La Marque du vampire : Melancholia


Derrière les apparences délicieusement effrayantes, la vérité historique (et physique) insupportable ; sous le mythe montré miteux, la tristesse des hommes se sachant mortels…  


Dans La Marque du vampire (1935), relecture « parlante » du perdu London After Midnight, Tod Browning, bien avant Hitchcock, Polanski, Craven et Kevin Williamson, pratique l’auto-remake et réinvente le cinéma méta (brillamment exploré, deux ans plus tôt, par Cooper et Schoedsack à la poursuite de King Kong). Le respect rassurant mais provisoire du « cahier des charges » du genre – château hanté, toile d’araignée, cierge phallique, séduisants prédateurs exotiques – vole en éclats durant la coda shakespearienne : le couple vampirique, gentiment incestueux, incarné jusqu’à la caricature par Béla Lugosi et Carroll Borland, met enfin bas les masques, se défait des accessoires de rigueur (dents et perruque, maquillage gothique). Comme chez Maupassant filmé par Ophuls dans Le Plaisir, la fête s’achève, la dernière danse (macabre) révèle sa rouerie : Browning, amoureux du spectacle, formé par lui, filme des comédiens un rien désabusés, embauchés pour les besoins d’une enquête policière, prenant le risque de détromper le spectateur mécontent, volontiers vorace dans sa naïveté (De Palma s’aliénera ainsi celui de Femme fatale).




Durant quelques secondes prodigieuses et triviales, ce cinéaste majeur, dont les mélodrames tératologiques nous bouleversent toujours (Lon Chaney, surtout dans L’Inconnu, for ever !), corrige son propre Dracula imparfait mais séminal, comme un aveu amer, comme une mise en garde adulte : les années 30, en Allemagne et aux États-Unis, voient émerger d’autres spectres bien plus réels et inquiétants, tandis que la carrière du réalisateur touche à son terme prématuré (après moult refus consécutifs au scandale de la magnifique Monstrueuse Parade, il ne tournera plus que deux titres, dont le drolatique et vengeur Les Poupées du diable, avec un Lionel Barrymore déchaîné). Lugosi, mémorable non-mort et morphinomane notoire, succombera à une crise cardiaque en 1956, Miss Borland, éphémère étoile noire, d’une pneumonie en 1964 ; quant à Tod Browning, inactif durant une vingtaine d’années, veuf reclus hébergé par son vétérinaire (on pense à l’existence terrible de William Irish avec sa mère), un cancer du larynx le rendra définitivement silencieux en 1962 (notez l’ironie de cette maladie, dont souffrit aussi un certain Freud, après les débuts dans le muet !). La marque du vampire ? Celle de l’existence, plutôt, fatale à chacun, hélas, dans la nudité des artifices… 

         

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