Dune : Les Épices de la passion


Suite à son visionnage sur le site d’ARTE, retour sur le titre de David Lynch.


« The spice must flow », le flux du film aussi, c’est-à-dire celui du récit de la si sereine Virginia Madsen, descendante impériale remplaçant au firmament l’immortelle maman de L’Homme éléphant (1980). « The dream unfolds », affirme (saint) Paul, spectateur autant qu’acteur de sa « légende », « messie » de « prophétie », « dormeur » mis en demeure de « se réveiller », de vivre/suivre sa destinée, « élection » disons épicée. « Travelling, whitout moving », comprendre « replier l’espace », « voyager sans se déplacer », en d’autres termes, aller au ciné, se mouvoir, s’émouvoir, de manière immobile, face à l’épiphanie d’une mécanique quantique. Mélodrame militaire, opus œdipien, métrage méta, ce Dune (1984)-là, n’en déplaise au tandem Alejandro Jodorowsky & Denis Villeneuve, séduit, déçoit, odyssée ensorcelante, neutralisée, beau brouillon inabouti, ratage assez réussi. Lynch fit de la SF dès le prologue de Eraserhead (1977), on reconnaît Jack Nance, doté d’une irrésistible rousseur, un micro vintage + des méchants grotesques à la Blue Velvet (1986), un « Baron » au visage recouvert de lésions, John Merrick compatit. Smith & Sting semblent bien s’amuser, font certes sourire. Dans Dune, écoute casquée conseillée, le son, obsession du cinéaste, s’avère donc capable de destruction, à l’instar du Experiment IV de Kate Bush. Dans Dune, on relit en partie Lawrence d’Arabie (David Lean, 1962), son orientalisme, son clanisme, son homoérotisme, amitiés à José Ferrer, of course, on murmure ses répliques, on s’essaie à l’épique, on frise le parodique, on passe le test d’une boîte verte, pas bleue (Mulholland Drive, 2001), où mettre sa main droite, soumettre l’instinct, l’imagination, la suggestion, à la rassurante raison.



Intronisé stratège du tournage d’un autre âge, le spécialiste de la subjectivité, de l’intériorité, de la traversée des apparences, des souffrances, a fortiori féminines, Laura Palmer (Twin Peaks: Fire Walk with Me, 1992) en pleure, en meurt, se réfléchit à l’autofiction, se fait dérober le fameux « montage final ».  Il en résulte une impression de précipitation persistante, de bande-annonce géante : à l’image de la gamine moins monstrueuse que le morpion du premier essai, quoique, l’œuvre se vérifie divisée, presque avortée, trop tôt grandie, pas suffisamment mûrie, à la fois adulte, infantile, mystique, satirique. Dune, desservi, voire bousillé, par la BO molto rococo de Toto & Brian Eno, lesté d’une imagerie freudienne à la truelle, cf. l’émissaire de la Guilde à la bouche vaginale, les vers aux gueules rectales, ponctué d’un plan de goutte d’eau maladroit, à l’unisson, hélas, d’une célèbre publicité pour une marque de café, bénéficie toutefois d’une talentueuse armada, devant, derrière la caméra, possède cependant des éléments, des instants, intéressants, pertinents, je pense aux scènes maternelles, en compagnie de l’aristocratique Francesca Annis (Krull, Peter Yates, 1983), je renvoie vers la coda diluvienne, à l’océan issu de Solaris (Andreï Tarkovski, 1972). Au creux de cette co-production américano-mexicaine revient, aucun hasard, un avatar de l’escalier de l’adversaire vaincu de Conan le Barbare (John Milius, 1982), encore un conte d’éducation, de destruction, d’édification, à la Dino De Laurentiis. Dédié à son fils Federico, disparu dans un accident d’avion, produit par sa fifille Raffaella, Dune, film en effet familial, au propre, au figuré, offre un macabre caméo à la vétérane Silvana Mangano, épouse puis (« Révérende ») mère, en sus de celui de Lynch, mineur menacé de mort, mince.



Distribué aujourd’hui, Dune hérisserait sans doute les militants de l’antihomophobie, il ulcéra d’ailleurs le sieur Robin Wood, itou contempteur des items d’un second David, Cronenberg. Sorti sept ans après le sidéral, sidérant succès de La Guerre des étoiles (George Lucas, 1977), il ne s’adressait pas au même public, ni au moyen des mêmes thématiques, il ne pouvait par conséquent espérer rivaliser avec son dispensable prédécesseur, dommage pour le dear Dino. Adoubé par Herbert, lâché par Lynch, Dune ne mérite pas d’être admiré, d’être descendu, en chef-d’œuvre vandalisé, en vanité malvenue. Il convient davantage de le redécouvrir via la disponibilité estivale, de l’apprécier avec ses défauts, ses qualités, vrai-faux blockbuster au service d’un véritable univers, poème personnalisé doué d’un cœur, tant pis pour son anémie, sa tachycardie.


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