Rêves de cuir + Rêves de cuir 2 : Wet Dreams + L’Exécutrice


 « Rêver peut-être », à la Hamlet ? Célébrer l’obsession, saluer l’assassinat…


Rêves de cuir (1992) débute en stroboscopie, gare à l’épilepsie, en regard caméra d’au-delà, d’elle à moi, à toi, se poursuit façon snuff movie, ravissement envahissant. Leroi remercie Corman, se met en abyme à l’arrêt d’autobus, où le rejoint Zara Whites en robe immaculée. La VHS va vite dévier sa vie… L’œuvre valeureuse se souvient de Vidéodrome (Cronenberg, 1983), préfigure Ring (Nakata, 1998). Film fantasmatique, in fine fantastique, Rêves de cuir s’apparente à un art poétique, à un traité politique, à une dérive climatique, sinon océanique, cf. la célèbre scène bleutée, gantée, à bouche bouchée, à plusieurs jets, sa bande-son de ressac. Il s’agit par conséquent, au propre, au figuré, d’un blue movie qui (se/nous) réfléchit, d’un métrage méta, mental, déroulé à domicile, d’une réflexion en action(s) sur le X, ses délices, ses supplices. Même muet, Rêves de cuir s’avère constamment éloquent, surprenant, pertinent. Il excède le SM, il illustre une soumission, voire une addiction, audiovisuelle, existentielle, aux images, aux mirages. Au sein de cet univers malsain, mutique, autarcique, abstrait, les corps désincarnés pratiquent une mécanique automatique, robotique, silhouettes suspectes, à la gymnastique solipsiste. Plus rien n’existe, plus ne rien ne résiste au flux continu des projections, double sens. « Déjà morte au monde », dirait Sade, l’héroïne anonyme imagine, se voit imaginée, termine son odyssée de l’autre côté du petit écran, éternellement, détenue dévêtue, mélancolique plutôt que lubrique, d’un miroir fantomatique. Comme chez Cocteau (Orphée, 1950) ou Carpenter (Prince des ténèbres, 1987), le vrai-faux reflet, doté d’une nocive attractivité, de mains menaçantes, finit par l’enfermer à l’intérieur de sa fiction, de sa prison.

Flic factice à la Cruising (Friedkin, 1980), muni de sa casquette, de sa matraque, de ses menottes, le compagnon, peu dépité, mateur excité, imitatif, guère festif, en profite pour trousser la domestique un brin saphique, au moins en esprit, en pensée, en ombres chinoises chorégraphiées, humidifiées. Auparavant, l’ersatz de l’Alice de Lewis assistait, entravée, derrière une vitre de laboratoire du désespoir, à une double pénétration + fellation, se réveillait parcourue de frissons, rassérénée par le policier précité. Fable refroidissante sur la familiarité, l’étrangeté, la proximité, l’inaccessibilité, Rêves de cuir matérialise une trinité de pénis, à sucer, à éclabousser, mélange des régimes, épiphanie de l’énigme, avant que le piège, la portière, ne se referment sur la nouvelle victime, tant « l’empire de la tristesse », de la détresse, repose aussi sur la permutation, la substitution. Alors les drôles de rôles s’inversent, en servante, en esclave, se réinvente fissa la suspendue maîtresse. Dehors, inodore, indolore, l’incipit se reproduit, se modifie, mêmes espaces, gestes, différent personnage, idem au destin funeste. Dédié à Michel Ricaud, Rêves de cuir 2 (1993) se découvre en sequel infidèle, moins ambitieux, formellement, thématiquement. Rape and revenge avec une touche de Chabrol, il possède davantage d’humour que son prédécesseur, adresse des clins d’œil au Parrain (Coppola, 1972), fait le procès de l’hypocrisie, du puritanisme, du droitisme. Les notables minables, abominables, se voient dessoudés en série par une motarde impitoyable, très proche d’une artiste traumatisée, portée sur les noces féroces d’Éros & Thanatos, le bondage bienvenu. Désormais placés sous le signe du réalisme, à nouveau voici la vidéo, l’enlèvement, le royaume de la domination.


Commencé par une partouze, par un massacre, achevé par une évasion, Rêves de cuir 2 ne ressemble pas à un opus patraque, s’apprécie en divertissement inoffensif, un chouïa poujadiste, plaidoyer de défense pro domo. On y aperçoit une pancarte de The King of New York (Ferrara, 1990), private joke patronymique, mais Leroi règne là en mineur, of course interdit aux mineurs, mon cœur, joue au cascadeur, au pompier d’incendie à demi, feu aux fesses à festoyer, pas à éteindre. Une fois la cassette infecte (re)déposée, extrait du premier volet inclus, le voilà à bord de la bagnole de Tabatha Cash, boss sans merci, tandis que le mafieux méconnaissable, opéré subito presto, merci au commissaire marrant, magnanime, file vers les Caraïbes. Producteur, surtout du Sexe qui parle (Lansac, 1975), réalisateur, disons du réussi Le Démon dans l’île (1983), d’épisodes épuisants, épuisés, de la falote franchise Emmanuelle, monteur, scénariste, de ciné, de BD, Francis Leroi signa en sus une thèse sadienne, une autobiographie à feuilleter, étudia la philosophie, assista Claude sur Landru (1963), décéda d’un cancer à la soixantaine. Le diptyque Rêves de cuir constitue donc une excellente introduction à ses activités variées, celles d’un type adulte, lucide, audacieux, malicieux, cinéaste assuré, assumé, égaré parmi des milliers d’épiciers, aux films mainstream ou classés spécialisés. 


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