The Revenant : Only God Forgives
Tout ça pour ça, ironisait Lelouch ; idem avec cette vanité d’enfant gâté à l’itinéraire balisé, surproduite et
survendue.
Printemps du Cinéma, séance à quatre
euros, « De Grands espaces, de Grands acteurs, de Grandes histoires, de
Grandes émotions... pour de Grands moments forcément sur Grand écran ! »
comme fanfaronne la FNCF (Fédération Nationale des Cinémas Français), un gris dimanche
après-midi, une salle provinciale remplie d’un public hétérogène et clairsemé,
une recommandation familiale, un réalisateur pourtant guère apprécié naguère, dans
son insipide et prétentieuse pesée des âmes – nous voici à proximité de l’issue
de secours (funeste présage).
Bandes-annonces bruyantes et
insultantes dans leur puérilité US, leurs bons sentiments dégoulinants, leur
morale manichéenne de malbouffe imagière, assorties d’un avertissement anti-piraterie
(ah, les déboires de la propriété moderne).
Puis le piège à Oscars et dollars lui-même, en VF, on s’en fout, dans
sa majesté de publicité, dans son mysticisme de marketing, dans son minable et interminable argument – « La
vengeance appartient au Créateur, à Dieu ».
Ils se mirent à deux pour commettre
un scénario résumable en une ligne risible, ils déboursèrent cent trente-cinq
millions de billets verts (co-produisent Arnon Milchan, on lui pardonne pour
Sergio en Amérique, et l’inénarrable Brett Ratner), en gagnèrent plus de quatre
cents, créèrent 15 000 jobs
(nous apprend le générique de fin qui n’en finit pas), enrôlèrent Sakamoto
(piano patraque) et… Olivier Messiaen (qui n’en demandait pas tant).
Ils racontèrent à ceux qui voulaient
l’entendre (la presse, principalement, surtout à la TV) les difficultés du
tournage (chaque matin, pour un salaire de misère, des gens se lèvent et
rentrent tard le soir, en France et ailleurs ; chaque jour, des enfants et
des vieillards luttent contre la maladie dans des hôpitaux appauvris en crédits
et personnels – quand on disposera d’un moment, on versera une larme de crocodile
sur les heures de maquillage endurées par DiCaprio l’écolo et sur la supposée
fatigue d’un cinéaste et d’acteurs bien payés pour le peu qu’ils font, entourés
en outre d’une armée d’assistants).
Au passage, pillage éhonté de
Tarkovski, à base de maison flambée, de flaque d’eau entre des ruines
religieuses (notez la cloche de Leone au ralenti), de lévitation féminine
(Scott et sa main lente de gladiateur dans les blés n’osa pas aller jusque-là).
Le souvenir vivace d’Anthony Mann,
avec une Winchester modèle 73 ou un appât blond (Janet Leigh, who else ?), d’Eastwood en
revanchard et utopique Josey Wales, de Cimino, chasseur de daim tout sauf
assassin, de Carpenter, survivant du Grand Nord, mais ici, pas une once de sens
de l’espace et du cadre (emprunts à répétition à Paolo Ucello, ses arbres
picturaux déjà chipés par Argento ou Chéreau), seule une insigne pauvreté de
langage cinématographique (plans d’ensemble, contre-plongées, gros plans de
visages en amorce, angles dits néerlandais, parcimonie des champs-contrechamps
en paraphe de la problématique rencontre des peuples) inversement
proportionnelle aux moyens déployés, à la machinerie indécente affichée,
cache-sexes de misère pour masquer l’indigence d’une histoire exsangue et d’un
projet purement pragmatique (faire décrocher sa statuette plaqué or à Leo, bon
acteur dans de mauvais films, puisque Hollywood, royaume de la
« performance » économique, raffole de rôles-simulacres de
handicapés, d’esquintés, d’endeuillés).
La tête d’affiche, desservie par une persona sur un seul ton, engoncée dans
un costume bestial lui conférant des faux airs de la « poule »
amputée par Tod Browning en coda de
sa parade monstrueuse, grimace, maugrée, feint la souffrance, se fait doubler, couche
dans la carcasse d’un canasson dalmatien (observez le ventre matriciel et le
couteau phallique pour l’ouvrir, symbolisme freudien du plus bel effet,
involontairement appliqué à une œuvre toujours régressive, jamais immersive, un
artiste, sincère ou pharisien, sans cesse trahi par ses outils).
