Carnival of Souls : Les Choses de la vie
Un accident de voiture, une rescapée troublée, la solitude ontologique et
le silence assourdissant du monde : brève « virée » sur la Lost Highway en compagnie de Mary et d’Audrey…
Dans un article clair, concis et
complet, paru un certain 14 juillet (Hasard ou Coïncidences, se demande
Claude Lelouch), Audrey Jeamart, amatrice éclairée de cinéma fantastique –
l’occasion de déplorer encore la carence des signatures féminines en ce
domaine, derrière la caméra ou devant le clavier –, revient sur Carnival of Souls, film
unique (dans tous les sens du terme) signé Herk Harvey, cinéaste-enseignant basé
au Kansas, spécialisé dans l’éducatif et l’institutionnel, emporté
prématurément par un cancer (il « incarnait » lui-même la
Mort ici), par ailleurs naguère remaké dans une production Wes Craven (on en
frémit d’avance, mais pas pour les bons motifs).
Ce diamant noir, maudit et modique,
« chu » d’on ne sait quel « désastre obscur » (Mallarmé sur
Poe), allégorie existentielle, séminale et méta qui montra la voie à Bergman (Persona),
Antonioni (Le Désert rouge), Chabrol (Alice ou la Dernière Fugue) et De
Palma (l’opus s’achève là où commence Blow Out et se déroule une séquence significative
de L’Esprit
de Caïn, là où se terminait Psychose, sorti deux ans plus tôt,
avec une Eurydice américaine prisonnière de sa voiture immergée, sans compter
le robe souillée de Carrie), que porte sur ses épaules et son inoubliable
visage l’émouvante, éphémère Candace Hilligoss, mérite largement sa
redécouverte, et la plume experte de la jeune critique vibre à l’unisson des
affres de cette pauvre Mary, morte qui s’ignore, survivante en sursis, bien
avant Robert Powell, Bruce Willis et Anastasia Hille (Le Survivant d’un monde parallèle,
Sixième
Sens, Abandonnée).
Après un rappel lapidaire de
l’argument, l’auteur revient sur le terreau (Clayton, Wise) et le sillage
(Romero, Carpenter, Lynch) d’une œuvre « expressionniste », souligne
ses dissonances (à l’orgue) avec La Nuit des morts-vivants,
s’explique sur de menus défauts (les scènes « psychanalytiques », à
prendre au second degré, comme chez Hitchcock) et parvient bien à retranscrire
le trouble central de l’héroïne, et du spectateur, cette étrangeté camusienne,
cette altérité fatale l’isolant du monde des vivants (ou donnés pour tels),
condition humaine et fantomatique explorée de nos jours, à satiété, par Kiyoshi
Kurosawa (disons Shokuzai).
La mémorable acmé du bal – on
croirait presque entendre l’air final de Shining ! – inspire notre
spectatrice-rédactrice, qui parle, à raison et avec justesse, de « folle
poésie », de scènes « parmi les plus effrayantes et les plus
surréelles du film » ; le texte s’achève par un paragraphe bouclant
la boucle, via un ultime renvoi vers
l’épilogue désespéré de la fable politique de Romero – on le voit, il faut
(re)plonger dans ce sépulcral carnaval des âmes (damnées), y suivre sans peur l’amie Audrey – dont il nous plaît de
penser, contre les faits, sans doute, qu’elle doit son prénom au superbe
mélodrame horrifique de Robert Wise, Audrey Rose –, guide précieuse et
talentueuse de ténèbres marines dans lesquelles, tous et chacun à notre heure,
nous finirons bien sûr par nous engouffrer, définitivement passés de l’autre
côté, comme le dessina/écrivit Alfred Kubin, comme le chanta, avec rage, Jim
Morrison…
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