L’Exorcisme de Hannah Grace : Le Bunker de la dernière rafale


Baballe ou Blondi ? 


À la mémoire de Bruno Ganz

I’m gonna I’m gonna lose my baby
So I always keep a bottle near
He said I just think you’re depressed
This me yeah baby and the rest

Amy Winehouse

Le film commence fort, par un infanticide, une séance-séquence d’exorcisme en forme de crève-cœur, où Kirby Johnson, danseuse, gymnaste, se contorsionne en écho à la souple Jennifer Carpenter dans L’Exorcisme d’Emily Rose (Scott Derrickson, 2005), où elle décède, presque, étouffée sous un oreiller citant Esaïe tenu par son papounet, méthode définitive jadis pratiquée par Jean-Hugues Anglade sur Béatrice Dalle (37°2 le matin, Jean-Jacques Beineix, 1986) puis Jean-Louis Trintignant sur Emmanuelle Riva (Amour, Michael Haneke, 2012). Trois hommes âgés debout, une jeune femme allongée, sanglée, le décor de chambre à coucher en clair-obscur pourrait se prêter à un gang bang incestueux, mon Dieu, mais l’on assiste plutôt à une cérémonie secrète, suspecte, sinon abjecte, à un meurtre amoureux, relecture du sacrifice d’Abraham perpétré sur une résidente de Canaan, CQFD. L’œil du Malin, amitiés à Claude Chabrol, brille d’un azur aussi sinistre que Le Bleu du ciel de Bataille, roman médiumnique aux motifs en rime, terminé Le jour des morts, intitulé de l’ultime chapitre, illustrant au sein d’un cimetière de chair les noces atroces d’Éros & Thanatos, en accord de coda avec un concert des jeunesses de Hitler. L’Exorcisme de Hannah Grace (Diederik van Rooijen, 2018) possède ainsi un filigrane à base d’imagerie nazie : prénom en doublon, à la signification renforcée, symbolique, puisque « grâce » en hébreu, démoniaque à la blondeur-pâleur aryenne, hosto bostonien aux allures de bunker brutaliste relooké par le style kolossal du quasi collabo Le Corbusier, incinérateur de malheur au ronflement menaçant. Saluons aussitôt le travail évocateur de la production designer Paula Loos escortée du DP Lennert Hillege, modeste maître de ténèbres en conflit permanent avec la lumière des infidèles détecteurs de mouvement.



Film d’atmosphère dépressif, doublement féminin, peuplé de mâles impuissants, expédiés ad patres, ponctué de surcadrages cellulaires composés en widescreen géométrique, L’Exorcisme de Hannah Grace se préoccupe par conséquent de grâce, l’accorde in extremis à son héroïne en rehab, désormais guerrière au miroir, survivante martiale, dommage pour la mouche maousse, dont un essaim halluciné, dissimulé sous un suaire, l’effrayait hier, dont on sait, au ciné, au moins depuis Amityville : La Maison du diable (Stuart Rosenberg, 1979), qu’elle matérialise Sa Majesté des mouches, salut à William Golding & Peter Brook. Une renaissance au milieu d’une morgue, admirons la cohérence du contrepoint, réjouissons-nous de la victoire de Megan sur ses démons à domicile, davantage invisibles, mémoriels, bavure mortelle d’une armée statue de sel. L’ex-femme flic alcoolique, drivée par la transparente/lévitante Stana Katic de Castle, de surcroît accro aux médocs, séparée de son petit ami en uniforme idem, se refait donc une santé à force de côtoyer des macchabées, surmonte son traumatisme, ramène son amour, amen. Filmé en numérique, au moyen d’un modèle de caméra modique, Sony fournit, Sony distribue, dans le Massachusetts, remember ses vraies-fausses sorcières de Salem, please, le métrage remémore bien sûr les arguments immobiles, inanimés, ranimés, du récent The Jane Doe Identity (André Øvredal, 2016) ou du plus ancien Le Veilleur de nuit (Ole Bornedal, 1994), ici descendu par mes soins taquins. Précisons qu’il possède une dimension méta de bon aloi, le cadavre prédécoupé, cramé, incapable d’être photographié, scanné, la preuve indéniable de sa résurrection-guérison apportée comme une évidence, sens US, judiciaire, du terme, par les caméras de surveillance. Certes, le mélodrame dédoublé cède fissa la place au survival prévisible, mécanique, anémié, en huis clos, au carré, l’investie Shay Mitchell se retrouvant à son tour enfermée dans un tiroir mortuaire, à l’instar de l’Adrien Brody de The Jacket (John Maybury, 2005).


« I believe that when you die, you die – end of the story » croyait l’inconsciente guère croyante, et cette possession d’occasion, nominative, rédemptrice, cf. le titre original, va l’obliger à revisiter ses certitudes. Divertissement de samedi soir indulgent, L’Exorcisme de Hannah Grace pouvait promettre, s’enlise dans son classicisme, son manichéisme, sa stérile absence d’ambiguïté, ses couloirs de traquenard anatomique, voire de parturiente, spécialité nippone, se résume à une morale très américaine, de dépassement du traumatisme, de girl power inoffensif, poussif. Malgré, je le disais, l’investissement de Miss Mitchell, qui présente en VO la bande-annonce en VF (!), cette fois-ci souriante, ses cheveux détachés, en décolleté immaculé, on s’emmerde gentiment, en dépit de la relativement brève durée de l’ouvrage vacciné contre les outrages, friedkiniens ou hitlériens, pas contre ceux du temps, qui le démodent déjà. Un second film demeure néanmoins à l’intérieur, en parallèle au létal visiteur de l’adolescente sujette à la dépression, soumise à l’emprise d’un anonyme démon, axé sur le reflet entre femmes, sur le vampirisme de l’innocente, de son innocence, sur le deuil impossible d’un père et d’une co-équipière. Hélas, le tumulte adulte reste latent, le méconnu-compétent Diederik van Rooijen se contentant d’adresser un clin d’œil à son compatriote Dick Maas via un drolatique ascenseur parlant, pas autant sanglant que celui de De Lift (1983). Concluons par une recommandation, un renvoi du lecteur, de la lectrice, vers le recueil Destination morgue de James Ellroy, destination finale indiquée, en effet, l’adorable Hannah lacérée, sans merci, en molle réminiscence de la raccourcie et bien nommée Elizabeth Short, boucle bouclée des innombrables violences avérées infligées aux femmes, à chaque instant, sur tous les continents, succubes supposés, de préférence dépourvus de piètres procès en prédation, par des mecs minables, des consœurs écœurantes, par elles-mêmes alors entichées de masochisme, brûlées par le burn out.

À défaut d’enflammer au bûcher référencé son histoire, ses personnages, son spectateur, L’Exorcisme de Hannah Grace ne mérite ni sacralisation ni excommunication, méritait mieux que son rythme cacochyme, son absence d’enjeux, sa moralité de méthode Coué. La Mort, sa vie, son œuvre, rappelle Clive Barker, devait résider ailleurs, comprendre au cœur de l’utérus-tombeau, de la matrice-mausolée, origine et terminus du monde magnifique, immonde, où s’enfouir et s’ensevelir, loin du souvenir et du pire…


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