Edith, en chemin vers son rêve : Je sais où je vais


Sheila, Shula, un réchaud, du réchauffé…


Assez anecdotique, très touristique, Edie (Simon Hunter, 2017) néanmoins ne manque de mérite : durant ses meilleurs moments, ce métrage trop sage transforme le visage en paysage, en parallèle duquel ceux de l’Écosse, plutôt somptueux, paraissent pâlir, sinon s’abolir. Je me permets, aussitôt, de renvoyer le lecteur vers ma prose à propos de la face parfois fascinante, à la fois immense et intime sur grand écran. À notre époque et son ciné largement dominés par un jeunisme cynique, intéressé, il faut un certain courage pour s’autoriser de tels gros plans désarmants, presque malaisants. Je ne vois pas, actuellement, d’équivalent à une telle ivresse des rides, à une pareille proximité avec un passé incarné, au propre, au figuré. Les traits altiers de l’impeccable et francophone Sheila Hancock, elle-même veuve du regretté John Thaw (Inspecteur Morse mémorable, mélomane, thanks for this information, Shulamith), récompensée comédienne sur scène, sorry du pléonasme, accessoirement survivante d’un cancer du sein, son regard en effet félin, cristallin, sa beauté abîmée, mise à nu ou maquillée, gare aux gamines guère magnanimes, au miroir, vite un mouchoir, son talent d’actrice, bien sûr, présence physique, déjà fantomatique, sur laquelle repose en majeure partie l’opus pourvu d’une élémentaire moralité en forme de trinité – « it’s never too late for you, Edie », « Don’t forget yourself », « Never give up », amen –, tout ceci sidère le spectateur, l’apprivoise, lui apprend, par des chemins (de montagne) certes différents, à regarder autrement, à se laisser charmer par les avérés ravages de l’âge, à les renverser en hommages, à y percevoir des signes de séduction, au-delà de la répulsion, comme jadis le David Cronenberg pansexuel, tout sauf aéré, de Frissons (1975).



Cette appréhension adulte résonne à l’unisson de ponctuations sensuelles, sensorielles, par exemple une sonore carte postale maritime, un pied parmi le sable sombre, humide, une main + du vin au-dessus du bon bain, de sa chaude mousse maousse. Hélas, l’ensemble souffre d’être résumable, synthétisé, dès sa bande-annonce, de son absence de surprise, de sa lisseur, de sa fadeur, de son innocuité de publicité, de dépliant animé pour OTSI spécialisé, d’une projection numérisée, miroitée, incapable de capturer les noirs, le désespoir. Clairement modeste et vraiment indépendant, Edie se trouve ainsi à des années-lumière des univers de Werner (Herzog), des Archers (I Know Where I’m Going!, Michael Powell & Emeric Pressburger, 1945), de Michael Haneke (l’éprouvant et lucide Amour, 2012), des fabuleuses épiphanies féminines, autant en hauteur, de Stromboli (Roberto Rossellini, 1950) puis du Petit Prince a dit (Christine Pascal, 1992). Disons qu’il s’agit d’un joli conte de fées, point défait, dommage, où l’humour soulage ; où le principal personnage s’excuse d’une brève impolitesse, Edie devrait écouter Lana Del Rey, fan de fuck, fichtre ; où le convaincant et local Kevin Guthrie, en aucun cas fils adoptif, grisé par une GILF, ou faire-valoir, je le fais savoir, forme avec la chère Sheila un aimable couple de cinéma, même si plus chaste et davantage dialectique que celui de Burt Cord & Ruth Gordon selon Harold et Maude (Hal Hashby, 1971). Commis par un réalisateur méconnu, du cru, admirateur du Michael Powell précité, peu productif, Edie, devenu ici l’explicite Edith, en chemin vers son rêve, ne mérite ni l’anathème ni le zénith, puisque sympathique, accompagné par les caméos pas idiots d’Amy Mason & Wendy Morgan, doublé de fifilles indociles.


Commencé, en contre-plongée, par une descente, de fauteuil sur rail domestique, du mari momie, réponse inconsciente à celle, sarcastique, slapstick, de Gremlins (Joe Dante, 1984), le titre s’achève sur l’ascension de l’aventurière cadrée en hélicoptère, arrivée au sommet, délivrée de ses regrets, l’amertume troquée contre l’amitié. L’ultime image boucle la boucle avec le visage, valide la victoire sur le mouroir, le trop tard, les épousailles aux allures de funérailles, la sujétion des générations, le soupçon de l’instrumentalisation. Après avoir (dé)passé une nuit ventée, agitée, bien abritée dans une cabane providentielle, peut-être irréelle, bien traitée par un mec costaud, taciturne, voire onirique, Edie sourit, au bout d’une vaine vie, son envie assouvie. Auparavant elle dérivait, endormie, en barque, en écho aux émouvants minots de La Nuit du chasseur (Charles Laughton, 1955), elle tombait en tandem, elle écrivait/ruminait pour elle-même. Un item à réserver aux anglophiles, aux gérontophiles ? Un voyage immobile plaisant, apaisant, inconsistant, aux accents éloquents, linguistiques à défaut d’être musicaux, la faute à la partition poussive de l’estimable Debbie Wiseman, assorti d’une petite leçon existentielle, à fleur de peau estampillée vieille, expression française préférable au trivial « old bag », emballée en widescreen maîtrisé, drones ad hoc, démonstration de cinéma definitely traditionnel et in fine consensuel.


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