Mad Max : À tombeau ouvert
Suite à sa
sortie en BR et avant le quatrième pan sur grand écran, retour en marche
arrière sur le titre de George Miller.
Un plan vraiment
unique, à la fois iconique et
obscène, esthétique et brutal, doux et traumatisant : une chaussure de gosse –
appartenant au fils de Mel – s'envole au ralenti, métonymie pour signifier
l'irreprésentable, leçon de cinéma sur le thème : « Comment tuer un enfant
(hors-champ) ? », après Hitchcock et consorts. Là réside la vraie violence
du film (et le motif inconscient de sa censure française ?), celle du
monde d'alors qui inspira Miller – que pense-t-il du contemporain, plus de
trente ans après ? –, celle qui donne au titre, presque par inadvertance, car
fugace, sa valeur indélébile, relativisant les excès graphiques et drolatiques dont les imitateurs transalpins « fauchés » feront leur beurre avarié.
Mad Max, fou de douleur (on se souvient aussi de Gibson s'enfonçant un canon
de revolver dans la bouche pour Donner) et Dernier Survivant (belle fable
post-apocalyptique du néo-zélandais Geoff Murphy), devient un mort-vivant sur
l'autoroute perdue de son deuil intime, épave métonymique de l’humanité
orpheline : en bonne logique narrative et psychanalytique, il ne peut que
rencontrer les minots du troisième
chapitre ; Miller, cinéaste sentimental comme tous les illustrateurs de l'ultra-violence
(Peckinpah, Deodato, Noé, pour se limiter à ses confrères ici abordés), lui
accorde le salut inattendu et le rire de marmots retrouvés, famille recomposée
où l'exterminateur abandonne son calvaire pour vivre enfin, même par
procuration, sa paternité profanée.
Tout le
reste, qui fit la fortune économique et symbolique du film, la route, le désert,
les bagnoles, les hordes (très)
sauvages sur roues, la vitesse, la panoplie en cuir bientôt réutilisée par
Friedkin dans la moiteur pas si gay
de Cruising,
le pétrole et la fin du monde « civilisé », constitue un cadre à la
fois historique (le péplum parle souvent du présent, la dystopie projette, au double sens du terme, les
maux d’aujourd’hui), mythologique et autobiographique, puisque Miller, ancien
médecin urgentiste, gagna sa vie en sauvant celle des autres (pour l’anecdote,
signalons que… l’animateur Vincent Lagaf’, autrefois compagnon des
marins-pompiers marseillais, vit aussi son lot d’atrocités ballardesques).
Mais cet
espace solaire et asséché, relocalisant le western en Australie, outre son
impact visuel et sensoriel immédiat, que décuple la caméra véloce de Miller (il
se place de fait au côté de Peter Weir ou de Greg McLean en poète de l’outback,
en chantre des aridités anxiogènes), métaphorise également la psyché saccagée de
Max Rochatansky, au patronyme en clin d’œil possible à Rorschach, territoire nu
et sans âme aussi vide que le désert dans lequel Antonioni égarait Monica Vitti
(en plus ocre et moins rouge car, à l’instar de Massacre à la tronçonneuse,
le titre se refuse aux flots d’hémoglobine, préférant l’or noir si convoité).
Il est
libre Max chantait feu Hervé Cristiani dans le sillage du
mari et père vengeur, mais tous les parents le savent bien : enfanter puis
éduquer signifie, pour le meilleur et parfois le pire, renoncer définitivement
à toute supposée liberté…
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