Thalasso : Le Gros et le Maigre


La référence et la vérité, les rillettes et le dentier, le rire et la réalité…


Assez amusant, carrément inconsistant, Thalasso (Guillaume Nicloux, 2019) délocalise, développe et radote L’Enlèvement de Michel Houellebecq (Guillaume Nicloux, 2014). Sur fond d’autofiction, de chronique en Scope, de remise en forme, de remise aux normes, celles de l’hygiénisme moderne, nique la nicotine, inspiratrice sevrée, substituée à l’absinthe de Baudelaire, l’écrivain croise (le couloir) la voie (et la voix) de l’acteur de The End (Guillaume Nicloux, 2016), enfin sorti de sa forêt, ouf. Michel & Gérard dans le même bateau, le spectateur tombe à l’eau ? Presque, puisque s’enchaînent les saynètes, assemblées de manière linéaire, les deux lignes narratives principales, la cure impure, le couple en déroute, finissant évidemment par se rencontrer, sinon se contaminer. À Cabourg, mon amour, on coule des jours moins tranquilles qu’à Clichy, en tout cas en mode Henry Miller, on y baise beaucoup moins, même si l’on parle de « bite » amputée, gare au frigo, froid d’effroi, et de « chatte » transplantée, pour ainsi dire vue à la TV, combattons la stérilité, attention au risque de rejet, thème humoristique d’une discussion masculine, en automobile, à faire frémir les cinéphiles féministes, déjà bien irritées par la prose sexuée, très second degré, du fumeur déplumé. En résumé, Thalasso ressemble à la célèbre scène dialoguée, alcoolisée, des Tontons flingueurs (Georges Lautner & Michel Audiard, 1963), à sa dilatation de saison, à son étirement hors du temps. Michel chambre Monsieur Emmanuel Macron, mais l’argument se désolidarise de l’actualité, se déroule en autarcie, le huis clos de la cuisine « culte », à succès, du titre précité, remplacé par l’établissement spécialisé. Un tel environnement gentiment déprimant, au luxe liberticide, aux tortures soft, pouvait se prêter à du réalisme classé fantastique, territoire jadis exploré, par exemple, par le Stanley Kubrick de Shining (1980) et l’Andrzej Żuławski de Mes nuits sont plus belles que vos jours (1989).


On sent le cinéaste tenté par cette orientation, je pense en particulier au personnage de la devineresse Daria, on se souvient que Valley of Love (Guillaume Nicloux, 2015), (auto)cité par l’intéressé, essayait de filmer l’infilmable, une transcendance endeuillée, issue du désert US. Le motif de la résurrection, du retour attendu des chers disparus, revient d’ailleurs dans Thalasso et nous vaut l’instant le plus surprenant, émouvant, de ce métrage un peu trop sage, pourtant à contre-courant du tout-venant, en cela digne d’estime, en sus de l’appréciation personnelle due au tandem médiatique, drolatique, polémique. Les larmes aux yeux, l’élocution humide, Michel évoque à un Gérard incrédule, double sens, l’absence et la renaissance de sa grand-mère adorée, dont il sait pouvoir, à nouveau, caresser l’épaule, puisque « la mort n’existe pas », amen. Vrai-faux documentaire tourné en bord de mer, avec le concours du réel directeur, des rémunérés employés, cf. les remerciements du générique de fin, Thalasso malaxe les registres, de jeu, de ton, de situation. Il s’agit d’une comédie de mœurs, d’une étude clinique, d’un compte à rebours reprenant, adaptant, « l’exosquelette » (Michel Chion) structurel du conte kinguesque de Jack Nicholson à l’Overlook, dont la coda de massacre hors-champ, commis par deux revenants, le cocu (par un aimable Black au regard asynchrone) et le clone (de Sylvester Stallone !), résonne avec le final différencié, similaire, vaguement marxiste, de La Cérémonie (Claude Chabrol, 1995). On se dit que l’inégal Nicloux, auteur itou d’un dispensable feuilleton pour ARTE, intitulé Il était une seconde fois, s’avère las du bavardage, des enfantillages, décide de pratiquer l’outrage, de se débarrasser de façon définitive de ses pantins aux bains – une mise en abyme in extremis vient renverser le récit objectif, le transformer, destin démocratique et discutable du ciné, en séance télévisée pour Madame & Monsieur à domicile, apparemment réconciliés.


Ni Laurel & Hardy, ni Astérix & Obélix, Michel & Gérard se marrent, naviguent à vue, entre les écueils de Yann Queffélec & Alain Minc, mince ; des chats d’Asie ou de la poésie d’Anna de Noailles ; de l’art estampillé contemporain, que dissimulent donc les valises posées en « installation », surplus de vaste suite ; des réminiscences de La Maman et la Putain (Jean Eustache, 1973), Françoise Lebrun en caméo, à la place de Jean-Pierre Léaud. Corpus en couleurs comme du noir et blanc élégant, félicitations au fidèle directeur de la photographie Christophe Offenstein, Thalasso paraît un apéro malicieux et creux, un exercice distrayant et stérile de dialectique appliquée, cadrée à quatre, Nicloux cumule, s’y colle encore, en champs-contrechamps en deux temps, davantage qu’une réflexion remplie d’esprit à propos du corps, des apparences, des souffrances, des légendes. « Honte de la France », notre duo tout sauf démago, aseptisé par le politiquement correct, le bien-pensant, le bien-portant ? Plutôt les (anti)héros d’une fable (ou farce) affable et imparfaite, d’une petite satire à proximité du pire, qu’il convient, l’œil serein, le sourire en coin, de découvrir, lestée à la fois d’amitié et de vacuité, d’enfance et d’errance, « choc des titans » – après Michel Houellebecq & Iggy Pop, compères de Rester vivant : Une méthode (Arno Hagers, Erik Lieshout, Reinier van Brummelen, 2016) – finalement bon enfant, manquant de mordant, tant pis pour la thérapie d’un cinéma national majoritairement et malheureusement lui-même malade, refroidissant, débilitant, guère engageant, depuis longtemps diagnostiqué vicié, embourgeoisé, malaisant, insignifiant, qui mériterait, instamment, un radical traitement, ou un rapide enterrement.

Commentaires

  1. Je n'ai rien oublié De Bruno Chiche
    https://www.dailymotion.com/video/xhsznc
    https://www.youtube.com/watch?v=n1a12qY9w0U

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. https://lemiroirdesfantomes.blogspot.com/2020/10/remember-me-dementia-13.html
      Merci aussi de ceci ; Michel en novembre, si cela vous tente :
      https://www.youtube.com/watch?v=THpfW1Ag_C0

      Supprimer

Enregistrer un commentaire

Posts les plus consultés de ce blog

Les Compagnons de la nouba : Ma femme s’appelle Maurice

La Fille du Sud : Éclat(s) de Jacqueline Pagnol

L’Enfer d’Henri-Georges Clouzot : Le Trou noir