Volupté singulière : Je suis curieuse
Suite à son visionnage sur le site d’ARTE, retour sur le titre de Sven
Taddicken.
Disons-le d’emblée :
formellement, adverbe duel, Volupté singulière (2016) s’apparente
à un téléfilm de luxe, à rien de plus, rajoute le corbeau de Poe, aux
productions-diffusions du vendredi soir sur chaîne franco-allemande européenne,
ici financière. Ni l’utilisation soignée, scolaire, de l’écran large, ni un travelling circulaire à 360 degrés, au
sein d’un bar de confession, ni l’implosion au ralenti des accessoires d’une
maison ne font illusion, mais tout ceci ne saurait rebuter, priver du plaisir
relatif, éphémère, pris à suivre cette romance sur fond de violence, entre
quinquagénaires pas si austères. Ménagère maniaque et insomniaque, Helen
déprime, se définit comme « quelqu’un sans foi ». Aide-toi, le Ciel
t’aidera, oui-da – la voilà via la
radio à la poursuite du bonheur, à papoter puis plus puisque affinités avec un
professeur homonyme. Hélas, l’ancienne croyante découvre vite que le
spécialiste de la cybernétique souffre de paraphilie, fichtre. Face à l’accro
du porno, troisième élément du trio, un mari athée qui manie le tiroir
mutilateur, qui fracasse la face contre l’évier, qui, ivre de jalousie, conjure
le viol conjugal au profit d’une série de coups de pied fielleux. Un sac de
merde au masculin ? Assurément, et néanmoins un homme amoureux,
gastronome, capable de remords, de retourner in extremis sa détestation de soi contre lui-même, cf. son suicide
hors-champ. Sven Taddicken, passé par la TV, on le devinait, évacue la
caricature sans amortir l’outrage, instant sauvage équilibré-cristallisé par un
bouton de chemisier décousu au sol. Transposition d’un roman de l’Écossaise
Alison Louise Kennedy, son opus
rappelle un brin Breaking the Waves (Lars von Trier, 1996), fameuse martyrologie
féminine, sentimentale, et se conclut à l’instar du Locataire (Roman
Polanski, 1976), l’héroïne alitée, hospitalisée, momifiée, transformée en
« merveilleuse épave ».
Si Johannes Krisch interprète avec
justesse la brutalité, la tendresse ; si Ulrick Tukur, acteur solide et
sensible apprécié chez Costa-Gavras (Amen., 2002 ou Le Couperet, 2005), Florian
Henckel von Donnersmarck (La Vie des autres, 2006), Michael
Haneke (Le Ruban blanc, 2009) ou Sylvain Estibal (Le Cochon de Gaza, 2011),
assure en vrai-faux mentor émancipé par sa muse problématique, Volupté
singulière repose sur les épaules, les seins, le visage et l’audace de
Martina Gedeck, récemment célébrée par mes soins énamourés à l’occasion du Mur
invisible (Julian Roman Pölsler, 2012). Sa scène tout sauf obscène,
racoleuse, de silencieux strip-tease
intégral, topless, caméra à proximité
des fesses, devant des étagères livresques, constitue le sommet du métrage très
sage, ode à distance à sa présence, à sa puissance, à sa beauté incarnée, à
l’écart de l’athlétisme du X et de l’érotisme mainstream embourgeoisé. Laissons les mecs et les nanas de Télérama
trouver ça malsain, s’astiquer au contact du Grand Bain (Gilles
Lellouche, 2018). Les affichés feel good
movies, je m’en fiche, je les vomis, je sais cependant me réjouir de ceux,
au cinéma, au-delà, qui essaient de jouir à leur mesure, qui marchent vers la
lumière, qui ne craignent pas le mystère, quitte à perdre deux ongles, à
prendre des bleus, à s’infliger subito
un avatar du traitement Ludovico (Orange mécanique, 1971). Avec
sagesse, générosité, à défaut de la moindre surprise, Taddicken termine sa
double thérapie jolie au lit, profil de l’actrice, arrêt sur image, fondu au
blanc et tant pis pour l’éjaculation précoce, pardonnée en souriant, valorisée
en « hommage ». La meilleure part de son essai réside ici, dans sa
douceur, sa légèreté, sa seconde chance accordée au tandem adulte, in fine enlacé, ouf.
Film parfois drolatique, je pense à
la séquence de danse finlandaise, sorte de correction positive du ratage dépressif des Particules élémentaires (Oskar Roehler, 2006, Frau Gedeck incluse), Volupté singulière, outre proposer
un portrait de femme fréquentable, forte, fragile, animé par la discrète et
supérieure Martina, assorti d’une réflexion express sur « l’inquiétante »
normalité, témoigne de son temps, pratique un romantisme moderne, empreint
d’interrogations triviales, tu mouilles, ma chérie, de masturbation immédiate et d’épilation du pubis précise, proche de l’extase,
spectacle intimiste d’origine du monde jamais immonde, mise à nu du mont de
Vénus évidemment insupportable pour l’époux, remerciant hâtivement Dieu de lui
avoir rendu sa femme désormais méconnaissable, revenue telle qu’en elle-même
l’altérité la change et la révèle. Auparavant, le spectateur entend une valse
de Chopin, une citation en français, danke, de l’occultiste Grillot de Givry,
verra une pietà de performeuse maternelle sur
canapé, olé, un vieillard renversé dans son jardin, râteau planté dans le dos,
éden endeuillé en rime à celui de Une histoire vraie (David Lynch,
1999). Helene croque une pomme, nouvelle Ève de province, de Hambourg ou
Berlin. Le cinéphile n’atteint point le Paradis, peu importe, car la compagnie
de Martina Gedeck, durant une heure et demi, tournée vers la vie, vaut bien
tous les saints poussiéreux, les saintes absentes, suffit à le rendre un peu
heureux, parmi le gris après-midi.
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