Deranged : Mother!
Ez à l’aise, tant pis pour Mary ou Sally…
Quatorze ans après Psychose,
huit mois avant Massacre à la tronçonneuse, Ed Gein la Guigne, célèbre taxidermiste
et décorateur d’intérieur œdipien un brin malsain, connaît à nouveau les
honneurs du cinéma dit d’horreur. Il voit donc de son vivant sa vie transposée
à l’écran ; précisons : reconstituée en mode docu-fiction avec les
libertés de saison (hivernale) et d’occasion (commerciale), autant que
délocalisée au paradis fiscal du Canada. Production indépendante désargentée, sous
l’égide du distributeur AIP, signée par des collaborateurs de Bob Clark au Black
Christmas
du même millésime, le méconnu, un temps perdu, Deranged évacue l’expressionnisme
économique de Hitch et le lyrisme hystérique de Hooper, ne se soucie guère de
dimension sociale mais conserve l’humour noirissime de son fameux aîné, de son scandaleux
contemporain. On sourit constamment, à ce portrait de psychopathe
sympathique, « type honnête » souvent invité par ses voisins prenant
son énoncée insanité pour une plaisanterie plus ou moins sinistre, désireux aussi
de lui trouver une moitié, à lui qui ne fait pas confiance aux femmes, sinon à
celle, spirite obsédée à défaut d’enrobée spirituelle, que lui recommandait sa
maman sur son lit de mort. Homme sans qualités, sans emploi, piètre
buveur-chasseur, Ezra Cobb décide un soir, un an après son inhumation, de
déterrer sa génitrice très puritaine, de lui refaire littéralement le portrait,
à la façon de Franju dans Les Yeux sans visage, via la face d’une ancienne prof
surnommée par les marmots « vieille peau », de lui fournir de la
compagnie dans sa chambre et à table, quitte à se déguiser en présage travesti de la risible théorie du genre. Une serveuse classée « à l’ouest » et une
future fiancée employée de quincaillerie feront les frais de son intérêt, de sa
folie impuissante et marrante.
S’étonner d’une alliance a priori
incompatible entre les catégories et les tons relève de la myopie, voire de la
naïveté, car l’imagerie horrifique sut assez vite inclure le rire, ou le rictus, par exemple dès les années 40
avec les parodies domestiques de la Universal, possible contrecoup régressif
aux atrocités bien trop réelles d’Auschwitz et Hiroshima, suivies par les pantalonnades
inspirées de Poe (Le Corbeau de Corman & Matheson, 1963), les canines
mélancoliques de Polanski (Le Bal des vampires dans le cou de
la Hammer en 1967) ou les jeux méta de Craven + Williamson dans la série des Scream
(1996-2011). Le caractère drolatique de Deranged, évident dans les
dialogues, les situations, l’interprétation, pourtant peu remarqué-prisé hier
ou aujourd’hui, s’avère renforcé par l’apparent sérieux de la structure et du
style adoptés, au carrefour du journalisme et du réalisme. Leslie Carlson,
bientôt Barry Convex dans Vidéodrome du compatriote
Cronenberg, joue les hôtes à lunettes, nous guide dans le dédale psychique. La
caméra du tandem Jeff Gillen/Alan
Ormsby (au passage scénariste de La Féline selon Schrader, en souriant
caméo photo de défunt) se fait discrète, se tient à distance, ne s’autorise
qu’un soupçon de ralenti expressif. Bien sûr, cette double objectivité
affichée, jamais intrusive ni laxiste, souligne en bonne logique contradictoire
l’artificialité de l’entreprise, ludique davantage que véridique, un carton
final le précise d’ailleurs aux inattentifs et corrige son homologue
introductif. Film soigné, film de brièveté, film porté par un crédible et
délectable Roberts Blossom, poète tardif
croisé chez Spielberg, Siegel, Carpenter, Scorsese et au générique de… Maman,
j’ai raté l’avion, Deranged permet en outre d’apprécier
les charmes différenciés de Cosette Lee, Marian Waldman, Micki Moore (en
sous-vêtements) et Pat Orr (piégée pour de vrai puis pendue par les pieds,
ensanglantée par Tom Savini, prophétie de sa consœur d’infortune dans Hostel,
chapitre II).
Ce métrage un peu trop sage, pas
assez personnalisé, mérite ainsi, cependant, sa redécouverte en ligne et en VO,
telle une parabole amusante et plaisante sur la ruralité, la religiosité, les
monstres familiers de la normalité, de notre solitaire et meurtrière modernité.
Afin de vous convaincre (ou décevoir) définitivement, veuillez, je vous prie,
visiter ici une petite collection iconographique, sise à l’intérieur d’une
grande, elle-même thématique.
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