The Theatre Bizarre : La Valse des pantins


Que vient chercher cette jeune femme dans ce théâtre écarlate où se donne un spectacle de marionnettes ? Ce que les spectateurs de films d’horreur réclament, sans doute : du sang, de la violence, des frissons. Victime d’un charme ou de son propre désir, elle subit six histoires contées par un étrange Amphitryon – au fil des récits inspirés par la tradition du Grand-Guignol, elle y perd son âme, devenant une marionnette parmi d’autres.

Ne gardez que L’Accident, vraie perle qui pose les seules questions qui vaillent, défense et illustration d’un genre dont la noblesse saisit la beauté cruelle de chaque vie.
  

De ce film ni théâtral ni bizarre, on retiendra peu et beaucoup à la fois. D’abord parce qu’il s’inscrit dans la longue lignée de l’anthologie, illustrée par le cinéma sudiste – France et Italie – des  années 60, celui des Grands Anciens dissidents du néo-réalisme, les Fellini, Visconti, Antonioni et Risi cités par l’inoxydable Udo Kier dans son commentaire. Cette forme se distingue notoirement par ses baisses de régime, ses accidents de terrain, dus aux styles et aux personnalités disparates. Inégal, dit-on poliment. Cet opus, exécuté avec enthousiasme par des presque bénévoles, tous connaisseurs enamourés du genre, ne déroge pas à la règle, qui commence comme un sous Bloody Bird, se poursuit comme un sous Fulci, puis un sous Żuławski (celui de Possession), puis un sous Argento version Deux yeux maléfiques, pour se terminer dans le kitsch cannibale d’un John Waters gore variant sur la Cène… Sans regard et donc sans réalisation, le film enfile ses sketches comme d’autres les perles, avec des acteurs sans direction et des histoires sans originalité. Au terme du voyage, comme la fille qui lie les segments, on craint fort que le spectateur devenu pantin ne s’endorme devant tant de platitude inoffensive, péché majeur pour tout film, et plus encore pour un film d’horreur...


Ensuite parce qu’il rallonge la déjà trop longue liste de ces œuvres autarciques qui ne se justifient que par la citation, la référence, l’allusion et autres renvois. Si l’on peut partager l’avis de Barthes définissant l’écriture comme « un tissu de citations », il faut répéter une fois encore que filmer ne se réduit en aucune façon à ce jeu méta. Le film exhibe jusque dans son décor et ses cadres l’échec de cet autisme. Nous voici dans un théâtre, lieu clos, lieu psychique, cernés par des visages issus de téléfilms, conviés à un spectacle réservé aux happy few du genre. Jamais le film ne respire, jamais il ne prend le temps d’installer un imaginaire singulier, sui generis, tant il s’ingénie à citer, à compiler, à varier sur l’original. Tous ces illustres inconnus le resteront sans doute après une telle démonstration d’anémie. Tom Savini lui-même, star du maquillage urbain des fables de Romero et Lustig, ne s’en sort pas mieux, illustrant la tradition du Grand-Guignol qui sous-tend l’ensemble au gré d’une hilarante paire de ciseaux vaginal et d’un écartèlement certes graphique, mais qui fait bien piètre figure en regard de celui du magistral Lon Chaney dans L’Inconnu de Tod Browning…


Quand donc se libérera-t-on de ce cinéma karaoké, où les amateurs copient mal les grands maîtres, où le recyclage tient lieu d’énergie créatrice, où les anciennes gloires du genre errent tels les spectres de L’Année dernière à Marienbad, à toujours refaire les mêmes gestes et déclamer les mêmes répliques, pour le plaisir infantile de fans vieillis avec elles ? Quand ce cinéma abandonnera enfin cette sentimentalité nostalgique pour parler au présent de choses dérangeantes, contemporaines, radicales ? Étrangement, la réponse se trouve aussi dans ce film, avec l’épisode intitulé L’Accident.


Mais avant de s’étendre sur la seule raison de visionner ce recueil, un mot sur le premier court, qui tire sa valeur involontaire de l’allégorie qu’il propose à qui sait voir. On passera vite sur le caractère revendiqué de tribut à l’univers de Lovecraft pour s’attacher à un plan de quelques secondes, et à une scène de baise qui évoque en moins bien sa sœur du Conan le barbare. Dans le plan, Catriona MacColl dort après un nuit agitée, encore emplie des rêves humides dans la maison de la sorcière, en quelque sorte. Prise dans la douce lumière de la caméra numérique, elle apparaît dans sa cinquantaine épanouie, celle d’une femme réalisant l’exploit de s’affirmer autant muse transalpine des années 80 qu’actrice de feuilleton télévisé phocéen… Dans la scène sexy, on retrouve le fantasme incarné de tout geek qui se respecte, une ancienne star de films pour adultes fan de films d’horreur – nous apprend l’un des producteurs –, la callipyge Lisa Crawford, dans la maturité balzacienne de ses trente-cinq ans, échevelée, huileuse, fatale forcément, comme nous l’indiquent ses yeux mauvais. Que lire dans ces deux moments consécutifs, sinon la mise en images d’un cinéma d’horreur autrefois glorieux et qui joue les belles endormies, attendant un baiser de son prince sanglant pour se réveiller, face à l’énergie de la pornographie pixélisée, qui contamine tous les genres et jusqu’à nos sexualités ? Qui vaincra de ces deux femmes, de ces deux formes ? Certainement pas la misogynie scolaire qui sert de chute (de reins).


Et venons-en maintenant au cœur du film, à son seul souffle. Ici vous ne subirez aucun déversement, aucune violence de farces et attrapes : un soir presque comme les autres, une mère essaie de répondre aux questions de sa fille. Mais ce rituel de l’histoire à raconter fait surgir des images mentales, dans la précision hallucinatoire des ultimes visions d’un suicidé, dans la pureté hivernale d’un regard d’enfant. Un accident de la route, qui implique un père et un fils, une mère et une fille, débouche sur un art poétique, au double sens du terme : méthodologie d’un genre autant que défense et illustration inspirées. Voilà du cinéma adulte, qui dit beaucoup en peu de temps, qui pose les questions essentielles, celles auxquelles on ne peut répondre (« Maman, pourquoi on meurt ? »), qui fait ressentir toute la violence du monde avec une grâce aérienne, et qui dans ce seul dispositif scénique met à nu et métaphorise la position du spectateur, la morale du regard et la légitimité d’un genre – rien que ça.


Avec ce tour de force, tout en délicatesse, tout en subtilité, le monteur Douglas Buck révèle un talent inattendu, et on lui laissera volontiers le dernier mot. Ce cinéma de la cruauté enseigne l’humanité, ces jeux interdits avec notre part maudite, avec l’absurdité d’un même destin, doivent nous rendre meilleurs, nous apprendre à vivre et à mourir, à aimer aussi, malgré la saleté de ce mot passé par trop de bouches. Grande leçon de mise en scène et d’éthique, qui lorgne du côté des stoïciens et de Camus (qui écrivit aussi sur toutes ces questions au travers du portrait de Caligula), trésor caché au milieu de la boue du tout-venant et du solipsisme, grandeur d’un genre riche en beautés et signes de tendresse, où le spectateur, à chaque nouvelle œuvre d’envergure, se confronte à ses démons, à sa peur métaphysique, à sa fin. Et non plus d’hommage, enfin, mais un soleil noir qui réchauffera longtemps.

Commentaires

  1. Tout simplement excellent, j'adore ce film et tu a fait une très bonne autopsie du film ;)

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    1. Merci bien, Sebastien, et à très vite pour évoquer Lucio Fulci avec les titres de ta chaîne !

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