, pour te repentir, remercie ton martyre, ravis-toi à l’avenir, il préfigure, certes en version soft, l’enfer facho du Salò (1976) de Paso.


À ta déprime en remède tu liras, offriras, du Stendhal ? Tu parles, que dalle, une seule nuit amie au prix d’un CV d’obscurité, d’absurdité, de pédagogie cosmopolite de dilettante, à demi. Le dirlo déteste Mao, arbore une main droite gantée de giallo, bis, une main gauche affreuse et baladeuse, dixit la figurante insistante, me too, je vous l’avoue. Les pseudo-lycéens fument et (se) manifestent, (se) consultent et contestent, Pétrarque, qu’il se casse. Daniele Dominici demande Le Figaro littéraire – Delon lire Libération ? Allons donc… – et Newsweek, chic, les parcourt en classe, questionne la taciturne trop discrète. Pourrait-il s’agir d’une seconde Béatrice, guidant notre ersatz de Dante à travers la forêt infernale, davantage la mer étale ? Restauré en 2019, flambant neuf, Le Professeur, au fond, ne professe rien de neuf, toutefois il constitue comme une leçon, sinon de démoralisation, au moins de cinéma, éclairée par le maestro Dario Di Palma, remarquez sa lumière liquide, d’aquarium intime. On y (re)découvre un incipit nautique, prophétique de celui de L’Enfer des zombies (1979) de Fulci ; on y retrouve le lampadaire nucléaire, sinistre, in extremis, de L’Éclipse (1962) du caro Michelangelo, Alain & Monica, ah ; on y adoube la bagnole du Borsalino (1970) de Deray, allez. L’acteur et co-producteur, accessoirement (dé)monteur, arbore une bague écarlate, jette sa pochette suspecte, sanglote aux strophes de Goethe, philosophe à propos d’un dauphin captif, enseignant remplaçant, inexistant, impatient, mari compatissant, complaisant, ta bonté déborde, m’assomme, lui assène sa jalouse épouse séparée, par son amant plaquée, censément suicidaire, type apolitique et fils apathique, tabagique, de papa para héroïque en Égypte, fichtre. Sa dérive sudiste, son blues existentiel, il les traîne escorté à la truelle du jazz d’un autre âge, de surlignage, dommage, composé par le papounet Nascimbene, connu ou écouté plus inspiré.


Vanina, quant à elle, lectrice de D. H. Lawrence, tu penses, aime les comédies, mais connaît le Vanina Vanini (1961) de Rossellini, voui. « On survit » résume Daniele/Delon, empêché par le sens du « péché », l’absence de « pureté », chez le romantique et néanmoins politique Manzoni ou bien sûr ici, au sein de ce coin guère serein d’Italie déserte et nordiste. Face aux « fumiers » de l’incestueuse communauté, à sa sienne homosexualité chaleureuse ou glacée, « Spider » versus Elvira, voilà, même la Madone de Francesca ne suffit pas, même un aveu amoureux, murmuré trop tard, sur le quai d’une gare. Passé par la prison, allons bon, le professeur amateur, intérimaire, tendre et amer, s’expose et explose, lettre anonyme, carburant en prime. Dédicacé par le cinéaste à ses propres parents, La prima notte di quiete carbure à l’inquiétude, à l’incomplétude, à la finitude, esquive la consolation, la crucifixion, la rédemption. Accompagnée tout au long des stations de son chemin de croix, au passage privé de sa vraie voix, par des partenaires de valeur, à la hauteur, mentions spéciales aux dames, Lea Massari, Sonia Petrovna, Alida Valli, au subtil et fragile Giancarlo Giannini, notre audacieuse et admirable star paraît entrevoir, voire prévoir, le désespoir du Notre histoire (1984) alcoolisé de Blier. Treize ans après le bel Été violent (1959), quatre ans avant du Désert des Tartares (1976) l’attentiste testament, Zurlini délivre ainsi une œuvre élégante, déprimante, stimulante, un instantané de ces années, une déréliction datée, un dégoût d’identité, en dialogue évident avec le Nous ne vieillirons pas ensemble (1972) de Pialat puis, d’une différente manière, avec, bis, de Cronenberg le rétrospectif Spider (2002). Ni Mourir d’aimer (Cayatte, 1971) inversé, ni annonce de Noce blanche (Brisseau, 1989), Le Professeur filme en définitive une faillite subjective et collective, une adulte errance délestée de seconde chance, en mélodrame maritime méritant largement son exhumation de saison, sa numérique résurrection et mes supplémentaires salutations au désormais plus triste que souriant Alain Delon.


Commentaires

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    1. http://finestagione.blogspot.com/2015/01/une-question-depiderme.html

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  2. https://www.parismatch.com/Actu/Societe/Alain-Delon-et-Jacky-Imbert-le-Samourai-et-l-immortel-1661222

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    1. https://www.youtube.com/watch?v=YDAntN0AVSw
      https://www.youtube.com/watch?v=fmqHxRPGzC8

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