Cowboys & Envahisseurs : L’Homme sans mémoire
Suite à sa diffusion par France 2, retour sur le titre de Jon Favreau.
Crainte d’un bruyant blockbuster, d’un cross-over décérébré, d’un produit d’appel pour la vente en salle
de pop-corn – or, voici un film
adulte et complexe, séduisant représentant d’un certain cinéma hollywoodien. Un
homme s’éveille, amnésique, avant de se révéler une parfaite machine à
tuer : Daniel Craig fusionne à l’intérieur de son corps minéral et de son
esprit tourmenté Ralph Fiennes dans Spider (« Il y a pire que de
perdre l’esprit, c’est de le retrouver » nous avertissait l’affiche
française) et Viggo Mortensen dans A History of Violence, oublieux
volontaire d’un peu reluisant passé ; comme si cela ne suffisait pas, le
bracelet létal à son poignet rappelle les armes organiques de Vidéodrome
et eXistenZ.
Favreau, qui délivra sa propre version de l’homme bionique avec Iron
Man, dispensable diptyque dédié aux aventures
économico-technico-sentimentales de Tony Stark, industriel et ingénieur affublé
d’un problème cardiaque symbolique et concret, s’inspire à nouveau d’une BD,
tel Cronenberg, du reste, dans son ironique portrait de The Perfect American (récente biographie musicale de Walt Disney composée par Philip Glass).
Puisque rien, au cinéma ni ailleurs,
ne saurait naître vraiment ex nihilo,
le télescopage temporel évoque aussi Mondwest, prophétie satirique sur la
« société des loisirs » et l’avenir du cinéma relégué au rang de parc
d’attractions, enracinée dans les terrains de jeu élaborés par Disney ou Universal,
autant qu’une double embrasure entr’ouverte sur l’archéologie cinéphile, la
mise en images, sous forme de fresque, d’une scène primitive rêveuse ou
scandaleuse. D’un côté, donc, Stargate, la porte des étoiles, ou l’Égypte
des années 30 perçue à travers le prisme du fantastique, nantie d’un androgyne tyran
apte à provoquer une interprétation de lutte sexuelle, tendance hétéro, menée par un Kurt Russell
endeuillé ; de l’autre, La Porte du paradis, reconstitution,
largement modifiée, d’un fait divers fratricide et révélateur de l’idéologie du
profit, due à un Michael Cimino fort
marri de la réception réservée à Voyage au bout de l’enfer par la
critique « progressiste » américaine, avec des conséquences
catastrophiques, pour United Artists et lui-même, prouvant une fois de plus le
pavage infernal des bonnes intentions…
Le sérieux et l’humilité de
l’entreprise frappent d’emblée, le réalisateur délaissant à d’autres
l’anachronisme rigolard « bicolore » (Wild Wild West, 1999), le
Soleil
rouge 2.0 (Le Dernier Samouraï, 2003), une pitrerie pire que Viva
Maria ! (Bandidas, 2006) sous l’égide du
sieur Besson, la poussière muséale (Appaloosa, 2008), la posture arty (La Dernière Piste, 2010)
ou les siennes des frères Coen (True Grit). Riche de séquences de
violence sèche, parfaitement découpées, toujours lisibles, baigné par une
mélancolie intime (drame personnel plutôt que fin d’un monde, même si cela
affleure à son tour, particulièrement dans l’épilogue crépusculaire et pourtant
séminal), son film se démarque très agréablement de l’analphabétisme
audiovisuel d’un Michael Bay (présent sur TF1 en simultané pour le deuxième
volume, sans doute aussi épuisant que le premier, de la lucrative franchise Transformers) ou de cette
puérile pyrotechnie peuplée de synthétiques figurines costumées devenue, hélas,
la norme actuelle, commerciale et esthétique, du côté de L.A., voire, par
contamination imaginaire et force de
frappe publicitaire, du « village global » tout entier (notre
réalisateur tint cependant le poste de producteur exécutif sur Avengers,
tout en abandonnant le lourd navire de son Iron Man 3 en raison de
« divergences artistiques », selon la formule consacrée, avec Marvel,
puis chercha à se refaire une virginité,
de regard et d’échelle, au moyen du modeste et gourmet #Chef).
