Non-Stop : U.S. Marshals


Suite à sa diffusion par TF1, retour sur le titre de Jaume Collet-Serra.


Premier plan : un pare-brise perlé de pluie. Dans l’habitacle, Liam Neeson boit de l’alcool avec dégoût et caresse du pouce le portrait photographié d’une enfant. La carlingue dupliquera bientôt l’espace réduit et fermé, le flic des airs hissé contre son gré vers un huis clos agité de turbulences dans le sillage dépressif, paranoïaque et revanchard du 11-Septembre. Les serviteurs de l’ordre arborent des gueules de taulards et les musulmans (barbe drue et signe religieux ostentatoire sur le crâne, un croyant d’Orient perçu par Hollywood, donc) se révèlent (fi aux préjugés) des scientifiques puis des médecins improvisés. Les « textos » donnent le tournis à la caméra, viennent s’incruster sur l’écran, dialogue silencieux, respectueux et menaçant. L’instituteur à lunettes, qui demandait du feu (toujours se méfier des inconnus, surtout au bord d’un aéroport), voulait venger son père disparu dans l’effondrement des tours orgueilleuses, dénoncer le mensonge étatique sur l’impossible sécurité américaine (argument retravaillé en mode « marxiste » par un épisode à la limite du plagiat de la série Castle). Son dévolu se jette sur un « type bien » dont la gamine succomba à une leucémie (bel éclat, entre la confession et la harangue, aux passagers sur le point de le lyncher, souligné par les cordes épiques et sucrées de John Ottman).



Le corps de l’acteur, colosse fracassé par un drame intime, lutte contre la promiscuité, le manque d’air, les « vidéos virales », les représentations (à vivre dans le regard des autres, on finit toujours par se réduire à une image, morale du grand et du petit écran). Il fume dehors et dans les toilettes (message sanitaire de décharge du générique !), y abat à mains nues un collègue félon (modèle de violence sèche découpée avec adresse), dialogue avec le capitaine réfugié/bouclé dans son cockpit (judas ingénu et sarbacane létale : où vont-ils chercher tout cela ?). Une hôtesse tutoyée, une gosse réconfortée (belle idée du talisman sous la forme d’un bracelet bleu) mais pas dupe (« Vous essayez de m’embobiner »), une rousse voisine de traversée (Julianne Moore, excellant ici dans la dite « figuration intelligente »), l’accompagnent dans son voyage vers la lumière, après les ténèbres du désespoir, de la déréliction, de la solitude haïssable. Le réalisateur n’atteint certes pas les hauteurs ironiques et historiques de Sans identité mais résiste bien à la « pression » de Joel Silver, StudioCanal et TF1 Films Production (redoutable trinité, en vérité !), la chute de l’avion à une altitude moindre pour mieux résister à la déflagration de l’explosif en métonymie de cette entreprise à succès (commercial, pas critique). La bombe, dissimulée dans une mallette remplie de drogue, peut aussi servir de métaphore : sous les atours spectaculaires du thriller, une allégorie de renaissance, sous la relecture du dispositif multiple et ludique cher à une certaine Agatha Christie, le portrait d’un comédien et d’un homme parmi les plus attachants du moment.



Collet-Serra filme Neeson avec amour, empathie, précision, et celui-ci laisse transparaître admirablement ses fêlures, sa rage désabusée (combat à trois puis à quatre adversaires). Tandis que David Hemmings (oui, le photographe « mateur » d’Antonioni), dans Le Survivant d’un monde parallèle, transformait le vol en aventure existentielle, le crash finissant par rattraper le rescapé inconscient de son trépas, notre cinéaste donne brièvement dans le méta – le film d’action, voire étiqueté catastrophe, en terrain de jeux grandeur nature, le spectateur aussi indemne que les membres d’équipage dévalant le toboggan gonflable –, pratique la conjuration inoffensive du trauma surpassant le cinéma, lui empruntant jusqu’à son imagerie (les deux sous-genres en véritable école du terrorisme numérique et médiatique) et s’oriente in fine vers la romance. Parvenu en Islande, pays de glace réchauffé par une femme elle-même blessée, à la chevelure de feu, à la trachéotomie presque aussi sexy que celle de Liz Taylor, préférant le hublot au couloir, si elle devait mourir aussitôt, le marshal retrouve le sourire (cabossé, sincère) dans l’immensité du champ des possibles.



Pour cette expression ultime, ce nouveau départ sous le signe de l’humour (« Madame » désuet, officiel, façon John Wayne) et du mystère érotique (de la prochaine destination, de la rencontre adulte), on s’avoue volontiers prêt à pardonner un scénario à rallonge (faussement tragique, avec son unité de lieu, de temps, daction) et des CGI hasardeux (surtout après l’écrasement sidérant filmé en « temps réel » par Alex Proyas pour Prédictions). Non-Stop fait enfin escale, au pays du film à rêver, prend le temps de la légèreté, presque du badinage, et Jaume clôt en beauté un nouveau chapitre de l’autofiction de Neeson, ce Liam un temps suspecté de détournement (origine irlandaise oblige !), homme rendu à la terre et à l’espoir, à la chaleur des vivants (à l’amour naissant de Miss Moore, par conséquent). Au cinéma et ailleurs, la grâce tient à peu de chose, et cette coda récompense le spectateur d’une œuvre imparfaite mais soignée, divertissante et parfois grave, poème mécanique et populaire, petit film (relativement) coûteux, humble et solaire, brodant sur Icare & Eurydice, quelque part entre le naufrage et l’assomption, l’envoi ad patres et la promesse d’un « septième ciel ». On attend donc, avec une impatience mesurée, de découvrir Night Run, dernière collaboration en date entre l’artiste et son modèle, course nocturne à base, dit-on, d’insomnie et de rédemption…

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