Le Gangster, le Flic & l’Assassin : Le Droit de tuer ?


Chasse à l’homme qui dégomme, poursuite psychologique, tract patraque.


Voici un titre programmatique, de triangle asiatique, de divertissement dominical, droitiste in extremis, qui retravaille, selon la collusion, la collaboration, le parallélisme de M le maudit (Fritz Lang, 1931). La pègre gestapiste cède sa place à des spécialistes de machines à sous reloues, le tueur d’enfants sifflotant se métamorphose en taré jadis maltraité, en lecteur de traités ethnologiques, en automobiliste létal, entre le morose et l’extatique. Disons-le d’emblée : Le Gangster, le Flic & l’Assassin (Lee Won-tae, 2019) représente, au moins dans son ultime partie, une apologie de la peine de mort, institutionnelle ou individuelle, à faire fissa passer Michael Winner pour un émule de Robert Badinter, le William Friedkin du Sang du châtiment (1987) pour un simple rapporteur de procès, quasiment clément. Cette inclination peu politiquement correcte, inaccessible à la miséricorde, au pragmatisme élémentaire – depuis quand commettre un second meurtre répare le premier ? –, de surcroît assumée, dédoublée, les meilleurs ennemis réunis sur la même fréquence définitive, cf. le coup de théâtre carcéral final, où le caïd jubile, croise du regard, menotté, salué par ses sbires itou emprisonnés, ensuite sous la douche, les mains libres, prêtes à frapper, son adversaire de toute manière déjà mort, puisque condamné à la peine capitale, provoquera l’émotion parmi les partisans de l’abolition, mais le métrage orienté, bien mené, dense une heure cinquante, comporte cependant les qualités récurrentes, guère clivantes, esthétiques, rythmiques, ontologiques, de la cinématographie sud-coréenne, sur lesquelles je ne reviendrai pas, que je célèbre assez, au fil des films, sur mon reflet miroité.


Mieux, il se déploie tel un triptyque consacré à une masculinité tourmentée, obsédée, il peint des portraits d’hommes tout sauf médiocres, je dirais par ricochet, maniant à bon escient un montage alterné parfaitement justifié, jamais démonstratif, afin de souligner la symétrie des antagonistes, chers adversaires, alter ego au resto, toutefois différenciés, in fine, par le refus de la torture, le respect de la légalité, y compris payée par le contribuable, par exemple avocat de la défense ou chambre d’hôpital de convalescence. Dans le monde de course contre la montre du Gangster, le Flic & l’Assassin, les femmes font de la figuration, auxiliaire scientifique ou victime mouillée, épouse de kidnappé trucidé ou cuisinière complice, désargentée, intéressée par quelques billets. Grosse et grasse misogynie, reproche paresseux adressé par les féministes à moult productions en provenance de Séoul ? Plutôt un étalage de testostérone s’autorisant, heureusement, des pincées d’ironie, je pense en particulier aux costumes du malfrat, doté d’un (mauvais) goût vestimentaire digne d’un certain Tony Montana (Scarface, Brian De Palma, 1983), similaire cicatrice incluse ; à l’assurance souriante, arrogante, du policier, au dos presque cassé par sa joggeuse préférée, effrayée, réponse efficace, amusante, d’autodéfense ; au gâteau de mélo, d’anniversaire, vite engouffré par le serial killer, hilare de découvrir une proie supplémentaire, gare aux courants d’air. Porté par un beau trio, citons les noms du mélancolique Ma Dong-seok/Don Lee, apprécié dans Le Bon, la Brute et le Cinglé (Kim Jee-woon, 2008), New World (Park Hoon-jeong, 2013) ou Dernier train pour Busan (Yeon Sang-ho, 2016), de l’énergique Kim Mu-yeol, du psychotique Kim Seong-kyu, Le Gangster, le Flic & l’Assassin ne possède pas une once d’ambiguïté, ne constitue en aucun cas une moralité dépressive, refroidissante, à propos de vengeance au goût rance, d’abîme nietzschéen réversible, partagé, apanage adulte de l’éprouvant J’ai rencontré le Diable (Kim Jee-woon, 2010), malgré le « monstre » anonyme, réduit au générique à un devil en évident clin d’œil.


Le réalisateur-scénariste vient de la TV, alors producteur tenté par le ciné, cela se sent, souvent, même si son métrage, plaisamment sauvage, ne manque pas de prestance, d’élégance, remarquable boulot nocturne du directeur de la photo Park Se-seung. À défaut de surprendre, de révolutionner, l’opus précis, léché, impersonnel, peu solennel, séduit par sa modestie, sa linéarité, à la fois limites et qualités. Parmi l’opéra du polar, rempli de bruit, de fureur, de sang, de sueur, s’aperçoit un plan poignant, violence du silence : le spectateur attentif décèle, à l’arrière du bus pas seulement scolaire, une silhouette reconnaissable, sinistre, à contre-jour, bloc d’ombre sadique aux doigts brûlés à l’acide, donc inaccessible à une culpabilité tangible, matérielle, directe. En route vers sa mort, qu’elle ignore encore, la lycéenne assise, derrière la vitre, munie d’un parapluie, remercie, sourit au tandem inconscient, inversé par ses soins taquins. La scène, brève, manie ainsi avec maestria tous les éléments qui me font aimer ce cinéma-là, mélange stimulant, revigorant, de drame et d’humour, de tragédie et de trivialité, les larmes du ciel en ersatz de celles que n’oseront verser deux mecs aimables, aux actes parfois détestables, dont l’insistance à stopper le surineur excède la réputation contestée ou la fonction concurrencée, guéguerre avec la criminelle conjurée par une alliance avec des criminels, oxymoron de saison, occasion de larrons, d’attraction-répulsion. Lee Won-tae paraît terrorisé par l’obscurité esquissée, cadenasse, au propre, au figuré, la nudité de son démon mobile, citadin, organisé, serein, moqueur, courroucé d’être instrumentalisé par un conflit clanique.


Lang, Friedkin, Kim fixaient la folie en face, en stylistes hypnotiques, en arpenteurs sans peur d’un espace à l’air raréfié, constellé de banales atrocités, de tristes beautés ; notre cinéaste préfère la lumière, l’été survolté, de tous les dangers, l’uniforme un chouïa fasciste, de promotion-prémonition, la loi du Talion et son insatisfaisante satisfaction, le succès au box-office local, le remake à l’international, salut à Sylvester Stallone. On peut le critiquer, on peut s’en contenter, tant pis pour la vilaine VF, de paisible salle provinciale.


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