Star Trek : Sans limites : Le Fou de guerre
Blockbuster abrutissant ? Quinquagénaire à contre-courant.
Si vis pacem para
bellum
Le changement, c’est
maintenant.
François Hollande
Ma petite entreprise
Connaît pas la crise
Alain Bashung
Dans l’espace, personne ne vous
entend pleurer votre père parti, perte partagée par Kirk, Spock et Jaylah, à
part le docteur McCoy, confident du capitaine et du Vulcain, à l’exception de
Scotty, mécanicien à l’écoute de l’amazone albinos. Film endeuillé, dédié à
Leonard Nimoy & Anton Yelchin, film énergique, réalisé par le Justin Lin de
Fast
and Furious, quatre titres au compteur, film mal reçu par la critique
et le public, Star Trek : Sans limites (2016) mérite sa réévaluation, sa
restitution au sein du contexte américain, européen. On le sait, Gene
Roddenberry conçut sa progressiste série des sixties en allégorie sociale épisodique de l’Amérique, l’USS
Enterprise transparente transposition altruiste de la tumultueuse entreprise
USA. Le co-scénariste et « ingénieur » Simon Pegg, Britannique
fanatique notoire de son travail, signataire-acteur de Shaun of the Dead
(Wright, 2004), familier de la franchise
Mission
impossible, quatre participations jusqu’ici, revient à l’essentiel, à
l’ADN identitaire, écrit un « retour du refoulé » qui ne manque pas
d’attrait. Accoudé au comptoir d’un bar à la Shining (Kubrick, 1980),
Kirk s’interroge, se sent lessivé, « égaré », anniversaire mortifère
à l’horizon, spectre paternel, presque shakespearien, en embuscade. Il pense à
démissionner, prendre sa retraite anticipée, accepter une promotion de
sédentarisation, s’en explique à sa supérieure, le commode, magnanime, Commodore
Paris, intimité maternelle, sinon maternante, du matriarcat. La station
stellaire Yorktown ressemble au Paradis selon les Témoins de Jéhovah ou les
publicitaires de Benetton, royaume de la mixité pacifiée, des amours dites interraciales,
Uhura & Spock opinent, même en bisbille, de l’homosexualité/parentalité
normalisée, dommage que les retrouvailles de Sulu, sa fillette et son conjoint,
caméo muet de Doug Jung, la seconde plume de l’opus, contrarièrent George Takei, l’interprète du personnage à la
TV, cependant militant LGBT, retournèrent moult Trekkies, apparemment moins
tolérants que leurs héros du cosmos, cosmopolites, à l’image de l’ouvrage au
tournage et financement internationaux.
Tout irait pour le mieux dans « le
meilleur des mondes possibles » délocalisé, aseptisé, pasteurisé, un brin
œdipien, si Kirk, Candide dépressif, ne recevait la visite mélodramatique d’une
extra-terrestre en détresse, en
vérité d’une traîtresse utilisant les tendances sentimentales de James, de son
espèce. Piqué par la solidarité, la curiosité, le voilà fissa piqué par un
essaim « d’abeilles » cruelles, de psychopathes télépathes, conduit
par l’impitoyable Krall, qui ne provient pourtant pas de la planète Krull. Le
terroriste à tête de reptile, à mémoire d’éléphant, de ressentiment, pratique à
son tour l’égorgement soi-disant musulman, en l’occurrence celui du vaisseau,
sa soucoupe aussitôt séparée du socle, échouée au cœur d’une forêt à la Cameron
(Avatar,
2009), l’aristocratique Zoë Saladana dut voir double. Surgit la nostalgie,
puisque les survivants (re)découvrent le centenaire USS Franklin, une moto à la
Steve McQueen (La Grande Évasion, Sturges, 1963), rencontrent une vraie-fausse
indigène aussi livide que l’androïde de Blade Runner (Ridley Scott,
1982), bricolent et bientôt ripostent au son du rap « dérangeant » de Public Enemy et des Beastie Boys,
bigre. De l’USS au STO, il suffit d’un plan, d’un camp, les prisonniers de
partout en réserve de vampirisme relou, car Krall se révèle être Balthazar
Edison, appréciez le prénom biblique, le patronyme technique, gloire guerrière
de jadis, porté disparu à la Chuck Norris, que l’isolement indifférent finit
par rendre très amer, en rime au misanthrope et mythique colonel Kurtz de
Conrad puis Coppola, on renvoie vers Au cœur des ténèbres + Apocalypse
Now (1979), militaire quasiment immortel, nourri à la force de vie des
batteries captives, pendues à l’envers, humaines ou non, dont le dessein
suprême consiste à décimer la Starfleet, à renverser l’ordre de la Fédération,
à démontrer à tous ces ramollis la force et la fécondité du conflit, opposées à
la faiblesse, à la stérilité de la diplomatie.