Le sound design, assourdissant et abrutissant (au sens premier du
terme) possède une finesse colossale et surligne l’assommant spectacle, annihile
le monde montré, affreux brouet touillant sa prisonnière du désert (indienne,
renversement politiquement correct oblige) et son vengeur invincible
(Terminator & Rambo peuvent aller se rhabiller ou recoudre au diable).
Les personnages se réduisent à des
clichés d’illustrés (Tom Hardy, le râleur tueur, autant captivant qu’en
adversaire de la Chauve-Souris névrosée de Nolan, les marchands français, nantis
d’un irrésistible accent québécois), des silhouettes ineptes débitant des
dialogues lobotomisés (la palme revient aux monologues croisés des époux « interraciaux »,
fable panthéiste sur la solidité d’un arbre à faire rougir même un Malick, que
certains s’entêtent à prendre pour un philosophe, pire, un visionnaire, mot
tout aussi galvaudé que « univers », quand d’autres ingénus
confondent l’insupportable Tarantino, ex-gérant de vidéo-club, « cela et
rien de plus », pour détourner le corbeau de Poe, avec un historien
étasunien).
Alejandro González Iñárritu, dépourvu
de son habituel comparse d’écriture, flanqué de Mark L. Smith (auteur d’un
assez sympathique thriller sis dans
un motel, sur fond de snuff movie façon Haneke), se gonfle comme la grenouille de la fable et
joue les petits coqs techniques, avec la paresseuse linéarité narrative
retrouvée, avec des caméras-gadgets
aux noms animaliers (Bird View, Scorpio).
Poésie ? Putasserie.
Ampleur épique ? Inanité
cosmique (copyright à Gide).
Sublimation du paysage ?
Enfantillages de nouveau riche, de
parvenu de l’industrie du divertissement, qui croit délivrer une parabole à message sur le choc
des cultures, la solitude humaine au sein de la nature violée, souillée (Powaka,
la fille recherchée, se fait mettre à sec
contre un tronc, pour les deux du fond qui ne suivent pas), la rédemption du
pardon.
Mais l’éclaireur des trappeurs, pas
très éclairé lui-même, sinon il ne se trouverait pas là, ne nous emmerderait pas autant, devient in fine
un Ponce Pilate déléguant son châtiment aux « sauvages de souche »,
ces natives pourtant opposés à la
tribu de sa femme massacrée à l’ouverture, tant l’homme s’avère un loup (ou un
ours) pour l’homme (« On est tous des sauvages » repasse une couche
l’épitaphe blasphématoire et francophone au cou du cadavre brun du Pawnee pendu).
Peu importent sa langue, sa culture
ou sa couleur de peau, dans cet album simpliste sur pellicule glacée, avec son
attaque inaugurale louchant vers le Ryan de Spielberg (« J’en ai une plus
grosse que toi, Steve, contemple un peu ma virtuosité mexicaine ») plutôt que vers
son méconnu modèle par Pollack et ses scalps
(adoubés sur ce blog), sans parler de
son beau Jeremiah écrit en partie par Milius, à des années-lumière de cette bou(s)e
luxueuse.
Faux morceaux de bravoure (l’attaque
de l’ourse en plan-séquence, instant comique et pathétique, son efficacité
spectaculaire over the top rendue
caduque par l’abus de CGI et de câbles ; la chute dans puis au pied du
sapin, en rime exacte avec un plan à l’identique dans la resucée de
Blanche-Neige à venir), affrontement final un peu gore mais pas trop (ne pas s’aliéner le spectateur, ni le
tiroir-caisse avec une classification trop sévère), salut du protagoniste in extremis, prévu dès le début (comment
la star pourrait-elle mourir et
devenir antipathique ?) s’enchaînent dans ce fantôme (double sens du titre,
« Je suis déjà mort » affirme sentencieusement le héros) des
filmographies « adultes » et révisionnistes made in USA des années 70 (pas vu la mouture de Sarafian portée par
Richard Harris, contrairement au bon souvenir de Carroll Ballard parmi les loups).