Sans être Anthony Mann – et personne,
à vrai dire, ne le lui demande –, il saisit avec justesse et classicisme assumé
un espace familier bientôt exotique (cf. la paire mal assortie du titre,
pragmatisme candide mais erreur de marketing
auprès du public venu voir une comédie d’action) où inscrire sa fable méta, son
conte historique et politique avec pour témoin un enfant orphelin, petit-fils
du shérif local, méconnaissable Keith Carradine (la double problématique de
l’héritage et de la propriété, ceux de l’argent, du territoire, de l’imagerie
et de la mémoire, « travaille » le film et contribue à lui conférer
sa valeur). Tout ceci ne vient pas de nulle part, et les précédents efforts de
Favreau, Elfe (2003) et Zathura : Une aventure spatiale
(2005), traitaient déjà d’identité, de concorde (avec des gamins projetés dans
l’espace par la magie noire et blanche d’un jeu de société un peu particulier,
claire métaphore méta du cinéma), à l’instar de son projet relisant Le
Livre de la jungle pour une sortie prévue en 2016.
Le prêcheur/docteur (Clancy Brown, itou changé) le déclare au tenancier du saloon trop tendre auquel il apprend à
tirer : « Ce qui compte, c’est la foi » et Favreau, assurément,
croit en chacune de ses images, éclairées à la façon d’un rude pastel par le
fidèle Matthew Libatique, directeur de la photographie attitré d’Aronofsky et
de Spike Lee, cadrées, contre la suggestion des dirigeants de DreamWorks, dans
un traditionnel format « anamorphique » et couchées sur une pellicule 35 mm désormais vouée aux antiquités, en
résistance et pied de nez à la modernité numérique, au gadget généralisé de la
3D. Cet acte de foi existentiel et cinématographique, moins existentialiste que
chez l’auteur de Faux-semblants, certes, rejoint, via une rédemption douloureuse et amère, l’humanisme
sartrien ; un homme, confie le serviteur de Dieu porté sur la bouteille dans son dernier souffle (il se sacrifie
pour l’enfant) au messie intempestif et luciférien, ancien braqueur et présumé
violeur/meurtrier, se définit par ses actes au présent, non par ses péchés
d’hier.
La Frontière ouvrit ainsi aux
immigrants européens de nouveaux territoires pour de nouvelles vies, l’identité
inséparable de la terre acquise au prix du danger, du travail et du sang (pas
seulement celui des natives souvent
spoliés) et Favreau, épaulé par trois scénaristes issus de la TV, retenus après
la ronde du hell development, où
figura feu Jeffrey Boam, adaptateur de la parabole messianique signée Stephen
King dans Dead Zone, tisse adroitement la petite histoire d’individus
regroupés en communauté de fortune, à la recherche d’or dérobé,
dans un premier temps, puis de leurs proches, vrai trésor à redécouvrir au
moment de le perdre à tout jamais (l’envahisseur, dès lors, sous son masque de
batracien, posséderait à nouveau les traits redoutés de la Faucheuse, voleuse
de vies avec ou sans prédateurs spatiaux munis de filins), à la grande Histoire
du « pays des opportunités » (l’action se déroule en 1783, l’année du
traité de Paris, acte de reconnaissance nationale et gage de paix après la
guerre d’indépendance avec la Grande-Bretagne).