Entre deux séquences d’action(s)
solides, tant pis pour l’absence de style, à secouer le souvenir statique, de
mise en abyme méta, du volet liminaire de Robert Wise (1979), à suffoquer les
suites sympathiques, anecdotiques, dispensables, de Meyer, Nimoy, Shatner,
étendues sur une décennie, de 1982 à 1991, Star Trek : Sans limites résume
en aphorismes simples, au risque de la simplification, les enjeux précieux,
sérieux, astucieux, d’union, de division, de concertation, d’agression, de
démocratie, de tyrannie. Ce film ludique et politique, profondément pacifiste,
unanimiste, au manichéisme subtil, tamisé par l’exil, la sauvagerie relookée en
idéologie, ne pouvait plus mal tomber, en salles, pas des étoiles, qu’en cette
période pour le moins agitée au niveau géopolitique. La Frontière du western, de JFK, de « l’infini »
du générique, totem étasunien d’expansion civilisatrice ou colonialiste,
suivant la perspective, se voit désormais remplacée par les frontières,
aujourd’hui de « la forteresse Europe », de mur mexicain, hier de Berlin,
encore israélien-palestinien. Le message humaniste de Roddenberry & Pegg,
téléporté au cœur de la modernité, s’adressant à son cœur, ne trouva qu’un écho
mineur, aussi rassis que la VHF vintage
de la diégèse, autant démodé, voire redoutable, que le fameux artefact, signe d’ailleurs réversible, à
la fois offrande de paix refusée durant l’introduction par des gremlins marrants, minuscules, et arme
biologique in fine ventilée par un ventilateur en apesanteur, par ici la sortie,
soldat cinglé, géant noir à l’âme sombre, persona-destinée peu politiquement correcte, certes. Finalement, Jim reste à bord, rétif à se
passer du kif du vol, de l’exploration à foison, au grand dam du médecin
taquin, à la « délicatesse » pachydermique, tandis que le type aux
oreilles pointues ouvre la malle-autel de son paternel, assiste à une party en compagnie de sa moitié
réconciliée, que la « fillette » de Scotty récolte un passeport d’académie.
La dernière scène permet d’assister,
en accéléré, à la renaissance de la nef, l’équipage resoudé en route, loin du
doute, de la déroute, vers de nouvelles aventures hélas compromises pour les
principaux intéressés, participations prochaines et négociations salariales
remises en cause par les résultats décevants au box-office, nous voici à des années-lumière de l’œcuménisme
affiché, de la spiritualité assumée. On s’en aperçoit, porté par l’impliqué
Chris Pine (Wonder Woman, Jenkins, 2017), bien entouré
par son équipage, sa troupe, mentions spéciales à la souple et camouflée Sofia
Boutella (La Momie, Kurtzman, 2017), au méconnaissable Idris Elba,
Londonien au(x) talent(s) supérieur(s) à sa filmographie, Star Trek Beyond, salut à
Stuart Gordon, ne démérite pas, rime à sa spectaculaire mesure avec Le
Boucher (Chabrol, 1970), autre conte de moralité antimilitariste, à
l’éden provincial vandalisé. Ainsi les films dialoguent à distance, nous
renseignent sur notre temps présent, nous projettent à l’intérieur des psychés,
nous font galoper le long des galaxies, en définitive toujours tournés vers la
vie, « l’inconnu », le mouvement et le changement, amen.
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