Music of My Life : Bruce tout-puissant


Et les bons contes font les bons amis, du côté de Luton puis Asbury…


Ici, hélas, pas une once de l’urgence, de la pertinence, de My Beautiful Laundrette (1985) & Sammy et Rosie s’envoient en l’air (1987), diptyque in situ, instantané, des années Thatcher, dépeintes par un tandem Hanif Kureishi/Stephen Frears à la fois tendre et en colère. « Feel good movie » téléfilmé, « inspiré d’une histoire vraie », Music of My Life (Gurinder Chadha, 2019) ferait aussi ressembler Absolute Beginners (Julien Temple, 1986) à un métrage marxiste. Narré par son principal protagoniste, un « Paki » porté sur l’écriture, en opposition paternelle, sujet d’une épiphanie jolie, un soir de tempête suspecte, réminiscence de romantisme, ce récit d’une déception, d’une obsession, d’une ascension, ne réserve aucune surprise au spectateur anglophone, anglophile, déjà au courant, dès son rural commencement, de son collégial achèvement. Cependant, on n’y perd pas trop son temps, on y (ré)entend les bonnes chansons du « Boss », on y découvre un casting choral tout sauf moche, bien conduit par le convaincant Viveik Kalra. Comme tout film britannique ou presque, celui-ci s’honore à son tour d’une conscience sociale, voire « raciale », sorry pour la neutralité républicaine, à faire saliver nos piteuses productions hexagonales. La réalisatrice de l’historique Le Dernier Vice-Roi des Indes (2017), (re)lisez-moi ou pas, propose un digest soigné de cette période troublée, une reconstitution certes superficielle, un brin trop belle, mais jamais cynique, archéologique. Même manichéen, arrière, affreux « Aryens », Music of My Life demeure un item divertissant, guère pesant, un opus œdipien mené bon train, qui au passage relit et délocalise le Marius de Marcel Pagnol (& Alexander Korda, 1931), cite quelques secondes, course sur un pont à trois, voilà, voilà, le marivaudage d’un autre âge de Jules et Jim (François Truffaut, 1962).




Sur un mur de la chambre du héros figure une affiche de Furyo (Nagisa Ōshima, 1983), néanmoins rien de SM, d’homo, durant cent vingt minutes un chouïa longuettes, prolongement distrayant du dessein assumé d’un Jacques Demy, c’est-à-dire (ré)enchanter la vie, la chanter, la colorer, en chasser la grisaille, la ferraille. Afin de voir plus clair, il convient d’être « aveuglé par la lumière » – titre original, d’après un morceau méconnu, en tout cas de moi-même – du philosophe US, estimable héraut de la classe classée moyenne, admiré par un certain Ronald Reagan, détesté à tort par des Européens révulsés par son supposé nationalisme de naissance, d’arrogance, né aux USA, cela nous laisse froid, rentre chez toi. L’écrivain pas vain rêve d’ailleurs, conquiert un cœur, fifille « antifa », hourra, remercie son ami, maquillé, extasié devant les synthés, chambré par son propre papounet, au marché, mince, surtout se réconcilie avec son père exilé, ouvrier automobile remercié au bout de seize ans de service, au chômage, dommage. Tandis que sa mère exemplaire s’épuise sur sa Singer, que sa sœur compréhensive s’isole des malheurs en « boîte de jour », y danse accompagnée de son amour, Javed s’achète un blouson en jean, se coiffe à la Springsteen, affronte le racisme du National Front bas du front, sinistres plaisantins de mosquée profanée, de convoi de mariage contrarié. Soutenu par sa prof, son voisin, son sikh fanatique de la musique de Bruce, il bosse en stagiaire rémunéré au Herald, article en une politique, tant pis pour le mélodique, part en pèlerinage dans le New Jersey, revient au sein de sa province apaisée proférer son speech récompensé. Drolatique, mélodramatique, chorégraphique, œcuménique, anecdotique et sympathique, Music of My Life amuse souvent, émeut un peu, souligne la nécessité de la musique, des lyrics, leur puissance populaire, salutaire, remplie de compréhension, de communion, de respiration, de réconciliation.



En tant que cinéphile, citoyen, mélomane, (grand) enfant, on peut trouver l’ensemble délesté de la moindre musicalité, un comble, on peut estimer tout ceci bien inoffensif, sinon conservateur, la famille érigée en définitive valeur, là ou ailleurs, toutefois ce conte souriant, carburant à l’allant, à l’élan, ne macère pas dans l’amertume, incite à se secouer, à ne pas se lamenter, à écrire pour célébrer, pas pour nuire, ni pour maudire. Au-delà, le monde immonde se déploie, contamine jusqu’au cinéma, cf. la pénible Polanski saga. Raison supplémentaire de changer d’air, de prendre de la hauteur, d’écouter les morceaux d’un cœur en chœur, quitte, ensuite, à n’en retenir qu’un écho, deux ou trois photos (de générique de fin), à défaut d’autre chose, plus précieux, plus morose. Les films/les disques/les livres, tout et rien, doivent-ils nous faire nous sentir bien ? Bien sûr que non, pourtant ils le font, pourquoi le leur reprocher ? La lucidité, la rugosité, l’attaque, la paire de claques, remisons-les au placard, le temps d’un soir, histoire de fredonner au diapason d’un titre pas con, éclaircie sincère, éphémère, parmi le marasme des écrans, la détresse des survivants, donc de toi et moi, que cela te plaise ou pas.


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