Lonely Places : Blow-Up
Descriptions de saccages et invitation au vagabondage…
Une chaise vide (celle d’Elsie chez
Lang, de Laura chez Lynch ?), une église esseulée (pléonasme, et un petit
côté Carpenter), un observatoire solitaire (sorte de bulbe incongru sous le
soleil irradié, à défaut des grands cimetières sous la lune de Bernanos), un
bocal létal et floral (contre une fenêtre pâle), une pièce au mur émeraude
écorchée (au réfrigérateur, peut-être, qui bée), un fauteuil gris et un rideau
cramoisi (la couleur assourdie par l’usure des jours), un disque d’horloge qui
jamais n’atteindra midi ni minuit (l’heure des nourritures terrestres et des
sabbats à senestre), un piano carbonisé (par des autodafés de partitions), une
salle de spectacle dévastée (autant que le proscenium
déglingué), un siège d’hôpital en ferraille (sculpture médicale caressée par le
soleil matinal), un couloir de la mort égayé par quatre taches jaunes (et un
pot de fleurs endormies), quatre colonnes à la Matrix soutenant un
plafond (probablement gorgé d’amiante), des structures métalliques (entre
l’installation d’art contemporain et le souvenir salissant d’abattoirs
rougeâtres), un joueur de baby-foot
nippon figé pour l’éternité (dans son apesanteur muette), le tricycle de Danny
Torrance (en déshérence), des escaliers à la Escher (les bombes à graffiti ne coûtent pas cher), une jambe
de mannequin gris (au tournant de sa vie), l’escalier écarlate de la maison des
Bates (cloison maculée du sang des bêtes par Franju), une chambre d’enfant
dominée par le bleu (des bleus à l’âme de Moretti), une enfilade en rouge et
pétrole (où courent les soupirs des mères grecques du coloré Dario Argento), un
jeune homme en vie dans un passage en ruines (son dos nu contre les parois
marbrées de lierre malade) et un téléphone ne tenant plus qu’à un fil (avec
personne au bout du fil)…
Poésie du désastre, romantisme et dreamurbex, cartographie des
catastrophes – et cependant, ces vingt-deux stations en enfer s’avèrent d’une
grande sérénité, d’un calme réconfortant, comme un point zéro (sis à
Tchernobyl, voire à Fukushima) à partir duquel repartir vers l’avenir.
Nulle énigme, ici, même si les
photographies, natures littéralement mortes, conservent leurs singuliers
secrets. Ces endroits supposés solitaires, en réalité bruissant de mille et un
spectres, une femme jeune et vivante les arpente sans peur (ou presque) et les
anime de sa présence humaine, une femme que l’on aime, que l’on lit, que l’on
écoute, aussi, par chansons interposées. Elle voudrait soigner par ses images
de blessures et d’architectures, elle joue les infirmières de l’univers des
fins dernières, elle se place derrière l’objectif pour mieux cristalliser sa
subjectivité. La technique, la « géolocalisation », les mobiles (du
crime scopique, puisque l’appareil, un peu avant sa petite sœur de caméra,
prend l’air, la vue et la vie), n’importent guère, à vrai dire. Il suffit de
parcourir la galerie numérique, d’errer à son rythme dans sa douce
eschatologie, de se perdre dans la villa
éventrée, à la suite de Delphine Seyrig égarée en boucle (d’oreille, de bande
magnétique) à Marienbad. Audrey au pays des horreurs assagies vaut bien Alice
et ses merveilles de Lewis (Carroll) shootant
les petites filles après l’école. Plus rien à saisir, l’existence déjà enfuie,
consommée/consumée (cf. Cronenberg et ses insectes ou son écriture « en
pattes de mouche », of course),
plus d’âme à voler mais l’horizon et le désir qui nous attendent tous au sortir
du bâtiment-tombeau. Vois-tu enfin l’invisible (hume son parfum italien), qui
nous attend sagement au-delà de tes vrais clichés ? Il appartient
désormais à ceux qui nous lisent et se rendront volontiers là-bas (avec ou sans
Huysmans), à leurs (beaux) risques et (tendres) périls :
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