Le Tombeau des lucioles : À ma sœur !


Des bombes et des bonbons, des enfants et des fantômes, Isao et Hayao…


L’éprouvant chef-d’œuvre de Takahata repose sur un postulat obscène, sur une image interdite, propre à faire défaillir le fantôme de Disney et celui de ses héritiers, même les plus rebelles (Don Bluth ou Tim Burton, au hasard), sur un tabou a fortiori interdit (de représentation) dans le dessin animé : la mort d’une enfant (de quatre ans, inoubliable petite Setsuko).

Plutôt qu’à Jeux interdits, drame assez surfait (Clément déploie davantage d’obscurité en Plein soleil ou en compagnie du Passager de la pluie), à Agent secret et aux Incorruptibles (enfants qui explosent, littéralement), on peut penser à Requiem pour un massacre, à L'Incompris ou à Barry Lyndon, sans oublier La Petite Fille aux allumettes, conte crève-cœur adapté par Renoir ; tel Carlito Brigante à terre sur le quai de Grand Central, revoyant le film noir et mélancolique de sa vie en Impasse, Seita contemple au début du film son cadavre affamé dans la gare de Sannomyia, pour délivrer aux bambins du monde entier ses bouleversants mémoires d’outre-tombe – circularité spéculaire en quête d’un paradis imaginaire (les deux œuvres s’achèvent sur une coda au crépuscule, dans le rougeoiement d’un futur au passé), montée au ciel, descente au tombeau.

L’artiste-artisan – par opposition à l’auteur qui doit composer avec le réel, d’où le rêve de certains réalisateurs, Hitchcock en tête, de déchirer leur acteurs à la façon de simples dessins –, penché sur ses celluloïds  translucides, ose un cinéma de la cruauté qui n’épargne personne et surtout pas le spectateur, enfantin ou adulte (son film, programmé au Japon en double programme avec le rassurant Mon voisin Totoro, fit un flop malgré le bienveillant discours éducatif basé sur le « devoir de mémoire » local).
      

On pleure beaucoup en regardant Le Tombeau des lucioles, mais l’auteur, très justement, se défend du mélodrame martial et culpabilisant autant que du plaidoyer antimilitariste ou pacifiste (erreur commise en écho à propos de La Grande Illusion). S’il montre la Seconde Guerre mondiale d’un point de vue nippon, suivant Hiroshima mon amour, précédant Pluie noire et Lettres d’Iwo Jima (Furyo représente une exception « révisionniste » dans ce dolorisme aux accents parfois nationalistes), il dépeint avant tout un aveuglement individuel, une fuite domestique, un autisme hélas vite rattrapé par le principe de réalité, pour un diptyque historique et symbolique avec Le vent se lève de Miyazaki, comme si les créateurs du studio Ghibli dialoguaient par destin et agonie – collectives, singuliers – interposés, à quelques années de distance.  

Une ligne claire et crépusculaire, des gestes alourdis, épuisés, se substituent à la fraîcheur et à l’anthropomorphisme didactique de Goshu le violoncelliste ; ici, l’esprit des animaux rejoignait celui de la musique ; là, la nature indifférente sert de cadre doux et radieux à une double mort naturaliste, par un cinéaste francophile et francophone (traducteur de Prévert !) dont ce « scandale », pourtant  tout sauf désespéré, corrige in fine le « ludisme » de Boorman dans Hope and Glory.

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