L’Internat : Un élève doué
Les sévices corporels et mémoriels d’une école qui affole…
Et pour un empire je ne veux me
dévêtir
Puisque sans contrefaçon je suis un
garçon
Mylène Farmer
Vous êtes juif ? Salomon est
juif ! Écoutez, ça fait rien, je vous garde quand même…
Louis de Funès
Kesaco, Boaz Yakin ? Le
scénariste presque mercenaire, alimentaire, de Punisher (Goldblatt,
1989), La Relève (Eastwood, 1990), Prince of Persia : Les
Sables du temps (Newell, 2010), Insaisissables (Leterrier,
2013) ; le producteur disons spécialisé de 2001 Maniacs (Sullivan, 2005),
des deux Hostel (Roth, 2006-2007) ; surtout le réalisateur de Boarding School (2018), aka L’Internat,
en nos contrées de DTV. Sans sortie en salles hexagonales, sans couverture
critique sinon timide, loin du dithyrambique, ce métrage d’apprentissage mérite
urgemment sa redécouverte, s’avère une réussite envoûtante, une comédie noire
sur la différence, l’infanticide, l’identité, le pedigree, à base de Bible et de Shoah, oui-da ! En plus de Apt
Pupil (Singer, 1998), auquel cet article emprunte son sous-titre de
titre traduit, Boarding School fait bien sûr penser à La Nuit du chasseur
(Laughton, 1955), à Suspiria (Argento, 1977), à La Mauvaise Éducation, Almodóvar,
2004), mais cette sacro-sainte trinité, guère exclusive, exhaustive, ne saurait
l’empêcher de posséder sa propre personnalité, vous allez le voir, de surcroît de
citer le Black Sabbath du caro Mario Bava, intitulé US des Trois
Visages de la peur (1963), que l’esseulé regarde en douce à la TV, de
s’autoriser des travellings en steadicam à la Shining (Kubrick, 1980),
pensionnat embrasé substitué à hôtel enneigé. Sis au creux des années 90,
d’abord à New York, écarlate, nocturne, ensuite au sein d’une forêt de conte
défait, le conte de fées nous conte l’histoire à la fois singulière et
familière de Jacob, Petit Poucet sur le seuil de la puberté, dont le beau-père
friqué voudrait bien se débarrasser, cela change de l’habituelle belle-mère aux
vrais airs de marâtre, clin d’œil de réplique à table.
Aux USA, on ne sème plus ses gosses
parmi les arbres, on les remet aux bons soins malsains d’un ogre dégarni, à
l’antisémitisme assumé, à peine dissimulé, curieuse résonance d’actualité
franco-française, au pays schizophrène de Louis-Ferdinand Céline & Léon Blum,
de la rafle du Vel’ d’Hiv’ et des Aventures de Rabbi Jacob (Oury,
1973), d’un associé des Rothschild devenu président, ne me demandez pas
comment, et du pauvre Alain Finkielkraut, présent contre son gré, péché de
curiosité, par des manifestants fluo insulté, par la police dépassée protégé,
bienvenue dans la réalité, dans l’humanité, persifle Snake Plissken, tout sauf
antisioniste, quoique (Los Angeles 2013, Carpenter, 1996).
Yakin ne cache pas sa judéité, ne la sponsorise point, plus malin, plus inspiré,
en fait le filigrane d’une fable féroce, où la survie revient à salir ses mains
juvéniles, à renverser le bourreau, souvent filmé en contre-plongée, à sa
manière, violente et rancunière. En fait de professeur-prêcheur, il s’agissait
d’un professionnel de l’exécution insoupçonnable, médicale, d’un adepte de la
solution en effet finale, administrée à petites doses sur les pousses de « tes
semblables », mon petit circoncis dans ta panoplie d’inhumée mamie,
nonobstant bouffeur de bacon, bigre,
quand Maman en cuisine, la cuisinière assure du surplus. Jacob accomplit ainsi
une victoire à la Pyrrhus, résilient souillé de sang, celui du père par
procuration, version hardcore de
l’Œdipe à décimer, du papounet à trucider, merci, Sigmund, le sien issu de sa
bouche, sur sa couche, dorénavant au sec, l’exercice servit aussi à ne plus
faire pipi au lit. L’ultime plan du film, en regard caméra, boucle la boucle
avec le commencement miroité, met en scène ce maquillage naturel, fi de rimmel,
renvoie vers la grand-mère souvenue, rêvée, vampire kacher aux dents pointues
plantées dans le cou du kaiser tortionnaire.
