Backtrack : Train d’enfer
Parvenir à se souvenir, au risque d’en mourir, et le « tel père, tel
fils » contredire…
Adulte, endeuillé, élégant, soigné,
le méconnu-mésestimé Backtrack (Michael Petroni, 2015)
mérite vraiment d’être exhumé, réévalué. Psychiatre patraque, papounet
désemparé, pêcheur pécheur, une seconde d’inattention + un reflet de camion =
une fillette adorée terrassée, l’adoubé, very
broody Adrien Brody y broie du noir,
carbure à la culpabilité. À l’instar du gosse trop lucide de Sixième
Sens (M. Night Shyamalan, 1999), il aperçoit des dead people, dialogue
avec, par exemple l’impeccable Sam Neill, puis rentre chez lui, revoir son
père, y voir plus clair. Mais la mémoire, évidemment amère, le fait ressembler
à l’amnésique volontaire de Spider (David Cronenberg, 2002), lui
fait affronter son propre géniteur, policier retraité auparavant buveur,
kidnappeur, violeur, tueur, mystificateur, dissimulateur et peut-être serial killer. On passe par conséquent du mélodrame familial au polar œdipien,
à l’enquête intime mâtinée de fantastique, comme si Ne vous retournez pas
(Nicolas Roeg, 1973) croisait Comme un chien enragé (James Foley, 1986)
au carrefour de catastrophe ferroviaire, de coda justicière. Métrage
australien, autarcique, assourdi, à la perversité très jim thompsonienne, Backtrack
permet de découvrir un acteur convaincant, inquiétant, aux faux airs de Mitchum
Robert, mémorable chasseur nocturne selon Charles Laughton, car jamais de
hasard au cinéma, seulement des harmonies, nommé George Shevtsov. Face au
monstre charmant, accueillant, consolant, en pyjama, pieds nus, Robin McLeavy, vue dans The Loved Ones (Sean
Byrne, 2009), interprète une femme flic futée, elle-même orpheline de sa British mommy, ultime proie du prédateur menottée, dans le coffre enfermée,
in extremis sauvée par une balle, sa
souplesse, la course du fils rejouant la scène obscène, dite « primitive »,
double sens, c’est-à-dire sexuelle, sauvage, la corrigeant, l’inversant,
guérissant son trauma d’autrefois,
voilà.
L’épilogue apaisé, purifié, nous
présente le couple sur une plage, au bord de la mer, loin de la mort, encore
capable de sourire, d’envisager l’avenir. À quoi, à qui penser, sinon aux
enfants, perdus, pleurés, partis, prochains ? À la fin, du film, du
naufrage, il faut renaître, refaire surface, ne plus rien oublier, s’autoriser
à redémarrer. Le bonheur n’existe pas, pas ici-bas, pas comme ça, raison
supplémentaire pour essayer, ensemble, d’être à nouveau à deux, radieux, tristement
heureux. Le bien intitulé Backtrack ne revient en arrière
qu’afin d’aller de l’avant, s’apparente, au propre, au figuré, à une traversée
enténébrée, à une malédiction conjurée, à un fait divers d’aujourd’hui, d’hier,
impossible pression sur les épaules de l’ami suicidaire, pendu désargenté sur
le lieu du crime commis par le vrai coupable insoupçonnable, sa « profanation »
(dirait Ellroy) de lycéenne disparue cependant accomplie derrière une vitre
impure, devant les yeux de sa progéniture, spectateur de l’horreur, ensuite des
spectres vengeurs. Le cinéma sert aussi à cela, nous confronter à la familière
insanité, à son éclairante obscurité, nous rendre manifestes les fantômes et
les fantasmes, nous accorder une seconde chance, sous la forme d’une esthétique,
politique transcendance et l’opus de
Petroni, peu prolifique scénariste/réalisateur/producteur, qui commit les scripts des anecdotiques La
Reine des damnés (Michael Rymer, 2002), Le Rite (Mikael Håfström,
2011), tant pis pour son classicisme impersonnel, ses champs-contrechamps
obligeants, procède de ce processus,
se préoccupe de catharsis, de supplice, de « choses d’homme »
ignobles et de foi dans un optimiste au-delà, le Stanley Kubrick en tricycle, sarcastique
et sentimental de Shining (1980) opine. Outre son casting convaincant, son argument prenant, Backtrack bénéficie du
beau boulot du directeur photo Stefan Duscio, d’une durée idoine,
quatre-vingt-cinq minutes à la fois douces et denses.
Alors montez fissa à bord du train
méta, où les fantômes, vampires du pire, ne se reflètent pas, pas même au
miroir fantomatique ; où une célèbre peinture de Brueghel, de paysage, de
patineurs, de trappe à plumes, pose une question ; où le secret asphyxie ;
où les articles de journal fatal ne se consument sous la fumée, tel
l’impassible et « refoulé » passé, Sigmund acquiesce. Modeste,
sincère, discret, Backtrack séduit sans ennui les inconsolés.
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