La Colline des hommes perdus : In Memoriam of Debra Hill


Détruire, dit-elle, affirmait Marguerite Duras ; produire, plutôt, si l’on en croit le riche parcours de la regrettée Debra Hill…


Que reste-t-il d’une carrière de productrice ? Quels souvenirs de vous demeurent après votre disparition définitive, le corps ravagé par un ennemi interne ? Quelles traces ne s’effacent dans la mémoire et le cœur de cinéphiles sentimentaux, pas uniquement hexagonaux, qui firent pour partie leur éducation (flaubertienne ou autre) au cinéma dit d’horreur ? Debra Hill, on le sait, produisit La Nuit des masques (sa naissance à Haddonfield, la ville de Laurie Strode, l’aida un peu, sans doute) et Dead Zone, deux sommets passés conservant une insolente jeunesse, deux mélodrames d’Americana cristallisant brillamment le caractère anxiogène des banlieues résidentielles juvéniles (Tim Burton, adolescent, sculpte son gazon au coin de la rue) et la subjectivité métaphorique (Johnny Smith en voyant, en artiste, en martyr, en schizophrène) d’un Christ de middle class déguisé en précepteur solitaire et en David (contre Goliath et Cronenberg, bien sûr) médiatique (Donald Trump, avatar de Greg Stillson (of a bitch) se saisirait-il d’un enfant pour se protéger d’un tireur à la JFK ? On n’en doute pas une seule foutue seconde).


Amoureuse et collaboratrice de John Carpenter, lectrice assidue de Poe (remember l’exergue onirique des naufragés fantomatiques), Debra Hill co-écrivit Halloween (les accusations de machisme faites au script ne pouvaient que lui donner le sourire), participa ensuite à l’aventure méta de Fog (puissance du passé, de la parole, féminine et narrative, du cinéma symbolisé par presque rien, par un brouillard poétiquement inversé), au côté de John mais non plus avec lui (remplacée dans le cœur du réalisateur, en douceur ou presque, par Adrienne Barbeau, aussi brune que Debra se montrait châtain/blonde, aussi charnelle que l’ancienne élue affichait une silhouette fine et menue, telle Sondra Locke, angélique et masochiste, flanquée de son Clint sadique), qu’elle retrouva une quinzaine d’années après pour le dystopique, divertissant, roboratif et rageur Los Angeles 2013, une œuvre identificatrice d’une époque (et de son langage audiovisuel), à l’instar de Diary of the Dead ou Redacted. Ainsi vont les sentiments et les vies, sur l’écran et au-delà, ainsi s’enchaînent les films et les suites, celle dédiée aux aventures de Pee Wee, par exemple (le premier volet du vélo rouge suffisait pourtant largement, pas vrai, Tim ?), celle, inutile mais gentille, de Rick Rosenthal au souverain slasher de Carpenter.




Elle figure également (liste non exhaustive) au générique du sympathique opus de Banderas, La Tête dans le carton à chapeaux, développement vintage (et involontaire) de la dernière scène de Seven, à celui du passable The Fisher King : Le Roi Pêcheur du surfait Gilliam, produit par sa société indépendante fondée avec son amie Lynda Obst, du remake amorphe et brumeux commis par Rupert Wainwright (on lui pardonne) et du lacrymal (quelques minutes, notre patience s’amenuise) World Trade Center soufflé par Stone. Chris Colombus, Uli Edel, Robert Rodriguez (redoutable trio, en vérité), Disney (métrages à destination de parc) croisèrent son grand (et trop court) chemin, débuté par des postes d’assistante de production, de script supervisor sur Les Rues de San Francisco et des documentaires, puis ce dernier titre, assorti du valorisant assistant editor, pour Assaut (elle réalisa aussi des épisodes de séries à la TV).


Puissante à Hollywood (et Sundance), féminine davantage que féministe (mais bel exemple de ce que peut accomplir une femme dans un milieu essentiellement masculin), « actrice » à l’occasion (une voix d’ordinateur dans New York 1997, une mimine enfantine tenant un couteau de giallo sous le masque du gamin Michael Myers), Debra succomba en 2005 à un cancer, au milieu de sa cinquantaine, après trente ans passés dans l’industrie du divertissement étasunienne, qu’elle connaissait, pratiquait, avec une habileté, une présence et un engagement singuliers (guère enrichie par le succès commercial du premier Halloween, elle suivait de près ses productions, sur le plateau et en dehors). Aucun parent ne devrait avoir à enterrer son enfant (relisez Simetierre), ce que firent pourtant les siens, car il existe en réalité des terreurs bien plus impitoyables, bien moins abstraites, que The Shape, évadé de son asile et poursuivi par le bon docteur Loomis/Donald Pleasence. Un projet de documentaire « orienté » (tendance girl power, on en frémit d’avance) et ce texte parmi d’autres : moyens modestes, mais sincères, de saluer une vraie personnalité, de la mettre en lumière, reine de la nuit (des salles, des demeures obscures) et des journées (de travail), diverse et passionnée.

Peu importe une décennie : nous n’oublions pas et nous continuons d’aimer Debra Hill.                               

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