Oblivion : Delta Force
Suite à sa diffusion par TMC, retour sur le titre de Joseph Kosinski.
La Jetée, Le Château dans le ciel, THX
1138, Silent Running, Alien, La Planète des Singes et
son
Secret, Matrix, Solaris, 2001, l’Odyssée de l’espace,
Independence
Day : entre deux bâillements, on énumère les originaux de cette
photocopie aussi lisse et impersonnelle que la nouvelle gamme désincarnée d’un
célèbre équipementier suédois. Aucune goutte de sang, de sueur ni de sperme –
malgré un bain de minuit « crapuleux » dans une piscine stellaire, so chic
et pudique grâce à son esthétique publicitaire (photographie de Claudio Miranda,
responsable des tons ambrés de L'Étrange Histoire de Benjamin Button
et de l’hyperréalisme sous LSD de Histoire de Pi) – ne viendra
perturber le programme (informatique) de recyclage de l’ancien infographiste
promu réalisateur, ses premières armes logiquement faites à l’occasion du reboot de Tron pour Disney (en
matière de « poésie des machines », prière de redécouvrir Metropolis
ou Kraftwerk). Son film se voulait un hommage (degré zéro de la finalité
artistique), il ne relève que du pillage dépourvu de la moindre inspiration
(créatrice), du plus petit souffle (de l’âme, dont on sait depuis l’immodeste et
superficiel Alejandro González Iñárritu qu’elle pèse 21 grammes).
La thématique de l’agent « retourné »,
qui en vient à croire à sa propre factice réalité, autrefois brillamment
illustrée chez Graham Greene (Notre agent à la Havane) ou Philip
K. Dick (Substance Mort), la myriade des clones du couple (Cruise
s’affronte brièvement avec lui-même, tel feu Christopher Reeve dans la casse schizophrénique
du mythe de Superman 3, anticipant celle, davantage lubrique et drolatique,
de Street
Trash) souligne involontairement (cyniquement ?) la nature
vampirique/virtuelle de l’ensemble et son absence puérile de tout enjeu. L’épilogue
édénique, « raciste » et « réactionnaire » – survivance, mutatis mutandis, du « père prodigue », aliens décimés, femme au foyer, aux fourneaux, à la maternité –
paraphe l’inanité spectaculairement cosmique (Gide) de l’entreprise (pas celle
de Star
Trek !), estimée à cent vingt millions de dollars (quand même),
achève le spectateur trop patient, trop clément (il observe en VO mais ne porte
pas les lunettes noires de Morgan Freeman, chipées à Yves Montand dans L’Aveu)
et donne du Christina’s World d’Andrew Wyeth une interprétation de béotien (Kosinski,
à des années-lumière de Bernard Rose dans Paperhouse, trahit « l’esprit »
du tableau, le trouble solitaire d’une femme dans un champ infini, sous un ciel
immense, son corps entier tendu vers une maison inaccessible, transformé en bourgeoise
aspiration autarcique).
La cinégénie enneigée de l’Islande
(l’Eastwood du diptyque Mémoires de nos pères/Lettres
d’Iwo Jima ne dira pas le contraire), le jeu impeccable de Tommy (qui
fit cependant bien mieux chez Paul Thomas Anderson, De Palma, Kubrick et Stone,
au centre de fables heuristiques d’un autre « calibre »), le
séduisant personnage de la séduisante Andrea Riseborough, « collaboratrice »
par omission, par soumission (amoureuse et non réciproque), le lyrisme fugace
de la partition en binôme (Procol Harum, très dispensable, à la rescousse) ne
suffisent pas, puisque l’œuvre demeure une démonstration d’impuissance
cinématographique maladroitement sise dans le sillage adulte et endeuillé de la
SF hollywoodienne postérieure au 11-Septembre (La Guerre des mondes),
avec son Pentagone éventré, son obélisque de Washington envasé, son Empire
State Building effondré (réminiscences des explosions « sacrilèges »
d’Emmerich, de la mort iconique de King Kong).
Et pourtant. Cette auto-adaptation
d’un « roman graphique » non publié pouvait s’avérer une (assez)
intéressante exploration freudienne du « continent noir » féminin
(évitons les jeux de mots sur la Voie lactée), via le V (nul lézard télévisé) majuscule du titre, l’imposant
tétraèdre, pyramidal et inversé, en surplomb, vagin céleste conduit par un
avatar de femme, Jack plongeant dans l’utérus (ou l’anus) d’une bibliothèque
dévastée façon Fahrenheit 451 (parmi le bazar vintage de sa cabane écologique au fond des bois se remarque Le
Conte de deux cités signé Dickens, encore une matrice apocryphe du
scénario, notamment par le suicide final du héros), avant le climax de l’explosion finale, métaphore
littérale d’un orgasme régénérateur et gérontophile (Beech substitué à Julia, paresseux
tour de passe-passe ; la destruction du « vaisseau-mère » au
moyen d’une « pénétration » intérieure provient itou du potache et
phallique Emmerich, à l’instar du trivial « Fuck you ! »).
