La Légende de Fong Sai-yuk 2 : Sa mère ou moi !


Suite et fin des aventures d’un rêveur au cœur tendre, s’imaginant un instant sur le trône « royal » : et si grandir revenait à vaincre et respecter quelques hommes, à aimer plusieurs femmes, afin de mieux en chérir une seule, qui donne la vie et l’envie, surtout d’aller au cinéma ?... 


Jet Li, doté de traits harmonieux et d’un charisme franc, pour pasticher les propos du moine invité à la table de l’auberge, produit et rempile (encore un héros du folklore, après le Wong Fei-hong nationaliste de la saga initiée par Tsui Hark, il était une fois en Chine deux artistes talentueux ne se supportant plus).

On aimerait posséder une once de sa grâce dansante, de sa force martiale.

Observez : boîtier noir et jaune horizontal du DVD, dans un format dit à l’italienne, tel l’album péplum de Frank Miller.

Une version cantonaise, la nôtre, et une autre taïwanaise, dévoilant moins de nudité masculine au bain (celle du cinéaste lui-même, assassiné dans son film, comme Houellebecq dans son roman de carte et de territoire), avec la vraie voix de l’acteur en mandarin.

Ouverture et fermeture à cheval, pour un film qui va toujours plus vite que cette prose et sa lecture.

Flashes-back en noir et blanc du début ; l’impression, en chanson, d’un play-back mal doublé.

« Tu n’en as que pour ta mère ! » s’exaspère l’épouse (Amy Kwok, prix de beauté télévisé) sur sa monture.

Elle épousa un homme-enfant, bientôt convoité par la fille sublime (Michelle Reis, idem) d’un potentat local.

Drôle d’époque, voyez-vous : dynasties Qing et Ming, origines Han ou mandchoue.

Coffre de brocart – quel joli mot dans la VO d’un film d’arts martiaux ! – et communauté sous le signe du rouge floral.

Enjeu identitaire et pays d’adoption : le parrain Adam Cheng (redescendu de la montagne magique de Tsui) ne pactisera pas avec l’ennemi, prisant le riz d’ici.

Les rōnins, dépositaires de la preuve secrète, peuvent aller se faire voir ailleurs, retourner au Japon sur le radeau qui prend l’eau.

On suit les intrigues et l’on savoure les retournements.






Chaque scène d’action en « morceau de bravoure », chorégraphié avec une absolue maîtrise, du mouvement, de l’espace, du cadre, par le fidèle Corey Yuen, découvreur de star (Michelle Yeoh, au hasard) et concepteurs des combats ici ou là (à Hollywood, où se perdit Li, que l’on suivit y compris chez le gras Besson, mesurez notre admiration, dans son canin Danny, propre à rendre tout cinéphile « normalement constitué » purement et simplement enragé).

Le dragon et ses animateurs masqués à l’assaut du toit où badinent les amoureux incapables de s’embrasser, de se caresser (pudeur asiatique, ma mie, allant jusqu’à flouter la pilosité des bandes adultes).

L’affrontement sur la rivière, l’exquise navigatrice abritée par son ombrelle, la caméra entourant le couple au milieu de la lutte avec une délicatesse « à tomber », moment suspendu riche de son éternité cinéphile.

Les murs en bois pivotant dans la nuit, sous les coups aériens des assaillants.

Le concours des prétendants, dépourvu d’Ulysse, la fille du gouverneur amoureuse pour de bon.

La lutte finale du protagoniste avec le méchant aux sourcils épilés, au crâne glabre (maladie auto-immune de Chi Chuen-hua).

Importance déterminante d’Angie Lam (John Woo, Tsui Hark, Zhang Yimou) au montage, de Mark Li (Hou Hsiao-hsien et Wong Kar-wai, d’humeur amoureuse) à la photographie, de Leung Wah-sang à la direction artistique (Ching Siu-tung et Woo again).  

Le long métrage mélange les genres, avec une irrésistible gourmandise, passant de l’action à la comédie, du mélodrame au drame historique, exemplaire dans sa volonté de brasser entièrement les supposées catégories du cinéma, torrent prenant sa source au désir des images, à leur énergie vitale, laissant à d’autres les souvenirs parcheminés, les oraisons de saison.

Vingt-trois ans après sa sortie, il vibre encore de son élan, il s’offre au regard en généreux passeport vers ce qui fit la beauté hors de prix de cette cinématographie, que nous ne cesserons jamais de louer, tant pis pour vous.

Comme dans tout vrai film d’action, il faut savoir souffrir et faire souffrir.

Ah, ce dolorisme quasi christique (notez le Décalogue transposé), ce sacrifice dû à la parole donnée de se démettre si la mission échoue : contemplez le corps martyrisé mais pas condamné de Fong Sai-yuk, car le maître de la société rebelle retint ses coups, ne frappa guère de façon irréparable.






Alors le justicier, volontairement aveuglé pour se prémunir de ses adversaires, coquetterie graphique, iconique et métaphysique (la souillure du sang), peut s’avancer sans pitié, sous une pluie de feuilles d’automne, entre les rangs garnis de séides anonymes ; alors il peut tracer son chemin parmi une marée d’hommes à coups de sabre, en lointain écho à la rage du tigre du sabreur (pas) manchot et « homo » de Chang Cheh.

Mais que vaudrait tout cela, sans la présence de la légendaire (et drôle, et psychologue, « au civil ») Josephine Siao, de son personnage maternel, sauveur et sauvé, descendante issue de la lignée renommée de l’émérite monastère de Shaolin ?

Mater dolorosa d’Asie, elle se voit crucifiée dans les airs, ses bras écartelés par une corde en bondage obscène, des œufs jetés par les ennemis sur sa face défaite, en rime imprévue à Belle de jour, recouverte dans ses voiles par des paquets de boue fantasmatique.

Elle occupe le centre du film, qui bat au rythme de son cœur, partage l’insouciance, la colère puis, in fine, la sérénité de sa progéniture, ode mélancolique, ludique, virevoltante et tendre à toutes les mères légères, guerrières, cuisinières (cf. ce grand récipient de soupe apporté à son fiston, sur dos d’étalon, dans la steppe continentale).

Selon la formule consacrée des contes et du cinéma classé populaire, « Tout est bien qui finit bien » (sa variante HK : « Sécurité avant tout »), notre adulte en devenir déjà lesté de sagesse, de belle noblesse, avec ses deux femmes plus une, dans l’abandon des batailles, l’harmonie polygame et le retour à la ferme natale.

Il faut désormais cultiver son voltairien arpent régional, puisque « l’exercice a été profitable, Monsieur », à l’instar de l’aveu du gosse orphelin, cependant épanoui, au paternel et complexe Stewart Granger, du côté aventureux et initiatique de Moonfleet…     
              

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