Emmanuel Lubezki, au travail apprécié
chez Alfonso Arau vigneron ou Tim Burton décapité, amateur d’arbre de vie et de
gravité spatiale (aïe, aïe), s’entiche de lumière naturelle (John Alcott selon
Kubrick ?), tant mieux pour lui, tandis que Jack Fisk, connu depuis au
moins la naissance filmique de David Lynch (et cette chère Sissy Spacek, son
amoureuse d’alors), essaie de sauver les meubles, sans jeu de mots ou presque
(beau décor du fort, hélas tronqué ; évident souci, lorsque l’on se met à
louer la photographie ou la direction artistique d’un long métrage !).
Tout le bruit médiatique causé par
cette stupidité laisse aussi sidéré que Glass à la fin de son parcours
rancunier, regard caméra (contentement de soi défiant repris au gonzo et non à Jean-Pierre Léaud) bouclant la boucle avec celui de son fiston dans la
scène édénique/diabolique précédant le générique.
Répétons-nous, au risque d’en
froisser certains : ce cinéma-là ne nous intéresse pas et se dénomme ainsi
uniquement par abus de langage.
AGI, avec son ego hyperbolique, son
œcuménisme Benetton (langues rigolardes tirées à deux pour boire sous l’arbre
sacrificiel d’Andreï), son imagerie cosmique de lycéen bessonien (l’eau, le
feu, l’horizon, les yeux) et sa corporalité absolument désincarnée (le comble,
pour un opus se targuant de faire
dans la chair, y compris pourrie, garni de visages bien trop propres, juvéniles,
nourris et en bonne santé, sous leur couche de fausse saleté), sa technicité individualiste
de m’as-tu-vu, peut serrer la main à son compatriote Alfonso Cuarón et vite
s’en retourner dans son barnum transgenre (western
ou survival ou jeu vidéo) et
transnational (cosmopolitisme commercial), partir vite et (ne pas) revenir
tard, comme dirait Fred Vargas (le souvenir de l’adaptation par Régis Wargnier
effraie).
Certes, nous écrivons d’abord pour
célébrer, mais ce petit tartufe amnésique, « monté en grade » car
« oscarisé », méritait une fessée cinéphile ; ceci fait, passons
vite à autre chose et à l’évocation d’indiscutables talents, qui nous font
croire encore, à contre-courant, dans le temps présent, au « septième
art », irréductible à de tels injustes et pitoyables « succès ».
PS : le lecteur anglophone se
délectera itou de cette critique synthétique (on confirme que l’indigeste
soufflé, « en français dans le texte », retombe très vite, en effet) :
C'est vrai que des fois les soufflets qui gonflent tout seul (aidés par les médias et les langues trop pendantes) et qui nous gonflent vite méritent parfois d'être écrasés d'un bon coup, manière de bien montrer qu'ils ne sont rien ou si peu. (en effet -réaction au dernier paragraphe, voilà un type de texte auquel vous ne nous aviez pas habitué, de la célébration habituelle à la décérébration dénoncée voire engueulée) Ceci dit, Iñárritu, qui a son lot de navets mais aussi d'autres films par nous plus appréciés, et dont la manière lourde, limite ou grossière, nous est à présent familière, fait avec The revenant un film spectacle auquel je me suis laissé prendre. C'est impressionnant, les symboles donnent un peu de matière, c'est peut-être peu de chose, mais je ne boude pas mon plaisir. Et le soufflet qu'on aime ça ou non, ne pas trop se donner de peine, il retombe toujours par lui-même.
RépondreSupprimerMerci du commentaire, magnanime Benjamin. Je confirme votre appréciation finale, pas seulement en matière de gastronomie, du reste. Et je vous pardonne vos goûts impressionnés, car au nom de quoi (et de qui) devrais-je les condamner (ce qui ne m’empêche pas de refuser la moindre bouchée de ce chef étoilé en esbroufe, en malbouffe audiovisuelle déguisée en festin cinématographique) ? The Revenant, qui en effet mérite à peine qu'on y revienne, semble caractéristique (symptomatique) d'un certain cinéma contemporain, pas seulement hollywoodien. En parlera-t-on encore dans une décennie ou moins ? Osons prendre le pari (et le rendez-vous, à la meilleure table) que non. Pour l’heure, vous le constaterez, d’autres préoccupations, au cinéma et en dehors, monopolisent mon attention…
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