Lorelei : La Sorcière du Pacifique : La Fille sur le pont


Une mission, une invention, une trahison : la mutinerie ne gronde plus mais chante, dans cette allégorie spatio-temporelle destinée aux kids (Japs ou pas) d’aujourd’hui…


Shinji Higuchi vient de l’animation et cela se voit (trop) : son film souffre d’un regard plat, sans perspective réelle (graphique plutôt qu’historique), d’une approximation certaine dans le « rendu » des images (entre le jeu vidéo et le dessin animé, syndrome du cordonnier mal chaussé), qui en abolit, hélas, le « coefficient de réalité » (a contrario, on renvoie au imposants et documentaires La Bataille du Rio de la Plata des Archers ou au Tora ! Tora ! Tora ! de Richard Fleischer, Kinji Fukasaku et Toshio Masuda), mais ces défauts procèdent encore de la thématique abordée, tressage de cultures, altérité spéculaire, mise en relation d’événements improbables et d’une rigoureuse chronologie. L’uchronie martiale et mélodramatique – on pense à Nimitz, retour vers l’enfer, à The Philadelphia Experiment, au Maître du Haut Château signé Dick, avec la victoire avérée des forces de l’Axe –, judicieusement placée sous le signe de Crime et Châtiment (déicide et suicide, en (é)preuve d’affranchissement moral) fonctionne comme une catharsis nationale, un baume « révisionniste » (destruction nucléaire de Tokyo évitée in extremis comprise) à succès appliqué sur les blessures d’hier (à quand le classement des bombardements de Hiroshima et Nagasaki en « crimes contre l’humanité », concept bien-pensant cogité par les Alliés, qui ne se privèrent guère de le pratiquer à grande échelle et « les mains propres », du haut du ciel, envers les vaincus, jamais écrivains de l’Histoire, comme chacun sait ?). Film choral et individualiste, sous-marin et aérien, Lorelei : La Sorcière du Pacifique présente une tapisserie numérique jamais manichéenne, une plongée dans la mémoire collective et mondiale conclue par une poignée de main intergénérationnelle et pacifiée ; la discrète voix off du narrateur américain, bien moins prolixe et « planante » que dans La Ligne rouge, éclate de rire devant une photographie en noir et blanc révélant le vrai visage de la sirène mortelle des mers en guerre, symbole et enjeu du combat véritable.




Il ne faut plus sauver le soldat Ryan mais la jeune Paula Atsuko Ebner (débuts lumineux du mannequin Yu Kashii), mutante de Mengele, nymphe fatale à la Henrich Heine, vierge-vampire mourant de la souffrance qu’elle inflige, ses dons de médium causant sa perte (cf. Dead Zone de Cronenberg). Créature brune aux bandes de coton immaculées, à la combinaison noire de maîtresse SM, l’héroïne sans avenir, lestée par son passé, représente un « corps étranger » dans l’univers viril, voire homoérotique (nous souffle Ōshima) du submersible (Le Bateau de Petersen émet bien sûr son signal), à la fois sonar humain autorisant l’ancrage dans la sphère cyberpunk (Ghost in the Shell et in the Submarine, disons, mais pas celui, pourtant jaune, des Beatles !), étonnamment enracinée dans les expérimentations des « camps de la mort », et salut du Japon tout entier, Ève nouvelle chantant une belle berceuse – un temps attribuée par erreur à un certain Mozart mais composée par Bernhard Flies, ici interprétée par Hayley Westenra – pour tous les enfants, morts et à naître, de l’Archipel. Le meilleur du film réside dans ces moments suspendus où s’élève sa voix séraphique, signe de mort devenu son de vie, sur l’océan immense et mythologique (Ulysse et son retour vers Pénélope, tandis que l’impeccable Koji Yakusho, vu en flic dépressif dans Cure et Charisma de Kiyoshi Kurosawa, ne peut retrouver son Eurydice qu’enfoui dans les abysses (ceux de Cameron ?) de sa matrice), fille des eaux (territoriales) et du feu (atomique) autorisant les anachronismes (cartographie en 3D des « bâtiments » ennemis) et la sauvegarde mémorielle par le fils du couple libéré, au propre et au figuré, des liens de l’obligation de sacrifice (rancœur des kamikazes et seppuku balistique commis par l’officier fasciste, en émule de Mishima), avec une montre très symbolique pour relier les époques. Le film séduit aussi par ce brassage imparfait, maladroit mais généreux, d’imaginaires et d’héritages (notamment allemand, c’est-à-dire, pour le meilleur et le pire, romantique et nazi), de « régimes d’images » (archives, prise de vues réelle et CGI), de lucidité assortie à une naïveté assumée, s’achevant sur une plage peuplée par des gosses et un vieillard gaijin, attendrissante alliance par-delà (le bien et le mal) les massacres, les fanatismes et les navrantes batailles navales adultes… 

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