La Fille Rosemarie : Pretty Woman


Suite à son visionnage sur le site d’ARTE, retour sur le titre de Rolf Thiele.


« La vie est périlleuse au pays du miracle économique » : conte comico-cruel à la Brecht & Weill, La Fille Rosemarie (1958) affiche/affirme les liaisons évidentes, incestueuses, dangereuses, du capitalisme, du proxénétisme. Un « cartel » d’industriels spécialisés dans d’explicites « panneaux isolants », un « Lorrain » malsain, suave espion, une prostituée « pragmatique », in extremis pathétique, entrent en scène, se mettent en scène, baisent ensemble, se font baiser, disparaissent tous au sein de l’obscurité, derrière un rideau, dommage pour les phares à fond de la fraîche auto, appartement éteint de trucidée putain, alors qu’une seconde prend déjà sa place dégueulasse, disons de guerre lasse, épilogue dépressif de boucle bouclée. Conclu via une coda au désespoir partagé en public – « Si tu veux me sauver, il faut danser ! », impératif à la Nietzsche –, dotée d’une ivresse dostoïevskienne, où Nadja Tiller se révèle, excelle, cet opus précis, plaisant, ponctué de zooms pertinents, avant, arrière, matérialisation d’attraction-répulsion, dialogue à distance avec l’Italie hideusement hédoniste, faussement euphorique, du Fanfaron (1962) de Risi, comme lui se termine en drame, même en mélodrame, au sens étymologique, musical, car un tandem de chanteurs y joue les maîtres-chanteurs amateurs. La partition bruitiste, sarcastique, cf. la séquence au « concours hippique », de Norbert Schultze, le compositeur de Lili Marleen, mince, évacue ceux de Wagner, au lieu de Nuremberg, espace opératique, municipalité de procès, nous voici à Francfort, au milieu d’hommes forts, d’êtres morts, entre buildings, ruines. Ici, les grosses bagnoles noires ressemblent à des corbillards ; ici, l’argent dirige ; ici, s’organisent des parties encore plus pénibles, mélancoliques, que celle de Blake Edwards en 1968.





Fissa installée, au propre, presque au figuré, par un type marié, d’elle entiché, à sœurette complice, protectrice, affligée du confort effroyable de la modernité, à l’instar de l’amoureuse scandaleuse, aussi esseulée, de Tout ce que le ciel permet (Sirk, 1955), notre petite prostituée, vrai-faux ersatz de l’Olympia de Manet, croise la route, de manière littérale, d’un « intermédiaire » guère sincère, le sieur Fribert. Les ouvriers d’usine décident de faire grève, mais ni le propriétaire point patibulaire, ni Rosemarie en autarcie, en teutonne imitation de Mata Hari, ne s’en soucient, pardi. Tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes immondes, qui consomme de la fesse, se confie sur l’oreiller, monologue ses fadaises fadasses, de clients fatigants, fatigués, tous vêtus d’un identique pyjama rayé, fi du style Auschwitz, unisson du modèle Dalton, sans le sentimentalisme nocif, l’esprit d’indépendance, la peur, la souffrance, de la « cocotte » peu polyglotte, bandante détentrice de bandes décisives, cachées à la cuisine, confiées à un « étudiant » désargenté, renversé, pas si intégriste, plutôt altruiste, conscience morale in fine dansante, impuissante. Pour avoir trop prêté, trop interprété, Romy en meurt, victime d’un anonyme tueur, à cabine téléphonique, salut au John Lithgow de Blow Out (De Palma, 1981), « produit » recalé d’une « société » faisandée, hypocrite, amnésique. Outre proposer un étonnant, cohérent, triste strip-tease de ciné, droit dans les yeux malheureux, effectué par la fassbinderienne Karin Baal, La Fille Rosemarie cartographie ainsi une nation de division, de damnation, d’instrumentalisation, de collusion. Il le fait innervé d’une colère glacée, il constitue un recommandable cercueil-écrin pour une émouvante, éloquente catin, quatre ans avant celle, toujours en noir et blanc, cette fois française, de Vivre sa vie (Godard), idem primé à Venise.


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