Annabelle : La Maison du mal : Panic Room
Poupée pourrie ? Surprise sympa…
Pour mon frère
Film féminin, sinon féministe,
puisque les hommes n’y font, au fond, que de la figuration, Annabelle : La Maison du mal (Gary Dauberman, 2019) mérite quelques lignes
incitatives, conviviales, presque hivernales. Il s’agit, résumons, à nouveau,
d’un huis clos, d’un mélo d’ados, où surmonter un trauma, accident de voiture du papa, où croiser par deux fois son quasi reflet, funeste présage d’image,
où accepter l’héritage particulier de ses parents, cause de scolaire
harcèlement, c’est-à-dire consentir à soi-même devenir, malgré son jeune âge,
experte en paranormal, démonologue à domicile, amen. Fable familiale d’apprentissage accéléré, tout s’y passe un
vendredi, malsain plutôt que sain, ce troisième volet d’une provisoire trinité précédemment
évoquée – (re)lisez-moi ou pas à propos de Annabelle (John R. Leonetti, 2014) +
Annabelle
2 : La Création du mal (David F. Sandberg, 2017) – possède
plusieurs qualités laïques, au-delà de son christianisme assumé, religion du
réalisateur, d’ailleurs. Dauberman, on le sait, on s’en souvient, écrivit les
mésaventures immatures précitées, en sus de Ça (Andrés Muschietti,
2017/2019), dispensable transposition en diptyque, d’après la psychanalyse
épique de Stephen King ; il commit aussi la trame blafarde de La
Nonne (Corin Hardy, 2018). Pareil pedigree
peut inquiéter, mais son passage derrière l’objectif constitue, de visu, en vérité je vous le dis, cinéphiles
sceptiques, une modeste réussite, un métrage assez adulte, qui prend son temps,
qui ne prend pas le spectateur pour un client. Certes, les amateurs de la
fastidieuse franchise Conjuring
s’y reconnaîtront, quoique, cependant le sage ouvrage arbore sa propre
personnalité, sa propre tonalité, motif possible de déception auprès d’une
partie du public, de la critique, nonobstant son succès en salles estivales.
Production classique, soignée, en widescreen, beau boulot à la Mario
(Bava) du directeur photo Michael Burgess (La Malédiction de la dame blanche,
Michael Chaves, 2019), travail estimable de la chef décoratrice Jennifer Spence
(Dans
le noir, David F. Sandberg, 2016), Annabelle : La Maison du mal
parvient à créer une atmosphère à la Fog (John Carpenter, 1980), cf. la
scène d’arrêt nocturne, routier, à la Christine (John Carpenter, 1983), reconstitution
vintage oblige, à La
Quatrième Dimension (la série de Rod Serling, pas son revival sur Canal), aux lycéens selon
John Hughes (romantisme candide, sérénade à la guitare, gare au loup-garou
relou). Il fait mieux, il formule une moralité endeuillée, résiliente, de
valeureuse(s) survivante(s), délivrée par la revenue Vera Farmiga –
(re)lisez-moi ou pas, bis, au sujet
de Bates
Motel ou In Tranzit (Tom Roberts, 2007) – le temps d’une réplique
politique. Film d’objets inanimés, d’entités en quête suspecte d’une âme pas si
charitable envers les esprits maudits, Annabelle Comes Home, titre original
explicite, programmatique, cartographie et oppose deux espaces distincts, d’un
côté la sombre maison-musée-mausolée, de l’autre l’allée ensoleillée, métonymie
d’un monde diurne avisé via le judas.
Lorraine Warren, à la « mémoire affectueuse » de laquelle, dans la
vraie vie, l’ouvrage s’affirme in fine
dédié, boucle bouclée, logique nécrologique, dit donc à Daniela, à proximité
d’une fenêtre honnête, que tout le mal expérimenté-(r)amassé à l’intérieur lui
permet de se rappeler tout le bien disponible à l’extérieur, mon cœur. De la
dichotomie découle un dialogue, se développe un vieux conflit, durant une longue
nuit d’insomnie, avant le retour (des adultes), le jour (loin de l’occulte, du
tumulte).