Le garçon (nous) sourit, on sourit
avec lui, on frémit cependant à la perte de son innocence, à sa reprise du
sillage familial, historique, comme si l’émancipation se devait de passer par
la malédiction, comme si la tranquillité de Phil, prénom androgyne d’un
personnage défiguré, blanchi par un incendie, sa face en reflet du Ratboy
transgenre (1986) de la regrettée Sondra Locke, devait désormais passer par des
menaces adressées au paternel, chuchotées à son oreille. Auparavant, le nouvel
élève vite repéré, voire promu, hissé à la complicité, par le pervers en chef, au
patronyme/pseudonyme de char, à la suavité de façade, flanqué d’un simulacre
d’épouse, assistante réfrigérante, au propre, au figuré, osez ouvrir le réfrigérateur
à cadavres, rencontre ses condisciples, à savoir un autiste glouton, un
épileptique pas con, bien qu’injurieux, mon Dieu, des jumeaux à la drôle de
couleur de peau et, last but not least,
une sociopathe manipulatrice de consciences et de ciseaux, Parque portée sur le
sado-maso, de préférence après tango, ouf. Dans L’Internat, on fume son
frère, on suicide sa mère, on invite à se pendre le masturbateur compulsif, tu
vas jouir à fond, oh oui, chéri, on décède entre les draps, on se fait trancher
la gorge par le machiavélique directeur dépourvu de cœur, le visage de la
victime incrédule aussitôt imbibé de son hémoglobine à travers un haut
immaculé, remonté illico, acmé d’une
intense séquence de démence espionnée par le protagoniste en scène classée primitive,
à l’insu du plein gré de l’assassin en série, avatar en costard du joueur de
flûte de Hamelin, laissez venir à moi vos gamins les parias. Dans Boarding
School, les mères amères succombent, les mamans inconscientes enlacent,
les mioches se mettent moches, Sherman enrôlé par son misérable métier au même
âge que sa proie, voilà.
Nu comme un vermisseau dans le fruit
pourri de la paternité truquée, comme le Terminator de Jim Cameron, autre
parabole laïque autour des descendants déjà confrontés aux crimes de leurs
ascendants, à tous les temps, Jacob descend de son échelle référentielle, en
écho à l’escalier céleste-terrestre de Une question de vie ou de mort
(Powell & Pressburger, 1946), vainqueur du mauvais ange, du Lucifer austère
déguisé en médecin, probablement tendance Mengele. Devenu un homme, un vrai,
vraiment ?, baptisé par l’écoulement du liquide vital, le voici destiné au
futur d’un adulte rempli de tumulte, du 20th Century Boy décrit en chanson
par T. Rex sur le générique de fin, d’Un héros de notre temps, rajoute
l’ironique Lermontov. Secondé par un casting
impeccable, mentions spéciales à Tammy Blanchard, à Sterling Jerins, issue des Conjuring
(Wan, 2013-2016), à Will Patton, récemment croisé selon Halloween (Green, 2018)
et Luke Prael, gueule angélique et satanique à la Gaspard Ulliel, cannibale à
cause des nazis de Hannibal Lecter : Les Origines du mal, Webber, 2007, cercle
vicieux, vicié, d’enfance faisandée ; épaulé par les doués production designer Mary Lena Colston et directeur de la photographie Mike Simpson, lui-même artiste polyvalent, visitez son site, please, l’attentif et précis Boaz Yakin signe un huis clos Art
nouveau façon Inferno (Argento, 1980), plus ouvert que Le Locataire (1976), ah,
Polanski parano, persécuté, travesti zarbi, mimi, un portrait à plusieurs, on
dira diffracté, fracassé dans les flammes purificatrices puis la glaciation de
la damnation. Un film faisant allusion à Frank Miller, auteur radical, révisionniste,
polémique, censuré, d’un Batman à svastikas, au grand dam de son créateur Bob
Kane, Kahn pour l’administration, pour l’incompréhension, s’attire a priori
notre sympathie, notre reconnaissance quasiment idem, d’adolescence abreuvée de BD étasunienne.
Toutefois, il vaut davantage que ceci,
pour la lucidité de son regard sur une enfance en souffrance, sur un microcosme
de ciel étoilé, d’excréments à nettoyer, dépeint avec une empathie sans merci,
sans mièvrerie. Juste un film, à l’emballage de bande-annonce horrifique ?
Un film juste, personnel, prometteur, à la profondeur psychologique, politique
et poétique délicieusement et modestement effrayante, donc captivante.
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