Stereo : Amnesia


Suite à son visionnage sur le site d’ARTE, retour sur le titre de Maximilian Erlenwein.


Récit cerveau, dès l’intro, à moto, en techno, Stereo (2014) rappelle David Cronenberg, pas celui du film homonyme (1969), plutôt celui de A History of Violence (2005). Toujours trompeuses, les apparences rurales, idéales, dissimulent à peine un passé dont la griffe ne cesse de se planter en plein cœur des protagonistes, le Jacques Tourneur de Out of the Past (1947) ne nous contredira pas. Stereo se souvient aussi du Memento (2007) de Christopher Nolan, histoire sans cesse inversée, en différé, d’un enquêteur se découvrant in fine meurtrier, en rime à un certain Œdipe. Moins parricide et incestueux, davantage violent et misogyne, Erik, pas vraiment viking, père par procuration, mécanicien à l’excitante odeur de cambouis, accessoirement motard accumulant les amendes, se divise assez vite, aperçoit, court après puis discute avec le cynique Henry, prénom probablement emprunté au bon toubib Jekyll. Un Jiminy Cricket abject, une part d’ombre à la James Ellroy, le retour du refoulé selon Sigmund Freud, plaisantin autrichien ? Oui-da, un peu de tout cela, en outre un frère fatal, de funérailles, égorgé auprès de sa femme assassinée, couple incendié en écho embrasé aux flammes infernales servant de fond à la sodomie mozartienne, en mode Don Giovanni (1787), sidérée, hallucinée, de l’angélique, coquine, compagne maternelle, maternante, au papounet policier, ici souriante possédée, double sens, par le doppelgänger amer, sévère. Ceci, le spectateur l’apprend durant la dernière partie, règlements de comptes entre truands, entre gitans, amitiés à Tony Gatlif, entre impuissants, symboliquement, littéralement. Car le big boss morose, baptisé Keitel, à l’instar de Harvey, ah ouais, malgré sa menace d’envoyer fissa Julia « pomper toute la journée une cinquantaine de mecs au creux d’un bordel ukrainien », bigre, ne peut plus bander, peut tout juste marcher, tant pis pour la prostituée tatouée de piscine à la Tony Montana (Scarface, Brian De Palma, 1983), merci à la canne et aux pantoufles d’épouvantail vieilli en peignoir cramoisi.



La séquence de fusillade, filmée sèchement, rend à Erik sa précédente identité, son efficace brutalité, auparavant démontrée dans des toilettes suspectes, aux lampions de Canton. Le « mal incarné », au propre, au figuré, à la fois maladie et médicament, permet au schizo de mettre son adversaire KO, de venger le trépas fraternel. Une fois la fugue psychogénique, ave David Lynch, guérie grâce à une aimable aiguille, ancre de cou amarrant le navire mensonger de l’alternative réalité, Zile se révèle tel qu’en lui-même le tabassage le change, machine de mort dépourvue du moindre remords, quoique. En vérité, l’exécuteur voudrait arrêter, se réinventer, s’embourgeoiser loin de Berlin, enfin rangé, serein, élan renaissant de course nocturne au sein d’une forêt dantesque. Mais le droit à l’oubli, à la seconde chance, à l’amnistie de la vengeance, ne saurait exister au royaume déterministe du polar, de surcroît existentiel, peu importe les cinq années écoulées. La coda déride son désespoir puisque Erik, en train d’agoniser, imagine que Julia le sauve à son tour, in extremis, comme Eurydice ressusciterait son Orphée de boîte de nuit souterraine, chthonienne, pulsionnelle, où célébrer à plusieurs les noces d'Éros & Thanatos. Finalement, armé, désarmant, le liquidateur décède, sourire aux lèvres, son frérot fantôme à côté de lui, ensuite évanoui, cigarette de condamné parti en fumée. Métrage mental et mélancolique, Stereo se termine ainsi en mono, nous renvoie vers notre solitude, esseulé ou entouré, marginal ou inséré, crapuleux ou intègre, chauve ou chevelu. Bien sûr, l’ouvrage du scénariste-réalisateur Maximilian Erlenwein ne se hisse jamais au niveau des opus précités, destin/descente aux enfers à rebours emballé/e au moyen d’une routine de téléfilm soigné, scopé, d’ailleurs classé en Séries et fictions par la chaîne co-productrice.



Gardons-nous néanmoins de jeter bébé avec l’eau du bain, hein, soulignons la qualité de l’interprétation, de la bande-son, de la direction de la photographie. Discrètement parcourue par un air de cimetière, vent de limbes pour tandem d’âmes errantes motorisées, casquées, scindées, fracassées, en extériorité, en intériorité, l’odyssée mordorée, prétexte de psychopompe, bénéficie en effet des contributions concluantes de Jürgen Vogel (Good Bye, Lenin!, Wolfgang Becker, 2003 ou Zones intimes, Sönke Wortmann, 2014) & Moritz Bleibtreu (Cours, Lola, cours, Tom Tywker, 1997 ou L’Ange du mal, Michele Placido, 2010), de Petra Schmidt-Schaller (Sans identité, Jaume Collet-Serra, 2011), du compositeur Enis Rotthoff, du chef opérateur The Chau Ngo. Stereo incorpore en sus un accident de gosse évité de justesse, remember Simetierre (Mary Lambert, 1989), un médecin aryen à chaussettes insanes, une spécialiste de l’hypnose, de l’acupuncture, décoration à la Pinhead (Hellraiser, Clive Barker, 1987) incluse, un type en fauteuil roulant en devin ricanant, un mur d’écrans de revenant (Le Diabolique Docteur Mabuse, Fritz Lang, 1960), un retour en arrière éclairant à côté d’ellipses évocatrices, par exemple une dent humaine fichée dans une main guère sereine, au réveil en sursaut. Même lesté des réserves supra, même visionné en VF pour cause d’italien en LV2, même réduit au DVD, l’item de Maximilian s’apprécie à sa modeste et sincère mesure, petite tragédie teutonne au romantisme noir, au fatum métaphorique. On n’en finit pas avec soi, avec son idiosyncrasie, avec ses crimes d’hier et ses recommencements d’aujourd’hui, moralité laïque désenchantée d’un louable divertissement adulte, à l’immobile tumulte, aux visages valeureux et à l’humour triste, forcément funeste, de jeu sérieux. Viscéral, kolossal ? Alerte et sentimental…


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