La rapacité aurifiée (et horrifiante)
des aliens reflète la soif de l’or
des humains, mais garde une part de mystère, à la source située dans l’appétit
supposé des divinités de la mythologie babylonienne, traduite par le filtre
délirant et prolétaire de Zecharia Sitchin y enracinant sa protohistoire
(Kubrick et Clarke rêvaient, eux, d’un monolithe noir – choisis ton camp, camarade !). Le possible carburant
détruira d’ailleurs le boucher adepte d’affreuses vivisections sur les
« insectes » bipèdes, dérobeur d’énergie vitale et body snatcher en chef subissant le
supplice de Midas, dans une savoureuse inversion de la vraie-fausse autopsie de
Rockwell et des tripatouillages scolaires. L’œuvre, à l’instar de Josey
Wales hors-la-loi, étudie la possibilité d’une utopie communautaire et
cosmopolite, métonymie de la nation américaine, et donne à lire les extra-terrestres,
terrés dans les entrailles de leur vaisseau-mère confondu avec la roche du
paysage, tourelle granitique de sous-marin abritant des êtres nocturnes et
verdâtres, quelque part entre les Morlocks de La Machine à explorer le temps
et les cannibales troglodytes de The Descent, tels les premiers
colons, en butte à la sauvagerie (wilderness
géographique et férocité des tribus menacées, bientôt décimées) du continent et
des habitants, finalement vainqueurs grâce ou à cause de leur technologie.
Le révisionnisme du film ne se situe
plus au niveau de l’autoflagellation des années 70, du renversement de
perspective culpabilisé dans le sillage de la guerre du Vietnam et du doute
intérieur (Nixon and Co.), ère du soupçon
propice à toutes les relectures et reniements – rappelons que le film se passe
pour partie dans une ville minière baptisée Absolution, toponyme biblique et faulknérien
–, mais dans cet échange des rôles, dans ce conflit avec un redoutable étranger
érigeant contre lui l’union sacrée de races, de cultures et de parcours
autrefois, la veille, déchirés, désunis, à recoudre, par le biais du cinéma,
divertissement civique depuis les origines, pour le meilleur (Capra) et le pire
(les ligues de vertu, le puritanisme en revers de la pornographie) dans
l’industrie US, tel le chapiteau de cirque, composé d’une myriade de drapeaux
étoilés, sous lequel le saltimbanque de Bronco Billy s’efforçait de ranimer l’esprit
américain d’indépendance, de liberté, d’effort enthousiaste et de destins
partagés. Les retrouvailles finales, unanimistes, ne versent pas dans le
sentimentalisme mais illustrent cette unité fondamentale – plus ou moins
illusoire, comme l’atteste crûment l’actualité –, cette démocratie foncière au
cœur du système social et symbolique étasunien. La victoire s’acquiert
ensemble, par-delà tous les clivages, et le film, de manière explicite mais
tout sauf didactique, montre cela, sans rien omettre du prix à payer pour
établir cette république du cœur (et des armes, deuxième amendement de la
Constitution oblige !).
Ici se tient la part la plus
émouvante du long métrage, remarquablement structuré, rythmé au point de ne
paraître jamais long : Jake va
devoir faire le triple deuil d’une femme dédoublée pour réintégrer la
communauté humaine et regagner son humanité à lui. Dans une scène de
réminiscence chamanique, plus évocatoire, en quelques minutes, que
l’intégralité de Blueberry, l’expérience interdite, le western « psychédélique » raté de Jan Kounen, Craig
affronte la vérité du souvenir, revenu en pensée sur les lieux du crime et de
l’enlèvement extra-terrestre d’Alice, matrice et motif d’une sidérante
littérature outre-Atlantique (Ella, la voyageuse des étoiles, à laquelle Olivia
Wilde, loin de Dr House, prête son talent et ses traits singuliers, dénoue le
lien pervers et mortifère entre l’or piqué
à Ford et l’arrivée des colons spatiaux, donnant à Jake une absolution, donc). Voleur « par
nécessité », pour survivre isolé dans une nature indifférente ou hostile,
il subit une Invasion (nouvelle mouture de L’Invasion des profanateurs
de Jack Finney, avec Nicole Kidman et… « Bond, James Bond ») en
mémoire du massacre perpétré par Fonda in Il était une fois dans l’Ouest,
dans un décor similaire (un surcadrage à l’aide d’une porte, dans l’épilogue
apaisé, fait aussi un clin d’œil évident à La Prisonnière du désert, avec
lequel Cowboys & Envahisseurs brode une trame commune et
démultipliée).
