Dantza : Brigadoon
Danser sa vie, enchanté ? Dénombrer les minutes immobiles, désenchanté.
À la chère Shula, tu te
reconnaîtras.
Dantza (Telmo Esnal, 2018) se voudrait
mythique mais se réduit à de l’anecdotique et, peut-être pire, à de
l’autarcique. Ce projet assez sauvage, devenu produit trop sage, cherche à
séduire via ses paysages, voire ses
visages, n’y parvient jamais, dommage. On doit Dantza à un ancien
assistant d’Álex de la Iglesia, par exemple sur Le Crime farpait (2004)
ou Mes
chers voisins (2000). Toutefois, en dépit du sardonique pedigree, Dantza souffre aussi de
son manque d’humour, de son esprit de sérieux, de son déroulement laborieux,
en partie calqué sur le cycle des saisons, allons bon. Plus aéré que le claustro
Beyond
Flamenco (2016) du compatriote Carlos Saura, moins songeur que le
pictural Rêves (1990) d’Akira Kurosawa, cédant la 3D au piteux Pina
(2011) de Wim Wenders, trois influences assumées du cinéaste ex-danseur, Dantza ressemble ainsi à
une commande aseptisée, esthétisante, de l’OTSI d’Espagne, du Pays basque, à
une longue farandole fastidieuse durant laquelle les pas se répètent, se
succèdent les silhouettes presque suspectes. Si le ciné disons Benetton
représente souvent une sorte d’abomination, une démonstration de politiquement
correct abject, un sommet démagogique de cynisme, Dantza se dissocie de
l’aujourd’hui, médiatique, cinématographique, empirique, par conséquent sus au
multiculturalisme, à l’homosexualité, aux tensions partagées de nos sociétés,
des deux côtés des Pyrénées. L’harmonie insignifiante de l’ensemble, sa
lisseur, sa blancheur, sa fadeur, son absence de générosité, en viennent à
saouler, à questionner. Comme dans le contemporain Midsommar (Ari Aster,
2019), la communauté se limite à elle-même, à la frontière de la xénophobie,
cependant sa danse ne s’avère guère épuisante, davantage collective, festive.
Hélas, la sueur fait peur, le corps
peine encore, à apparaître, à se démettre, la géométrie de la chorégraphie,
prise en plongée, rappelle parfois les tableaux animés, gentiment érotiques,
d’un certain Busby Berkeley, olé, l’ivre travelling
circulaire à 360 degrés, d’abord à distance, ensuite en gros plan, en fondu au
blanc, bis, autour des amoureux
hétéros, juvéniles et beaux, amen,
vive le jeunisme, les traits et les terres titillés par la propreté publicitaire, nous
rapproche dangereusement de Claude Lelouch, pas de Brian De Palma, loin de là.
Au sortir de la salle locale, quelques spectatrices appréciaient les costumes,
se réjouissaient des jeux de lumière, néanmoins le cinéma ne saurait, que je
sache, se résumer à un défilé folklorique, à une addition décorative de
textures optiques. Dantza, dans l’esprit de ses créateurs sans doute sincères,
assurément peu inspirés, tant pis, équivalait à une fable aux prétentions
universelles, à un récit en pure gestuelle. Le résultat déçoit, propose une
identité pasteurisée, tronquée, dont le mutisme ne mime à aucun moment
l’éloquence, dont les chants, non sous-titrés en français, paraissent réservés
aux initiés, au cénacle savant, aux membres d’une troupe rétive à l’interlope,
donc au dialogue. De manière ironique, il suffit à Visconti & Cimino d’un tandem fameux, de bal social, sis parmi Le
Guépard (1963) et La Porte du paradis (1980), pour
laisser derrière l’essai a priori
excitant, au final inexistant, sinon arrogant. En conclusion, la souplesse
s’accorde mal avec la joliesse et la dear,
individualiste, Cyd Charisse, délestée de symbolisme scolaire, de hiératisme
risible, alors magnifiée par la caméra (é)mouvante de Vincente Minnelli (Tous
en scène, 1953) ou Nicholas Ray (Traquenard, 1958), continue à valser
pour l’éternité, entre rêve et réalité, en tout cas celle, forte et fragile, du
cinéma, pas seulement celui d’autrefois.
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