Grand Prix : Go Fast
Du futurisme, en Ferrari, un écho à Monaco ? Plutôt l’expertise
holistique de Saul…
Moins connu que ses remarquables
contributions à disons L’Homme au bras d’or (Preminger,
1955), Autopsie d’un meurtre (Preminger, 1958), Sueurs froides
(Hitchcock, 1958), La Mort aux trousses (Hitchcock, 1959), Psychose (Hitchcock,
1960), Spartacus (Kubrick, 1960), West Side Story (Robbins & Wise,
1961), Les Nerfs à vif (Scorsese, 1991) ou Le Temps de l’innocence
(Scorsese, 1993), le générique de Grand Prix (Frankenheimer, 1966),
bien sûr signé Saul Bass, constitue quand même un chef-d’œuvre de poche, un
modèle de commencement, une séquence en soi dont célébrer la maestria. Le
graphiste renommé recroise donc la route du réalisateur presque amateur de Mon
père, cet étranger (1957), ensuite de L’Opération diabolique
(1966), items auxquels il collabore
encore. Après le fameux mammifère de la MGM, la mention copyrightée du « Cinerama »,
le bref défilé des interprètes en titre et cosmopolites sur un sobre fond
sombre, accompagné par un thème facilement identifiable de Maurice Jarre, au
creux du trou noir d’un gros pot d’échappement tout démarre. Exit la musique, apprécions le son, la
division, dans l’écran la multiplication des plans. Alors à la mode, on renvoie
vers L’Affaire
Thomas Crown (Jewison, 1968), adoubé par Pablo Ferro (Docteur
Folamour, Kubrick, 1964), ou L’Étrangleur de Boston (Fleischer,
1968), le split-screen poursuit la
géométrie, cède le cercle, remplacé par le carré. Le cinéaste de Phase
IV (1974), film de fourmis pas si mimis, s’intéresse aux textures, fait
le point sur des pneus, surtout ceux de Goodyear, placement de produit
pardonnable, sinon idoine. Bass entrelace avec aisance le documentaire et la
fiction, il associe aussitôt avec habileté la narration à l’instantané.
Poème mécanique, le prologue de Grand
Prix s’apprécie aussi en petit précis acoustique et ironique, notez le
pilote en train de protéger en situation son audition, souvenez-vous que lors
des courses les retransmissions à la télévision, le volume motorisé, assez
insupportable in situ, se voit vite
tamisé afin d’en rendre confortable le suivi à domicile, modification discrète d’une réalité
non plus « augmentée » mais diminuée. Surplombés par la présentation
du speaker, les coureurs occupent à
intervalles une semblable diagonale, manière d’en dynamiser l’immobilité. Un
panoramique express, au bord du
subliminal, amène un cadrage horizontal, profil de Garner Jim, flanqué de la
liste des professionnels de l’asphalte décalée à droite. Bass n’oublie la
présence de la presse, sa caméra à lui contre ses cameras à elle. Deux gros plans de gants jouxtent un battement
cardiaque, un ralentissement d’équipement, de masque automobile, avant qu’une
coupe à quatre-vingt-dix degrés ne vienne portraiturer un second sportif en
pleine panoplie, surmonté de l’intitulé « Visual consultant; montages, and
titles by Saul Bass ». Bass répète ce geste, le prolonge d’un pouce levé
devant une tête casquée. Le ralenti disparaît, le rugissement revient, la
fragmentation idem. Bass développe sa
délectable introduction par des surcadrages de rétroviseurs rivaux, des visages
quasi invisibles, des regards
inamicaux. Mains serrées sur le volant, compteur au comptant, bientôt compte à
rebours, public mutique, secondes énoncées de dos, en béret bicoloré, jusqu’à
la suggestive surimpression d’un cadran et d’un chronomètre, incises féminines,
enfin, au sein de cet univers very
masculin : l’orchestration de la tension conduit au climax du départ pas en en retard, accélère le rythme fatidique,
suite de plans montés cut (a)perçus
par le spectateur-auditeur via des
perspectives opposées, des échelles sensorielles plurielles.
Peuvent apparaître dès lors les
pancartes publicitaires des spécialisés
sponsors, puisque au signal donné, les bolides s’élancent, l’espace
s’élargit, le contrechamp topographie le célèbre circuit. Bass prend de la
hauteur, passe le relais, en énergique douceur, au sieur Frankenheimer. En
définitive, cet incipit en public, à
la fois austère et spectaculaire, solitaire et solidaire, immortalise une
double cérémonie, machinique et cinématographique, miroitement stimulant de
deux mécanismes basés sur le mouvement, l’isolement, l’ivresse et la détresse.
Car « sortir du (vrai) décor » équivaut souvent, voire évidemment, à la mort, transforme fissa l’habitacle en
cercueil, Ayrton Senna ou pas. En cinq minutes remplies d’un calme tumulte,
d’une anxiété rigoureuse, millimétrée, le début de l’oscarisé – récompenses
très techniques accordées au montage, son + image, au mixage – et en salles à succès Grand
Prix, abstrait, concret, consacre toute l’expressivité, ici en
« Super Panavision » exprimée, de Saul Bass, artiste jamais intrusif, toujours
au service des puissances poétiques et de l’harmonie thématique du sujet, des objets, de
l’ensemble annoncé avec son avérée, renouvelée virtuosité.
"au Mans, sur le circuit Bugatti et dans un atelier d'études de voitures. - Au cours d'un essai sur le circuit Bugatti, un jeune pilote de course brillant et déjà célèbre, percute un arbre en pleine vitesse; ses freins lui ayant brusquement fait défaut." Claude Loursais 1969... Avec Henri Serre, Claire Nadeau...
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