La deuxième mort survient durant une
tentative de sauvetage sur l’un des chasseurs de métal servant d’oiseaux de
proie, quand il parvient à libérer l’étrange jeune femme en plongeant
l’appareil dans une rivière, après un saut digne de La Chevauchée fantastique :
le monstrueux pilote surgit des eaux vertes pour la blesser mortellement (les
Apaches jetteront au brasier sa dépouille enroulée dans un drap blanc,
blasphème ou rite peu politiquement correct en écho à l’incinération de
Valeria, autre émouvante Amazone disparue et immolée dans Conan le Barbare). La fille du feu et d’une lointaine galaxie
« au-delà des étoiles », dont on ne connaîtra jamais le vrai nom, pareille à la dernière épouse
de Maxim de Winter dans Rebecca, malgré une renaissance dans
sa nudité d’Ève, se sacrifiera dans la coda,
la bombe-bracelet serrée sur sa poitrine ainsi qu’un enfant assassin, mère sans
progéniture offerte aux flammes de l’explosion salutaire (cris de liesse sur
colonne de fumée en contre-plongée, exorcisme filmique du 11-Septembre, joie
triste pour l’homme qui commençait à l’aimer, en frère du spectateur, et hommage
au final mémorable d’Alien 3, avec Sigourney Weaver
entraînant dans son trépas flamboyant et maternel la créature filiale qui transperce
son ventre ; Ella venge ainsi son peuple exterminé, ne donne plus la vie
mais répand la mort).
Encore plus cruel que Hitchcock dans Sueurs
froides, Favreau – qui s’autorise un caméo sur un avis de
recherche ! – fait mourir sa femme
aux deux visages à trois reprises, et il accorde de surcroît le trépas à
Adam Beach, acteur canadien d’ascendance amérindienne acclamé dans Windtalkers :
Les messagers du vent et Mémoires de nos pères, beaux
mélodrames martiaux interrogeant pareillement l’histoire américaine récente,
entre les bras de son père adoptif, pietà
paternelle pour Harrison Ford, impressionnant en ex-colonel de la guerre
mexicaine, baptisé Dolarhyde comme dans Dragon rouge, maudissant les
atermoiements de Washington et dissimulant à peine sa rancœur blessée sous un
racisme de façade. Contrairement à son héros, Jon Favreau ne perd pas la
mémoire et se souvient de nombreux titres de western et de SF ; pour borner une fastidieuse énumération,
contentons-nous de citer Impitoyable (griffe du passé
criminel, première apparition inquiétante de Harrison Ford en rime avec celle
de Gene Hackman), Rencontres du troisième type (épiphanie
lumineuse dans la nuit mais sans Truffaut ni mélodie colorée, allusion de l’affiche
US : « First contact. Last stand. »), La Flèche brisée
(rencontre interraciale), Alien,
le huitième passager (bateau à roues à aubes échoué à l’envers, tel un
souvenir du funèbre Nostromo, mains jaillissant d’une cage thoracique, rappel
de la double gueule conçue par Giger), Pale Rider (chercheurs d’or et
fantôme vengeur), Predator (chasse à l’homme survivaliste) ou E.T., l’extra-terrestre (découverte en miroir de l’enfant et de
l’extra-terrestre, son doigt pointé vers le visage terrifié), avec Spielberg en
producteur exécutif et conseiller cinéphile, tandis que les bien connus Brian
Grazer et Ron Howard produisent le film.
