Vivre sa vie : Notre histoire
Suite à son visionnage sur le site d’ARTE, retour sur le titre de
Jean-Luc Godard.
Modeste, narratif, guère distancié (doxa paresseuse sur Godard), le film file
droit comme une balle, pour toucher en plein cœur le spectateur et cette pauvre
petite sœur de la nana de Zola, hélas ! Douze tableaux/chapitres, autant
de stations (christiques) pour cette putain sans lendemain, Marie-Madeleine
errante dans l’enfer hédoniste, pop
et brutal (Algérie du Petit Soldat rappelée) de la société
de consommation (sexuelle) advenue, sirène sublimée par la conscience réflexive/intertextuelle
de la « modernité » au cinéma. Elle fume, elle refuse d’embrasser,
elle se lave les mains, elle pleure devant Dreyer (nous itou), elle s’interroge
sur le cadre législatif de la prostitution (il s’agit d’une œuvre d’adoration
profane, non de dénonciation documentée ou documentaire), elle affirme,
stoïcienne existentialiste, la quotidienne, triviale, continuité de la
responsabilité, elle engage la conversation avec l’ancien professeur de
philosophie du réalisateur et découvre la nécessité du silence, de la distance,
de l’ascèse, afin de mieux revenir et mieux parler (filmer ?). 2 000
francs, 80 minutes, un patronyme imprononçable et une coupe à la Louise Brooks,
autre catin mythique pour Pabst : grandeur persistante de l’épure et
gravité tendre de la légèreté.
Nana et un client amoureux dans une chambre ; il lit les Œuvres complètes de Poe, elle regarde par la fenêtre,
songe à sortir, aller au musée goûter un peu de beauté. Ils se parlent en
sous-titres, tels Renée Falconetti et Antonin Artaud, auparavant mis en abyme
méta. Jean-Luc Godard, de sa voix (off) chuintante, narre Le Portrait ovale : « C’est notre histoire : un peintre peint sa femme.
Tu veux que je continue ? » Oui, lui répond doucement Anna Karina,
sans ouvrir les lèvres, elle idem. Double
aveu factuel et mortel, élégamment impudique, le lyrisme sensuel, coloré, en
Scope, du futur Pierrot le fou libéré du format carré sans horizon, du
noir et blanc racé de Raoul Coutard, des cadres serrés sur le visage et les
déplacements dans l’espace (du Paris gris des années 60) de la muse
mélancolique, petite fée/prostituée scandinave promise à un trépas, urbain et
cinéphile, relisant celui de Belmondo (essoufflé), deux ans plus tôt.
Un billard à l’étage (plus tard, l’héroïne au turbin sur le trottoir, on
apercevra derrière elle un bout de l’affiche française de L’Arnaqueur). Le mac (Sady Rebbot, pas encore Papa Poule) et son pote au prénom italien
papotent à une petite table, puis celui-ci se lève et mime un ballon en train
de se gonfler (car on sourit souvent dans et devant les premiers films de JLG).
Nana s’approche d’un juke-box (elle vend des disques chez Pathé-Marconi
et Jean Ferrat, discrètement goguenard, écoute au bistrot l’une de ses propres chansons
d’amour rouges), un morceau jazz de Michel Legrand (échos de Bach dans le thème
de l’égérie, prise de face et de profil)
débute. Anna/Nana se met à danser, à onduler, chorégraphie yé-yé assez risible
et grâce de ballerine, quand elle enlace un pilier (que les gentilles filles de
pole dance aillent se rhabiller). Godard joue les Demy à demi, immortalise et
remplace (point de vue subjectif en dolly) sa Lola à lui. On pourrait passer l’éternité à la
suivre des yeux, à épouser son sillage et son sourire, emporté par l’élan de la
tragi-comédie musicale – mais Une
femme est une femme, elle en mourra
presque aussi salement que Moira (Shearer), écrasée par le train féerique des
Archers (Les Chaussons rouges).
"le film file droit comme une balle", dans la réalité Anna Karina et sa fausse couche en panique sur le lit seule toute ensanglantée et JLG qui parait-il avait un film à tourner et s'était éclipsé...
RépondreSupprimerComme être humain, Godard ne sort guère grandi de cet assez bel album, surtout pour son comportement, ouvertement méprisant, à l'égard de la gracile (et courageuse) Mireille Darc, sur le set désagréable (et humide) de Week-end :
Supprimerhttps://www.cahiersducinema.com/produit/godard-au-travail-2/