Le Charme discret de la bourgeoisie : Le Fantôme de la liberté


Laissons les Monty Python et Quentin Dupieux à leurs exégètes, pour brièvement saluer le nonsense selon Luis Buñuel.


Voici une grande comédie noire, à l’onctueuse courtoisie, au picaresque mental, basée sur l’interruption et le décalage, portée par six personnages en quête d’histoires, tissant le rêve au réel et la variation au souvenir.

Ici et là, Au hasard Balthazar, avec bien plus d’humour que chez Bresson, certes, mais (presque) pas moins de sauvagerie et de colère, devant le monde d’aujourd’hui ou d’hier, et inversement, un ambassadeur traqué par une jeune et fraîche terroriste trafique de la poudre blanche ; des bourgeois adultères en goguette forniquent mais ne parviennent jamais à consommer ; un évêque se met au jardinage et au fusil de chasse ; des militaires fument de la marijuana ; les enfants obéissant aux fantômes empoisonnent leurs pères truqués ou cherchent en vain leurs mères disparues au royaume des ombres ; tout le monde se retrouve sur une scène et succombe dans un massacre final qui annonce La Cérémonie de Chabrol (la fine et mutine Stéphane Audran fait le lien entre les deux portraits vitriolés de la bourgeoisie, bien sûr).

Cette voie libre de l’imaginaire écartée des balises narratives, obéissant à sa propre logique irréductible aux hypothèses rémunérées de la psyché (Sigmund F. et ses enfants naturels) autant qu’aux grilles de lecture structuralistes, qui n’exclut pas l’émotion, un autre cinéaste la prendra pour éclairer sa nuit sur l’autoroute perdue : David Lynch.


Les saynètes s’enchaînent avec le surréalisme létal de la roue infernale du destin d’un revolver chargé à blanc – au cinéma, les morts finissent toujours par se relever, tandis que la caméra tue tous ceux qui osent se placer dans sa ligne de mire –, ce qui n’enlève rien à la valeur du film, à son sérieux hilare, parce que le pacte avec le spectateur ne se situe plus au niveau de la (trop) fameuse identification, de l’empathie, mais à celui du jeu, avec lui-même, avec le récit, avec la « suspension d’incrédulité », de la sympathie complice, voire de la destruction assumée : plaisir du réalisateur, adversaire reconnu de toutes les dictatures, à détruire ses marionnettes pour mieux les ressusciter, joie politique du cinéphile à s’éloigner des chemins (a)rebattus de la comédie sinistre, de la satire émoussée, de l’œuvre engagée (spécialité des « indignés » professionnels et autres consciences morales autoproclamées à peu de frais)...

Don Luis s’amuse, et nous avec, car ses films, même les plus âpres, comme Los olvidados ou Tristana,  se caractérisent encore par une grande douceur, une vraie légèreté : Le Charme discret de la bourgeoisie séduit aussi, ouvertement, par sa constante gaieté, par le brio populaire de sa distribution facétieuse et décomplexée.

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