Avec pertinence, ce dernier substitue
au thème de la loi dans l’Ouest, fondamental et fondateur du genre, de son
établissement difficile, de ses vicissitudes, celui du « vivre
ensemble », dans l’air du temps international. Sis une vingtaine d’années
après la fin de la Guerre de Sécession
(1861-1865), justement dénommée par les principaux intéressés (et leurs
descendants) The Civil War, il fait
le vœu (pieux ?) d’une fraternité advenue suite à un traumatisme initial et
inexplicable affronté, après un court instant de stupéfaction, avec un
pragmatisme tout matérialiste. De façon significative, Favreau enregistre la
disparition de la religion (Brown) et de l’altérité (Beach), fondues dans le
creuset du melting pot, et actualise,
dans un seul élan, avec les effets spéciaux d’aujourd’hui, jamais dépourvus de
leur salutaire coefficient de réalisme, à la fois la célèbre phrase du
journaliste dans L’Homme qui tua Liberty Valance (1962) : « This is the West,
sir. When the legend becomes fact, print the legend » et le déplacement de Kirk Douglas, valeureux
vestige et vacher inadapté à la modernité dans l’émouvant Seuls sont les indomptés
(1962 bis) de David Miller, matrice
méconnue de Rambo. Cowboys & Envahisseurs, avec
panache, fait par conséquent se rencontrer les univers uchroniques et
filmiques, historiques et mythiques, organiques et numériques, comme il fait
dialoguer dans l’action et la survie des hommes d’horizons différents mais
propriétaires/locataires de la même terre au même moment.
Il propose de fait une alternative
revigorante au western, produit autochtone à l’égal du jazz, mort, enterré, sporadiquement
exhumé, qui, à l’opposé de la doxa
critique, et même durant le muet ou au sein de sa « période
classique », concomitante à « l’âge d’or » hollywoodien – disons
du début des années 30 à la fin des années 50 –, ne s’enlisa jamais totalement
dans le chromo ni le manichéisme, ainsi que l’attestent Le Mari de l’Indienne
(1914), mélodrame sentimental et racial
signé Cecil B. DeMille ou Le Massacre de Fort Apache (1948) de
John Ford, avec son portrait vitriolé d’un gradé de la cavalerie (Leone
décuplera la violence et la folie du personnage de Fonda afin d’aboutir à son impitoyable tueur pour Il
était une fois dans l’Ouest). Ajoutons que le genre, bien que pourvu
d’une plasticité moindre que le
péplum, facilement lisible en politique étrangère d’époques (de tournage)
précises maquillées par l’Antiquité, féconda d’autres cinématographies, aux déclinaisons
exogènes et tentatives d’acclimatation plus ou moins convaincantes : la France
avec Joë Hamman (Cow-boy, 1906), œuvrant en région parisienne et en Camargue,
Duvivier sur Haceldama ou le Prix du sang (1919), tourné en Corrèze (!) pour
un fabricant de moutarde (!) ; l’Italie de Puccini (La fanciulla del West
1910) avant Leone, d’où une hyperbole et un lyrisme liés, par la généalogie, à
l’opéra et à la commedia dell’arte ;
enfin, de manière plus écologique et anecdotique, l’Allemagne, avec sa série
suivant Winnetou, descendant apache du « film alpestre » de Leni
Riefenstahl et consorts.
