The Park : Photo Obsession


Pas de Massacres dans le train fantôme à la Tobe Hooper, mais comme le faire-part de décès d’un certain imaginaire endogène, voire parasitaire, autrefois inspiré, tellement séduisant dans son audacieuse démesure et son affolant mélange des tons. Requiem pour HK via son cinéma ? Oui, un peu de cela, hélas !...    


Les voies du Seigneur demeurent impénétrables, dit-on ; celles du « septième art » aussi. Il faut ainsi endurer quatre-vingts longues minutes avant d’assister à un moment de grâce : l’héroïne, à la recherche de son frère retrouvé (témoins, gamins, d’un « accident » depuis une grande roue), photographie chacun des spectres du parc d’attractions afin de les libérer, le charme maléfique enfin brisé par la fumée du foyer, sur l’autel maternel. Les enfants perdus de cette cité ressassée, soporifique plutôt que ludique, à la 3D anecdotique (pléonasme), flanqués de leurs parents, sourient à tour de rôle face à l’objectif, ronde apaisée dans l’élan ouvertement sentimental du morceau musical de Chan Kwon Wing et Ken Chan. Pour le meilleur, le film d’horreur vire au mélodrame, vrai fondement d’un « genre » injustement décrié malgré ses innombrables « déchets » (dont celui-ci, rédimé in extremis). Les âmes en peine, amies, inconnues, connaissent le répit et la malédiction se rompt – la persistance (rétinienne et mémorielle) des fantômes atteste d’une survivance, optimisme de l’épouvante magistralement illustré par Kubrick à l’Overlook.


En dépit d’évidents défauts, de tares rédhibitoires (une esquisse de scénario, une distribution défaillante, un épilogue « mécanique » absurde et convenu), le film d’Andrew Lau, remarquable et remarqué directeur de la photographie pour Sammo Hung, Ringo Lam et Wong Kar-wai, surtout connu en tant que réalisateur du surestimé Infernal Affairs, vaut itou pour sa lumière, signée lui-même et Ng Man Ching, quelques légers travellings, un ou deux plans au grand angle d’un décor funèbre pas assez exploité par cet exemplaire confidentiel d’une production à peu d’ambition et de frais. La poésie du deuil et de la transmission y entre comme par effraction, parmi l’obscénité inoffensive du cadavre ensanglanté d’une gamine, l’ennuyeuse routine d’un body count (décollation incluse) au christianisme plus discret que celui de Scorsese (ou Woo, histoire de rester en Asie), la « monstruosité » naturelle d’un visage à lui seul effet spécial (le gardien endeuillé des lieux). Bo Bo Chan, actrice éphémère retirée suite à un « scandale sexuel », chante mieux qu’elle ne joue, et la vétérane/« sorcière » Kara Hui pleure sans effusion la disparition d’un fils (elle mourra dans les bras de sa fille agenouillée, touchante pietà inversée). L’un des jumeaux Pang (dispensable car esthétisant Ab-normal Beauty) monte avec des moufles tandis que la réalisation frise (pratique) le filmage à plusieurs reprises.


The Park, lesté de son incontournable cimetière profané, de ses adolescents orphelins si stéréotypés, de sa romance impromptue (Shan épris de Pinky), de ses murs dotés de bras (maladroits) à la Cocteau, de son doublage cantonais d’un tournage thaïlandais, pourrait facilement figurer dans la filmographie utilitaire de Wong Jing, l’ancien partenaire commercial de Lau, et trouve in fine son réel sujet dans sa propre débâcle. Ce vain avatar d’Histoire de fantômes chinois statique et aboulique présenté à Sundance, quasi DTV à la limite de la DV, empruntant notamment à Ju-on, présageant le paresseux POV de [REC], constitue l’ombre/l’ersatz/le rejeton anémié du grand cinéma de HK des années 70-90, populaire et spectaculaire, calligraphique et lyrique. Les flics et voyous spéculaires revisités par Scorsese purent donner l’illusion d’un deuxième souffle (pas melvillien), d’une renaissance en salles. Cependant, phagocytée par la Corée (du Sud), la Chine (auteuriste, voire financièrement alliée aux USA), le Japon (la douce et domestique présence finale des esprits rime avec Vers l’autre rive), la cinématographie hongkongaise s’apparente désormais à un parc de désolation, un musée mélancolique où croiser les reliques de Frankenstein, la Momie, Freddy ou l’Exorciste chinois, un territoire des morts exsangue et atrophié, que ne viendra sauver nul chapelet (ni crucifix).


Naguère, dans le talentueux Talisman des territoires, Stephen King et Peter Straub contèrent de concert, le même endroit méta en point de départ, l’émouvant roman initiatique d’un gosse de douze ans essayant, au moyen d’un périple en miroir, de guérir sa mère atteinte d’un cancer. En 2005, Mark Duffield délivra sa version, sympathique mais inconsistante, de la fameuse légende locale (thaï) d’une amoureuse protectrice et rancunière, sobrement intitulée Ghost of Mae Nak. Dans un autre registre, les clowns lubriques et surréalistes de Gregory Dark – qui commit l’anodin See No Evil, prévisible pochade œdipienne et puritaine nantie d’un clin d’œil nostalgique à la trop belle Lea Martini, mannequin so (porno) chic incitatrice de l’onanisme autiste, châtié, de Jacob – égayaient/inquiétaient sa série classée X des New Wave Hookers. Citons, incitons à la rencontre avec ces trois œuvres davantage qu’avec The Park, dont l’accroche publicitaire française du DVD, serti dans un simulacre de reliure livresque, assorti d’une double paire de lunettes bicolores, résume et avertit sans le vouloir (?) : « Vous ne ferez pas un deuxième tour » (de manège sacrilège)… 

Commentaires

  1. Cela me donne pas l'envie de le voir malgré que je le possède (acheté au marché aux puce,emballage d'origine). Par contre je ne suis pas réellement d'accord sur Andrew Lau a propos de INFERNAL AFFAIRS qui pour moi côté H.K est un petit bijoux, je n'en voit guère de meilleur côté polard évidemment même si on inclut sa filmo (merci de l'avoir préciser qui l'était le réal de THE PARK, je n'avait pas regardé) même les derniers vu comme FIRESTORM ou THE WHITE NARCOTIQUE ne m'enlève pas la surprise INFERNAL AFFAIRS de la tête.

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    Réponses
    1. Quelques gouttes de grâce fugace dans un ruisseau de paresse...
      Oui, le film d'infiltrés de Lau ne manque pas de fans, dont un certain Scorsese, mais il me sembla lisse et assez insipide. En matière de polar HK, outre les titres indispensables de John Woo - The Killer, chef-d'oeuvre absolu -, et dans un registre moins lyrique, on peut davantage conseiller les longs métrages urbains, nocturnes, adultes et tendus de Ringo Lam (Full Alert, par exemple) ou Johnnie To (PTU, notamment)...

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