En l’état (Kosinski parle d’un
montage premier de trois heures, laissons les plus courageux s’y risquer un
jour), le très long métrage, anodin dans son messianisme supérieurement risible
à celui des Wachowski (Baudrillard, hilare d’outre-tombe), discutable dans son
esprit de sacrifice cocardier, déguisé en allégorie platonicienne à destination
des lycéens en classe de terminale (ceux de l’enseignement général, les
prolétaires du professionnel jugés incapable de penser), corrigé in fine (dans Cowboys & Envahisseurs,
Olivia Wilde perdait « vraiment » la vie), se dilue vite dans les
sables de la zone interdite, faussement radioactive, et du souvenir cinéphile,
de sa trace néanmoins écrite afin de saluer quelques broutilles ; Andreï,
Franklin et Stanley, rassurés, peuvent dormir de leur glorieux « sommeil
delta » – Oblivion, sans tarder, s’oubliera.
Je ne vois pas dans la citation de Christina’s World une quelconque trahison de l'oeuvre. Car si l'on ne prête pas attention on voit sur le tableau une jeune femme dans l'herbe qui de dos peut-être assez vite idéalisée par le spectateur. Un regard plus attentif (celui de Jack Harper ?) et l'on s'aperçoit que la femme a un certain âge, que ses mains tendues et crispées font deviner une maladie qui l'empêche probablement de se relever. Le regard vers ce simple foyer, une ferme, et plus haut le ciel si loin, quasiment inatteignables... Je trouve au contraire la parabole tout à fait claire et sensée pour le film (supérieur qu'un remake de Total Recall, que celui de Robocop, l'un et l'autre pas forcément ni complètement mauvais non plus, qu'un Snowpiercer ou qu'un Elysium... tous ces films sortis à peu près durant la même période).
RépondreSupprimerJ'en reste à la relecture inspirée (mais involontaire, s'il faut croire le réalisateur) de l'Anglais pour sa mentale maison de papier ; non seulement Kosinski confond réalisation et sampling, sinon plagiat, mais en plus il détourne une image très connotée en petit propagandiste amateur ou en collégien inattentif : au cinéma et ailleurs, l'attention s'avère en effet primordiale, à l'unisson de l'interprétation, et ce film-ci brille par sa double carence de regard et de sens ; pas vu les titres mentionnés, pas pressé de le faire, d'autant plus que les originaux de Verhoeven (bien meilleur en Hollande) trahissaient déjà, allègrement, la paranoïa de Dick et la Passion christique, encore moins le réveil d'une certaine force supposée soporifique - le marketing à outrance et le postmodernisme ne méritent que d'être immédiatement oubliés à leur tour...
SupprimerTant pis ! J'aurai tenté...
SupprimerOsez Joséphine, chantait Bashung... Tentez (toujours), cher Mister Fauré !
Supprimer"Ce qui est neuf en Amérique, c'est le choc
RépondreSupprimerdu premier niveau (primitif et sauvage) et du
troisième tyPe (le simulacre absolu).
Pas de second degré. Situation pour nous difficile à
saisir, qui avons toujours privilégié le second
niveau, le réflexif, le dédoublement, la conscience malheureuse.
Mais nulle vision de l'Amérique ne se justifie en dehors de ce
renversement: Disneyland, ça, c'est authentique !.Le cinéma, la télé, ça, c'est le réel! "
https://monoskop.org/images/3/3e/Baudrillard_Jean_Am%C3%A9rique_1986.pdf
L'Amérique est un gigantesque hologramme, dans le sens où l'information totale est contenue dans chacun des éléments. Prenez la moindre station du désert, n'importe quelle rue d'une ville du Middle West, un parking, une maison californienne, un Burgerking ou une Studebaker, et vous avez toute l'Amérique, au sud, au nord, à l'est comme à l'ouest. Holographique au sens de la lumière cohérente du laser, homogénéité des éléments simples balayés par les mêmes faisceaux. Du point de vue visuel et plastique aussi : on a l'impression que les choses sont faites d'une matière plus irréelle, qu'elles tournent et se déplacent dans le vide comme par un effet lumineux spécial, une pellicule qu'on traverse sans s'en apercevoir. Le désert bien sûr, mais Las Vegas, la publicité, mais aussi l'activité des gens, public relations, électronique de la vie quotidienne, tout se découpe avec la plasticité et la simplicité d'un signal lumineux. L'hologramme est proche du phantasme, c'est un rêve tridimensionnel, et on peut y entrer comme dans un rêve. Tout tient à l'existence du rayon lumineux qui porte les choses, s'il est interrompu, tous les effets se dispersent, et la réalité aussi. Or, on a bien l'impression que l'Amérique est faite d'une commutation fantastique d'éléments semblables, et que tout ne tient qu'au fil du rayon lumineux, d'un rayon laser qui balaie sous nos yeux la réalité américaine. Le spectral ici n'est pas le fantomal ou la danse des spectres, c'est le spectre de dispersion de la lumière.
SupprimerBaudrillard, ibidem