ManHunt : Le Pharmacien de garde


 « Un mec qui parle de vieux films, ça annonce rien de bon »…


Même les plus chouettes souvenirs
Ça t’a une de ces gueules

Léo Ferré

Dear John,

Je viens de visionner/m’infliger votre ultime méfait, situé dans la lignée affligeante, affligée, de Chasse à l’homme, justement, Broken Arrow, Mission impossible 2 et Paycheck. Je découvre que vous vouliez rendre hommage au regretté Ken Takakura et ManHunt commence comme Yakuza, presque au même endroit, avec une situation, des costumes, une mélancolie, un massacre disons identiques. On s’étonne, séduit par cette nostalgie, sentiment certes stérile, on identifie votre fifille, assassine à cellulaire, on ricane au coup du DVD dans la voiture. Ensuite, exit le nocturne générique, on se lasse vite, on voit passer les inter-minables cent dix minutes, on se souhaiterait enfin atteint d’amnésie, afin d’oublier le passé piètrement et pitoyablement revisité, de ne rien retenir de ce misérable martyre. Scénario zéro, personnages ineptes, acteurs amateurs ou muselés, je pense à l’inexpressif Masaharu Fukuyama, croisé selon Tel père, tel fils, je mentionne l’estimable Jun Kunimura, sorti de The Strangers, qui nous ramène vous et moi vers À toute épreuve, répliques risibles, dénouement incompétent, assortis de colombes à la con, de motards en noir, de hors-bords à jeter par-dessus bord, de flingues tenus à deux mains, voire quatre, de ralentis pourris et d’arrêts sur image d’un autre âge : vous voici, Monsieur Woo, désormais septuagénaire, peut-être déjà sénile, a posteriori dorénavant radoteur. Coulé par l’insuccès de The Crossing, vous comptiez vos sous, vous escomptiez vous renflouer, vous refaire une santé, via ce retour aux sources délocalisé, au filigrane œcuménique, vive l’amitié sino-nipponne, Nankin, connais pas. Hélas, votre métrage boit la tasse, son inconsistance et son insipidité embarrassent, insupportent, ses chiffres de box-office dévissent, lui garantissent une diffusion sur Netflix, après un remontage de distributeur dérouté, en salles de Chine continentale.

Je rédigeai récemment les nécrologies de Raymond Chow & Ringo Lam, je frissonnai au funèbre Détective Dee : La Légende des Rois Célestes de Tsui Hark, je me foutai de l’hôpital létal du Three de Johnnie To, tandis que ManHunt retravaille à sa manière, au moyen d’une drogue pas drôle, militaire, l’argument médical de la mission citée supra, de son virus baptisé Chimera, traqué par le souple Tom Cruise, débute sa trame par un cadavre, de surcroît dédouble puis triple le deuil de la diégèse. Tout cela, cher John, empeste le sapin, la fin des fins, de votre cinéma, de celui de HK, qui tant m’apporta, m’importa. Croyez bien qu’il me coûte d’écrire pareille lettre, que vous ne lirez point, que je préférerais mille fois vous retrouver en pleine forme, vif, virtuose, lyrique, mélodramatique, au sens littéral du terme mésestimé. Hélas, bis, il faut se farcir la réchauffée Callas, du pyrotechnique rachitique, à prétentions opératiques, à dimension d’Œdipe asiatique. Quelque chose cloche avec vos clochards accueillants, recyclés en cobayes de laboratoire, et vos camés criminels carburent au ridicule. L’épilogue se déploie auprès d’un train ancien, immobile, de demande en mariage romantique, ou non, répond le flic à sa fanatique, symbolise le surplace d’un ouvrage n’allant nulle part, arrivant trop tard. Un « meilleur lendemain » ? Le Syndicat du crime s’intitule en VO A Better Tomorrow. Sauver la vie de sa cible, faire ami-ami avec son ennemi ? Depuis The Killer, on connaît par cœur. Dans L’Étau, ratage hitchcockien, Karin Dor s’effondrait en fleur fanée, en plongée ; ici, une robe de mariée immaculée s’empourpre d’une pietà sympa, instant express au bord du sublime. Sinon, on s’emmerde, on se désintéresse des silhouettes qui se démènent au sein d’une danse macabre lamentable. Même Tarô Iwashiro, le compositeur de Memories of Murder, des Trois Royaumes, s’emmêle les pinceaux musicaux, à l’exception d’une poignée de secondes de free jazz judicieusement déposées sur une cascade motorisée, à proximité des volatiles supra.


Terminons fissa la missive sincère, fictive, évitons de ressasser la déception, de vouer à l’excommunication, pardonnons au cinéaste chrétien, donc connaisseur de culpabilité, de rédemption, en vertu de titres majeurs, de bruit et de fureur, de tendresse et de tristesse, nommés Princesse Chang Ping, La Dernière Chevalerie, Le Syndicat du crime, Une balle dans la tête, À toute épreuve, Volte-face, Windtalkers : Les Messagers du vent ou Les Trois Royaumes, accessit décerné au diptyque Les Larmes d’un héros + Les Associés, je ne me souviens plus, à peine, mauvais signe, des Repentis et de Blackjack, dirigés à la TV. Quand le style ne s’appuie sur un propos, l’accompagne, l’exprime, le transcende, il se réduit à une coquille vide, à d’incessants travellings riquiqui, censés conférer du mouvement à la moindre ligne, geste, visage, par conséquent animer le film cacochyme, à défaut de ranimer l’Eurydice osseuse occise par le fils senestre, sinistre, héritier transparent, aussi gaucher que votre serviteur, voui. Avec le temps, cf. Ferré, on se ficherait de son pedigree de cinéphile, on dresserait un autodafé, on pisserait sur la pellicule, on vomirait la VHS ? Je ne le pense pas, pas toujours, en tout cas, et certains de vos items, Mister John Woo, méritent qu’on les aime, auparavant, maintenant, pendant longtemps. Moralité de maternelle, de dessillement, de collusion à la truelle, ManHunt, évidemment, démontre le contraire, les limites de votre savoir-faire, sa médiocrité désincarnée, en autarcie régressive, inconsciente des enjeux sérieux, anecdotiques, ludiques, économiques, esthétiques, poétiques et politiques du ciné contemporain, des sociétés qu’il reflète et projette, de préférence dans le futur ou alors droit dans le mur. En bon athée, permettez-moi de prier pour que votre fameuse filmographie ne s’achève sur une telle pitrerie, en rime au pénible Passion du précieux Brian De Palma, boucle bouclée d’équipe décimée, de Ethan (man)Hunt hilare.

PS : le vain avocat se viande au restaurant marin La Mélodie, sans doute clin d’œil à Jacques Demy, à ses prisés parapluies – la prochaine fois, valeureux Woo, soigne ta carte, soigne ta droite, salut à Jean-Luc, enchante-nous au lieu de nous faire déchanter, ou tais-toi définitivement, laisse-nous, orphelin(s) esseulé(s), nous remémorer tes sommets, les chérir à l’abri du pire, de ton présent désolant, de ta chasse à l’homme à la gomme, digne de la chasse d’eau. Se tirer une balle dans la tête ? Conserver sa foi dans le cinéma !


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