La vitrine évidemment (con)sacrée du
pantin diablotin ressemble par conséquent à une châsse, un reliquaire d’enfer,
double sens, un moyen transparent, éloquent, de cadenasser la perversité, ses
éternels maléfices, tours de passe-passe + frissons en série, et matérialise au
miroir de l’écran, petit ou grand, le film lui-même, sorte de train fantôme en
définitive inoffensif, tenu à distance, boîte de Pandore dénuée de mort(s), au
parcours dangereux, au dénouement heureux. Pareille allégorie d’immanence, de
transcendance, de règne du réifié, du sanctifié, ne pouvait probablement nous
venir que des USA, de son cinéma, pays-imagerie du mélange, des diables, des
anges, surtout à Los Angeles, à Hollywood, nation du home et de son invasion, terre de la Frontière, de son horizon, de
l’enfance, de son infection, au moins depuis la Dorothy tourmentée,
délocalisée, du Magicien d’Oz (Victor Fleming, 1939), appréciez le prénom de
Judy retrouvé ici, similaire et différenciée traversée des territoires, des
histoires, des mémoires, du foyer, des freaks.
Avec cohérence, persistance, Annabelle : La Maison du mal
retravaille des figures de la mythologie grecque et nippone, nocher à payer
d’une obole oculaire, samouraï en ferraille et voix off very vénère. Il
affiche une funèbre fiancée à la James Whale (ou Wan), un clébard à la
Baskerville (Fisher ne s’en effarouche) et un singe à la Stephen King, bis de Brume. À l’instar de
l’épouse curieuse de Barbe-Bleue, Daniela, à la recherche de la survivance de
son père, cherche le trousseau de clés de l’interdit sanctuaire, y pénètre,
risque de prendre pour perpète, d’y perdre ses deux amies et son âme unique.
Film drolatique et mélancolique, pourvu
d’un générique de fin très pop, surplombé
par le léger Dancing in the Moonlight de King Harvest, Annabelle : La Maison du mal
reprend l’optimisme sarcastique (et le couloir caveau) du Stanley Kubrick de Shining
(1980) – on doit se réjouir et toutefois frémir des fantômes de nos défunts,
fichtre. L’item de Dauberman, tout
sauf une daube (d’accord, je sors) décérébrée, cynique, maléfique et mal
filmée, bénéficie de surcroît d’un casting
impliqué, mention spéciale à la petite Mckenna Grace, croisée à l’occasion du
risible Amityville: The Awakening (Franck Khalfoun, 2017), comporte en
plus trois instants vraiment inspirés, inspirants, je pense au travelling à 360° en compagnie de Judy,
témoin de bazar spectral, de présence véloce, sonore ; je pense à la
métamorphose multiple, en ombres chinoises, moment mural méta, de terreur
colorée, acmé d’incube, quelque part entre Walt Disney (La Belle au bois dormant,
Clyde Geronimi, 1959) & Scott Ridley (Legend, 1985) ; je pense à la
projection (à la mise en abyme) de Patrick Wilson, séance d’exorcisme en replay, affirmation fervente d’une foi
dans les puissances du cinéma. Annabelle : La Maison du mal s’achève
comme il commence, par une composition en perspective, une reprise renversée,
apaisée, de l’ouverture impure, Judy désormais à la place de la poupée, d’abord
esseulée, ensuite rejointe par ses camarades de triste anniversaire, car cru
solitaire. Finalement, les enfants, les adolescents, leurs parents en viennent
à réaliser que tout le monde tombe malade de la mort, maladie déjà domestique, à
la naissance attrapée, qu’il ne sert à rien de le nier, de s’en prendre à
celles qui s’entretiennent, en périlleuses professionnelles, dans le sillage
féministe et misogyne des sorcières d’hier, avec les (chers) disparus, que l’on
ne voit plus, que l’on espère, en secret, pouvoir une seconde encore rencontrer, caresser, que leurs efforts doivent au contraire apporter du réconfort,
de la solidarité, de la citoyenneté.
Au cœur de cette lumière des cœurs in extremis en accord, en chœur, guéris
et victorieux de la peur, réside la beauté mineure et majeure d’un film
fréquentable, plaisant et pertinent. Confessons-le, on n’en espérait pas tant,
miracle de hasard, d’un soir, d’une porte rouge à pousser, afin de sourire, se
réjouir, respirer, quitte, bien sûr, plus tard, de préférence en bonne santé,
entouré, à trépasser, les fils fragiles de nos existences, de nos souffrances,
de nos errances, coupés par le trio des Parques impitoyables, marionnettistes
ultimes, tisseuses malheureuses, au-dessus et au centre du ciné, CQFD.
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