Girl in the Park : La Cité des enfants perdus
Comment réapprendre à vivre après l’indicible ? Le « drame
domestique » tourne vite à la redite convenue et aseptisée, mais l’unique
survivante du Nostromo lui confère heureusement un « cachet »
particulier…
Méfions-nous des enseignants qui
écrivent (Mallarmé en suprême exception) et des dramaturges qui réalisent (leur
désir inavoué ?) des films : David Auburn, détenteur d’un Pulitzer,
élabore en trois actes – séparés par seize ans, une année, deux fondus au noir
– un récit de résilience et de renaissance après la perte d’une enfant (sujet
scandaleux propice à tous les traitements obscènes, ceux, par exemple, des
téléfilms pour ménagères dépressives diffusés l’après-midi à la TV française, à
des années-lumière du Lang de M le maudit). Le parc homonyme possède
une aura sinistre, ciel gris, vent
d’automne, solitude après les jeux des gosses et la surveillance papoteuse des
mères. Il suffit de quelques secondes à peine à Sigourney, détournée afin de
ranger ses affaires, pour que l’irréparable se produise, advienne littéralement
dans son dos, au sein anxiogène du hors-champ. Allées vides, passants
indifférents, feuilles brunes fragiles souffletées par l’air mauvais ; la
scène primitive du rapt et du trauma
s’achève sur un inutile cri maternel. Pas de « travail de deuil »
puisque pas de cadavre (le présumé meurtrier décédera en prison, incise
anecdotique du dialogue). Puis surgit une jeune femme « à problèmes »,
voleuse et menteuse, parasite de partenaires (sexuels), assortie d’un frère malade
porté sur le Scrabble. De Louise à Maggie (d’une clé domestique à une
décoloration capillaire), un glissement de prénom parviendrait presque à
conjurer le passé, à l’abolir dans une illusion soumise à une marque de
naissance à la cheville. L’ancienne chanteuse de jazz, reconvertie en cadre banquier, bel appartement, vie de
zombie, finira par se « rabibocher » avec son ex-mari (famille
recomposée, merci pour lui) et son fils sur le point de devenir père – aimons
les vivants, laissons reposer les morts.
Stuart Dryburgh (Jane Campion et Mafia
Blues) éclaire l’ensemble avec délicatesse, les dialogues tiennent
debout (politesse élémentaire pour un homme de théâtre) et la
distribution s’avère au diapason de l’actrice principale. Ce soap à la mode WASP s’avère presque
malgré lui un nouveau chapitre de sa persona
plongée au hasard des histoires dans les affres d’une problématique maternité,
sous les métaphores de la SF, du fantastique et du biopic (Ellen Ripley, Dana Barrett, Dian Fossey). On aime
« Mademoiselle » Weaver, ici magistrale « orpheline »
endeuillée, esseulée (hors une étreinte rigolarde et tendre avec Elias Koteas à
contre-emploi), y compris dans les comédies faiblardes de Friedkin (Le
Coup du siècle) et Daniel Vigne (Une femme ou deux), en « pute
de luxe » pour Bob Swain (Escort Girl) ou en « femme
d’affaires » pour Mike Nichols (Working Girl), deux aspects
spéculaires d’une certaine féminité estampillée années 80, dans le psychodrame
autobiographique signé Polanski (La Jeune Fille et la Mort), en
« psy » perturbée face à Harry Connick, Jr. (Copycat), en marâtre
narcissique (Blanche-Neige : Le plus horrible des contes), dans
l’auto-dérision méta (Galaxy Quest), en cougar arnaqueuse et maman pas si
indigne de l’opulente Jennifer Love Hewitt (Beautés empoisonnées), en
scientifique pour Cameron (Avatar) et en « éminence grise »
de Sans
issue ou La Cabane dans les bois (fin provisoire de l’énumération, vous
pouvez respirer, allez vous chercher un verre, regarder ailleurs). Girl
in the Park permet au moins de la retrouver au meilleur de son talent
et de sa cinégénie, des rides attendrissantes jointes désormais à ses
légendaires haute taille et traits prognathes. Une comédienne lectrice de
Fitzgerald, amie avec Jamie Lee Curtis et francophone, ne peut que s’attirer
notre sympathie ; Sigourney, in fine,
sans un Cukor, hélas, pour la sertir dans un irréprochable écrin identitaire et
divers (cf. le parcours de Katharine Hepburn), sut ainsi, avec élégance, avec
aisance, surpasser sa plaisante filmographie établie sur quatre (!) décennies…
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