Majoritairement un western, Cowboys & Envahisseurs
utilise les éléments de SF pour se revitaliser, se ressourcer, créer un hybride
en miroir de l’Amérique et de son cinéma, art du spectacle et du discours (la
fameuse « contrebande » louée par Scorsese), usine à rêves et à
cauchemars (graphiques et historiques,
puisque le film ne fait pas l’impasse sur la part d’ombre de l’aventure des
pionniers, avec le génocide indien et le capitalisme « civilisateur »,
dérégulé, sur le point d’advenir dans l’épilogue), machinerie coûteuse et
récits intimistes, réservoir planétaire de contes pour grands enfants mais
aussi, entre les mains et devant l’œil des plus grands, outil magique
(« merveilleux train électrique », disait Welles) pour sonder et
magnifier la nature humaine, pas seulement américaine. Le hasard (du calendrier)
ou l’ironie du sort font bien les choses, ose les rapprochements incongrus, car
le film suivit la cérémonie du palmarès cannois millésimé 2015, avec sa Palme
d’or et ses deux prix d’interprétation hexagonaux, dédiés à des drames sociaux
ou amoureux ; face à cette « certaine tendance du cinéma
français » auteuriste, bien-pensante et embourgeoisée, libre à nous de
préférer l’art commercial, généralement honni par les « professionnels de
la profession » et la presse dite spécialisée, bien plus réflexif, dense
et généreux que moult titres estampillés « septième art », d’une
insigne pauvreté cinématographique et politique (les deux, au sens large ou
restreint, vont ensemble pour nous, en dépit de notre aversion faussement
contradictoire pour le cinéma engagé).
Cette solitude, nous la partageons
avec Favreau, qui assista à l’échec financier de son travail – le seul qui compte là-bas, jusqu’à en devenir un
proverbe : « Vous valez ce que vaut votre dernier film » –, pas
assez fun pour les gamins pubères, nerds et autres geeks du cinéma dématérialisé (mais il pourrait se consoler avec
une audience TV supérieure à celle de Transformers 2 : La Revanche,
établie à 3,5 contre 3,2 millions de téléspectateurs) et avec Craig quittant la
ville au dernier plan, réplique de notre Lucky Luke enfantin dans sa dernière
case habituelle. Haut les cœurs, cependant, car les deuils n’empêchent pas le
sourire, un peu plus las, un peu plus touchant (des sortes de libellules se
manifestent par deux fois, probables réincarnations de l’âme des chères
disparues, anges gardiens au féminin semblables aux esprits sylvestres de Princesse
Mononoké), et l’individualité n’oublie pas le groupe, amené à
construire un pays à la fois voisin et lointain, modèle et repoussoir,
compagnon (d’armes, notamment) et rival (économique, culturel, les deux
associés dans le soft power
mondialisé). Si notre cœur cinéphile bat depuis longtemps pour d’autres
territoires, à l’exotisme fraternel (l’Allemagne, l’Italie, le Japon, la Chine naguère, la Corée du Sud et Israël aujourd’hui, sans oublier bien sûr quelques
francs-tireurs français, en activité ou glorieux aînés, célébrés sur ce blog et notre « communauté », Cinéma
d’ici, origines du cinéaste, au passage, mais versant canadien), le
cinéma américain peut encore, avec plaisir et beauté, nous surprendre de la
sorte, en démontrant sa capacité narrative et son regard méta, dans une
réflexion sur le genre, l’Histoire et le caractère vivant de son identité
diffractée.
