Légendes d’automne : The Chow Must Go On
Nécrologie jolie ? CV à saluer.
La discrétion médiatique du récent décès
de Raymond Chow ne surprend ni ne choque : art amnésique, y compris lorsqu’il
pratique le piètre recyclage post-moderne,
le cinéma ne se souvient pas, oublie vite, chaque mercredi fait table rase en
espérant faire salle pleine. Passons sur cette situation, méprisons les
épiciers, congédions aussi la nostalgie – se remémorer Raymond revient à
revisiter une trentaine d’années de cinéma chinois et ceci ne sent la
poussière, point le sapin. Chow, on le sait, s’émancipa des frères Shaw, exécutif
homophone, créa la Golden Harvest en compagnie de Leonard Ho, second transfuge
spécialisé dans la publicité. Auparavant, le natif de Canton reçut une
éducation catholique, suivit des études de journalisme, étudia les arts
martiaux, trouva sa voie à la radio, via
le Voice of America de HK. Artisan d’une suprématie asiatique, celle de la Shaw
Brothers, enfin victorieuse de sa rivale la Cathay, Chow finit par s’installer
au sein des terrains de la vaincue, mais son horizon d’actions ne se limita pas
à l’ancienne colonie britannique, s’étendit jusqu’en Amérique.
Sa riche filmographie témoigne pour
lui, démontre qu’il ne chôma pas, même si Tsui Hark limite son rôle à celui d’un
décideur doublé d’un financeur. Ce type de producteur mécène représente de ce
côté-ci de la planète cinéphile, surtout auteuriste, voire subventionné, une
sorte de rêve indépendantiste, guère un motif de lamentations, alors que la
production, collatérale à la création, ne saurait, bien sûr, se résumer aux
cigares, aux dollars. Outre
concurrencer le marché, Chow investit, réfléchit, se fit des amis nommés Bruce
Lee & Michael Hui, débaucha Lo Wei & John Woo, séduisit la star Cheng Pei Pei et lança le cascadeur
Jackie Chan. Big Boss (Lo Wei, 1971), La Fureur de vaincre (Lo Wei, 1972) +
La
Fureur du dragon (Bruce Lee, idem),
Opération
Dragon (Robert Clouse, 1973), Le Tigre noir du karaté (Feng Huang,
1973), Princesse Chang Ping (John Woo, 1976), Mr Boo détective privé
(Michael Hui, 1976), Le Jeu de la mort (Robert Clouse, 1978),
Mr
Boo fait de la télévision (Michael Hui, 1978), La Dernière Chevalerie (John
Woo, 1979), Le Chinois (Robert Clouse, 1980), L'Exorciste chinois
(Sammo Hung, 1980), L’Équipée du Cannonball (Hal Needham, 1981), Zu,
les guerriers de la montagne magique (Tsui Hark, 1983), Police
Story (Jackie Chan, 1985), Les Larmes d’un héros (John Woo,
1986), Les Tortues Ninja (Steve Barron, 1990), Il était une fois en Chine 2 : La
Secte du lotus blanc (Tsui Hark, 1992) ou The Blade (Tsui Hark,
1995) doivent tous, de près ou de loin, quelque chose à Chow.
Longtemps la Golden Harvest ne se
soucia pas de distribution, ne dupliqua pas le système des contrats, connut le
succès, à domicile puis à l’étranger, se mit en retrait à partir de 2003, se
concentrant dorénavant sur l’argent, les écrans, le management. Ensuite, Chow la vendit à un homme d’affaires, à
un compatriote, et elle devint donc
Orange Sky Golden Harvest. Cependant ces histoires de sous et de fusion nous
demeurent anecdotiques, le cœur de la « récolte dorée » se situant
ailleurs, à une autre époque, quand le cinéma hongkongais s’affairait, s’exportait,
donnait à découvrir outre-mer un imaginaire et une imagerie majeurs, rivière
populaire de cinéphilie occidentale. Les titres cités supra, liste subjective, tout sauf exhaustive, suffisent à susciter
des réminiscences d’adolescence, à cartographier en accéléré un territoire
personnel et passionnel, à la fois sérieux, ludique, lucratif, vacciné contre
le cynisme. Moins obsessionnel qu’un David O. Selznick, moins aventureux qu’un
Samuel Bronston, moins touche-à-tout qu’un Johnnie To, Raymond Chow reste aimable,
incontournable et sa mémoire vive méritait bien mes lignes admiratives.
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