Berlin Falling : Berlin Undead


Chute de dictateur ? Dernier battement de cœur… 


À Brieuc Le Meur, d’ici, d’ailleurs

Un vétéran d’Afghanistan croise la route, littéralement, d’un terroriste allemand : résumé ainsi, Berlin Falling (Ken Duken, 2017) ressemble à un road movie venu de Germanie, voire à un huis clos (motorisé) sado-maso ; il s’agit, en réalité, d’un thriller méta, qui divise et fait dialoguer deux personnalités, pour mieux dépeindre le contemporain européen, lui-même dépressif, sinon suicidaire. Au générique de Inglourious Basterds (Quentin Tarantino, 2009), l’acteur-auteur-réalisateur-producteur possède assez de générosité afin de mettre en valeur son auto-stoppeur/ravisseur, drolatique et pathétique Tom Wlaschiha, vu dans Walkyrie (Bryan Singer, 2008). Deux hommes, une voiture, une bombe + une ex-femme (Marisa Leonie Bach, épouse du cinéaste) et une fillette à bord d’un train, roulant tous vers Berlin – au carrefour de la folie, du désamour, on se délecte de l’insanité du discours, on évacue sa culpabilité alcoolisée, on se supprime en vrai-faux martyr privé d’avenir. La linéarité du trajet s’accorde à celle du déroulement de l’argument, la simplicité de la mission rejoint celle de l’énonciation. Premier métrage prometteur, Berlin Falling ne faiblit pas, raconte un contre-la-montre, (re)trace une série de désastres, villageois lointains réduits à rien, massacrés, paire de policiers égorgés, exécutés, puis explosion à proximité d’une gare, nocturne coup de Trafalgar. Duken ponctue sa chronique d’une mort annoncée, où le protagoniste principal joue déjà les gisants dès le commencement, dès le premier plan, de trois moments presque passionnants, parce qu’ils supposent une réflexion en action(s), à propos des puissances spectrales du cinéma, ja.



Le chauffeur à contrecœur observe sur son rétroviseur extérieur le meurtre du flic en uniforme, tel Persée espionnant la sidérante Méduse au creux de son bouclier, effet de reflet jadis utilisé aussi par Elem Klimov selon Requiem pour un massacre (1985), son propre éprouvant voyage au bout de la nuit (de l’âme malade), au titre original apocalyptique, explicite, lapidaire : Va et vois. Ensuite, le complice du kidnappeur, passager rapproché, insoupçonnable, insoupçonné, montre, au moyen de son cellulaire, à l’otage une image en temps réel des deux femmes (menacées) de sa vie, révélant au passage, de visu, la vérité, la tension, de la relation père-fille (non, je ne veux pas lui parler, tant pis). Enfin, notre néo-nazi au nez cassé, à l’idéologie ressassée, par exemple pays « millénaire », politiciens « dégénérés », « l’Arabe » désormais substitué au Juif, quoique, quand même condamné en tant que capitaliste US, se déguise en islamiste masqué, dirige une mise en scène doucement obscène, confession d’extermination, de damnation, servant à dissimuler ses desseins malsains, à déclencher une subite et sauvage réaction, sorte de répétition à domicile teuton du fameux « choc des civilisations ». À l’heure de la peur, des fake news plus ou moins maousses, le mensonge se trame au caméscope et parmi le monde entier se colporte, parole(s) de cloporte(s). Précis, épuré, situé de façon sinistre, ironique, aux alentours de Noël, période de partage a priori œcuménique, fraternelle, Berlin Falling dialectise le passé et le présent, la propagande et les guirlandes, une vareuse et des idées vaseuses, des tandems d’automobilistes tendus, à peau blanche ou brune (souvenir de chemise idem).


On le sait, il existe plusieurs manières de faire du cinéma politique, pardon du pléonasme, de citer la Cité, mentionnons à cette occasion les récents Hors normes (Olivier Nakache & Éric Toledano, 2019) et Les Misérables (Ladj Ly, 2019), items médiatiques, apparemment anecdotiques, remplis de champs-contrechamps, de zooms avant, de bons sentiments rassurants. Filmé en widescreen, en trois semaines, incluant des écrans démultipliés, Berlin Falling prend un autre chemin, beaucoup moins serein, remémore, à sa mesure modeste, sincère, intéressante et prenante, l’instantané suprême de Redacted (Brian De Palma, 2007), encore une métaphore, une mise à mort, du rapport Occident/Orient, placé sous le signe sémiologique de l’enregistrement, du sang, du foudroyant. Si l’on peut douter, malgré La Mer chantée par Charles Trenet, que Madame Anne Hidalgo apprécie le point de vue adopté, proféré, d’après lequel des musulmans armés arpentent les Champs-Élysées une fois par trimestre, peste, il convient néanmoins de recommander à la curiosité cinéphile, citoyenne, ce métrage méconnu, quasiment confidentiel, dont la coda cohérente, logique, tragique, mélodramatique, tout sauf un reproche de ma part, ne laisse pas froid, au contraire, émeut par son lyrisme mineur. Un plan-séquence en steadicam y suit le mouvement de la maman et de l’enfant, motivé par un message d’outre-tombe invitant à ne pas croire les bobards de bientôt. À nouveau, intelligemment, Berlin Falling mise sur le hors-champ, le spectacle spectaculaire suggéré, imprimé sur les traits de l’interprète, tapisserie très humaine de stupéfaction et de détresse, avant de prendre congé du spectateur regardant la gamine en train de regarder l’invisible.


Tout ceci, on le lit, se signale par sa lucidité, sa maturité, mérite, pourquoi pas, de suivre les prochains pas de Ken Duken, témoin guère incertain, cynique, d’une réalité toxique, des deux côtés du Rhin et bien au-delà, que tu le veuilles ou pas – la nôtre, ach so.

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