Jack Reacher : Grosse Fatigue


Suite à sa diffusion par France 2, retour sur le titre de Christopher McQuarrie.


Ses détracteurs sa gargarisent avec sa vie privée – appeler Nicole Kidman « Nic » ? En divorcer pour épouser la gamine de Dawson ? – et ressortent sans se lasser son appartenance à la Scientologie – une abomination au pays de la bonne conscience laïque – mais Tom Cruise, que cela (vous) plaise ou non, demeure « l’un des meilleurs acteurs de sa génération », selon la formule consacrée, son actif comprenant une impressionnante filmographie et des rencontres (cordiales ou plus tendues) avec des cinéastes de la trempe d’un Francis Ford Coppola, Martin Scorsese, Oliver Stone, Brian De Palma, Stanley Kubrick, Paul Thomas Anderson, John Woo ou Steven Spielberg, sans négliger, à un moindre niveau, des Curtis Hanson, Ridley Scott, Sydney Pollack, Neil Jordan, Edward Zwick, James Mangold (accessit pour Barry Levinson, Rob Reiner et Bryan Singer). Prosélyte, le (grand) petit Tommy, et d’une faramineuse, prospère escroquerie, pour laquelle il se complaît à jouer les notoires  et renommés VRP ? Certes, mais qui ne « fait pas le trottoir » dans cet univers, pour un film, un producteur, une carrière ou un ego ? Un homme avec sa part d’ombre, le héros incassable de la franchise Mission impossible ? Bien sûr, et la nôtre (et la vôtre ?) se porte très bien aussi, merci pour elle. Délaissons, pour une fois, ma foi, le caniveau des pharisiens pour regarder le comédien tel qu’en lui-même le cinéma le change, et ce rôle-ci en particulier. 



Jack Reacher fait illusion le temps d’un prologue emprunté à L’Inspecteur Harry (et à Volte-face) ; on se croit embarqué dans une étude de mœurs sur la violence américaine, le passé (guerrier) qui ne passe pas, voire le pardon impossible (scène avec le père – armé, of course – d’une des « innocentes » victimes, réunies en panel adultère et sociologique à la Benetton). Hélas, le « réalisateur », par ailleurs scénariste pour Singer (le roublard et surfait Usual Suspects, l’anodin et faussement adulte X-Men, l’intéressant mais raté Walkyrie) et auteur de l’actuel Mission impossible : Rogue Nation (quel titre hideux…) démissionne bien vite, enfilant les champs-contrechamps à base de dialogues navrants sur une trame complotiste et financière digne de l’école maternelle (des dramaturges, hollywoodiens de préférence). Mal filmé (malgré la photographie soignée du grand Caleb Deschanel, récemment responsable de la nuit électrique et satirique de Killer Joe), mal écrit, mal joué (pompon à Rosamund Pike, avec son unique expression d’ahurissement, sa blondeur factice et son décolleté volumineux), le film se traîne à un rythme cacochyme (même lors d’une poursuite automobile !), avec, cerises sur l’insipide gâteau, les caméos sinistre ou hilare de Werner Herzog en Marilyn Manson cannibale et sibérien, de Robert Duvall en tenancier de stand de tir visant à l’oreille. Faut-il prendre tout ceci au sérieux ? Les séquences de baston et de fusillade, involontairement drôles (« géants » matés via des coups de pied à l’entrejambes, nervis assommés tête contre tête, bruitage des balles façon Les Tontons flingueurs) répondent par la négative.


Cruise traverse ce naufrage intégral, masochiste, qu’il produit, avec une indifférence consciencieuse, une fatigue (existentielle, créative) visible et doublée par celle du protagoniste, improbable vétéran volontiers rendu/revenu à l’anonymat, obligé de reprendre du service pour démonter la mise en scène du meurtre de masse inaugural. L’épilogue, relisant celui de l’opus méta signé De Palma, le voit dans un car, contraint une fois encore, une fois de trop, d’intervenir pour sauver le monde, la veuve et l’orphelin, en sus d’une femme aux prises avec son mari injurieux. Sisyphe du box-office, le comédien ne laisse entrevoir son éclat que durant un échange muet avec un flic félon, retenant ses larmes devant une jeune fille assassinée en douceur, la main sur le levier de vitesse phallique (Ballard en invente un usage pervers dans Crash) de sa rouge Camaro. Depuis dix ans et La Guerre des mondes, la star accumule d’ineptes blockbusters plus ou moins efficaces (à l’échelle des recettes), en dépit de Night and Day, (assez) jolie surprise sur les pouvoirs de la fiction, où Cameron Diaz se prenait pour Emma Bovary. Cher Tom, le temps presse et il nous tarde de vous revoir dans un rôle à votre mesure, dirigé par un vrai cinéaste – possédez-vous le numéro de Clint Eastwood, disons, qui pratiqua lui-même, naguère, une bien davantage salutaire auto-parodie ?  

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