Cowboys & Envahisseurs, à sa façon, souligne la vitalité de
certaines images en provenance de la capitale auto-proclamée du cinéma, sans
céder aux plus-values « branchées » du courant indie, avéré ou trompeur (chaque grand studio détient à présent son
département indépendant) ni au saucissonnage des « mythes » actuels
débités tels de la chair à pâtée (et à film), jusqu’à extinction du filon
(d’or), prémuni aussi contre le vide nauséeux du recyclage post-moderne ;
dans une scène de Chasseur blanc, cœur noir, Eastwood, également
acteur-réalisateur, grimé en avatar de Huston, réduisait au silence une attaque
paresseuse du centre du monde (médiatique) de la planète cinéma :
« Quand vous prononcez le mot Hollywood, ça sonne comme une insulte » ;
en effet, et ce film, opportunément, vient rappeler quelques évidences,
renouveler un imaginaire, prendre au sérieux une histoire, une distribution
(Favreau, acteur lui-même, tire le
meilleur de ses comédiens, d’un projet soumis par son ami Robert Downey Jr., avant
son départ pour Sherlock Holmes : Jeu d'ombres) et, in fine, un spectateur qui, on le répète, ne s’y attendait
guère : petite pépite à l’improviste (et en VO) d’un dimanche soir de
récompenses plaqué or, encore et encore…
Je serais curieux de vous lire sur John Carter ou Les gardiens de la galaxie... Le plaisir que vous avez tiré de ce film aux genres télescopés m'étonne. Ou plutôt non, car justement vous êtes le premier à ressusciter des séries B oubliées que vous ré-appréciez à leur juste valeur et ainsi réinstallez dans le groupe des films dits honorables, entre autres qualificatifs. Concernant votre papier, le feu d'artifice de références se justifie finalement, puisque, compte tenu du télescopage déjà cité, le western et la sf offrent deux sources quasi inépuisables en terme de comparaisons ou, allusion tribale, chamanique, indienne en raccord avec le sujet du film mais tout autant avec votre site, d'invocations. Quant avec moi, ce film est tombé raide mort face au colt encore fumant.
RépondreSupprimerhttp://www.kinopitheque.net/cowboys-envahisseurs-cowboys-aliens/
Ce qui s'appelle une "exécution sommaire", que l'on vous pardonne aisément, puisque ce qui nous relie - la passion du cinéma, de tous les cinémas - compte davantage que ce qui nous sépare (points de vue opposés, sur ce titre ou d'autres évoqués ailleurs) ; oui, la série B peut et dit souvent bien plus que la série A - je vous renvoie à Siegel, par exemple, et à tous ses pairs, d'aujourd'hui ou d'hier, qui compensent la maigreur de leurs budgets par l'ampleur de leurs idées ; en effet, ce blog procède de la célébration, de l'invocation (des morts), de l'incantation (du langage) : comme le disait Wilde dans la préface du Portrait de Dorian Gray, il n'existe pas de livre moral ou immoral, seulement des livres bien ou mal écrits - ceci vaut aussi pour le "septième art", avec ses trésors à chercher parfois dans de "mauvais" genres aux réputations injustifiées, loin des baudruches reconnues et primées...
Supprimerhttps://lemiroirdesfantomes.blogspot.com/2025/01/make-mars-great-again.html
Supprimer"Ici se tient la part la plus émouvante du long métrage, remarquablement structuré, rythmé au point de ne paraître jamais long : Jake va devoir faire le triple deuil d’une femme dédoublée pour réintégrer la communauté humaine et regagner son humanité à lui. "
RépondreSupprimercette phrase de votre billet ainsi que d'autres étrangement me font penser à un autre film tout différent (Broken Flowers, ou Fleurs brisées au Québec, est un film américain réalisé par Jim Jarmusch, sorti en 2005.) mais qui évoque la problématique des "clichés", des mythes, des visages démultipliées dans le miroir cinématographique la part d'humanité résiderait-elle en la possibilité d'aimer un autre, en l'occurence un fils, qui ne me ressemble pas ? Amérique traversée au travers d'une quête humaine autour d'une blessure profonde et jamais vraiment refermée, chacun dans sa bulle au travers des générations ? : https://www.youtube.com/watch?v=KHCs8OAd-EY
https://www.youtube.com/watch?v=ygQ4gzyn0W0
Supprimerhttps://www.youtube.com/watch?v=0kXyyuC02og
Merci pour les beaux partages, comme un écho ...La Nuit Américaine
Supprimerhttps://www.youtube.com/watch?v=uTJYBkX8SNw
https://www.youtube.com/watch?v=CawVaHxWvnA
Supprimerhttps://lemiroirdesfantomes.blogspot.com/2018/11/la-fiancee-du-monstre-plan-9-from-outer.html