Papillon : Vivre libre


Suite à sa diffusion par France 3, retour sur le titre de Franklin J. Schaffner.


Dernier volet d’une trilogie en P, après La Planète des singes et PattonPapillon, co-écrit par Dalton Trumbo, poursuit dans la veine biographique, étoffant une galerie d’individus exilés en « terre étrangère », dans l’espace ou le temps, chaque film retraçant leur parcours physique et intérieur ; le cas particulier de Mengele, dans Ces garçons qui venaient du Brésil, clôturera l’ensemble, codicille autant que double maléfique et inversé.

Le quatuor de Schaffner présente des protagonistes d’une grande virilité mais remplis de failles, de blessures intimes, mus par une obsession en commun, malgré toutes leurs différences, de nature et de destin : ils veulent tous s’évader d’un monde-prison, avant tout prisonniers d’eux-mêmes. Papillon reprend la ligne narrative claire et sombre de La Planète des singes pour la moduler : l’astronaute fuyait un territoire exotique et familier, qu’il ne reconnaissait qu’à l’ultime plan, iconique, ironique et tragique ; le  bagnard ne cesse de se faire la belle avant de regagner immanquablement sa geôle, victime d’un mauvais sort qui s’acharne (« Personne n’est innocent » dit Delga, en écho au supérieur de Bourvil dans Le Cercle rouge, qui affirmait, péremptoire et impitoyable : « Tous les hommes sont coupables »). Son errance rappelle aussi celle de Fernandel dans La Vache et le Prisonnier, comédie noire qui s’achevait par son retour à la case départ, dans un train pour l’Allemagne.

Maître américain de l’espace, avec Mann et avant Cimino – un talent d’ailleurs reconnu par William Goldman –, Schaffner filme admirablement le cadre de sa détention, fait alterner la beauté sauvage, édénique, du paysage, avec la cruauté, la trahison des hommes (ou des femmes, cf. la scène de la religieuse). Nul manichéisme dans l’opposition, et le réalisateur n’oublie pas les menaces de la faune (drolatique et dangereux épisode du crocodile !) ou du climat (le naufrage évité de justesse). Mais sa virtuosité se manifeste encore entre les quatre murs d’un cachot, puits de ténèbres où surnagent un visage levé vers le ciel, une main « cuisinant » un ragoût rationné, dans le clair-obscur remarquable de Fred Koenekamp. La cellule évoque le ventre de la baleine biblique et Papillon, nouveau Jonas plongé dans la déréliction d’une justice inique et révolue, s’avère également un Christ laïque dans son odyssée doloriste (des gardes crucifient ses pieds avec la crosse de leurs fusils). Revenu d’entre les morts (subtilité discrète du vieux compagnon d’infortune qui n’apparaît plus à la porte en acier), Papillon retrouve l’amitié indéfectible du faussaire – en argent, pas en sentiment – et ne songe qu’à reprendre son envol, Sisyphe tirant sa grandeur, son héroïsme véritable, de ce combat contre les hommes, le monde et lui-même.

Parce quil possède la puissance, l’évidence de la grande forme du classicisme hollywoodien, où le moindre plan porte, à la façon d’un coup visuel et sonore, où le plus simple figurant prend des dimensions héraldiques (le défilé des proscrits dans les rues du village), Schaffner ose et réussit de courts passages oniriques pointant la prison métaphysique du personnage, coupable existentialiste, kafkaïen, jugé puis condamné,  pour « le plus grand crime qu’un homme puisse commettre : gâcher sa vie » et multiplie les stations symboliques, politiques et utopiques, par exemple avec l’escale émouvante dans la communauté des lépreux contrebandiers.

Porté par un couple d’acteurs admirables – McQueen amuse, séduit, fait peur, avec ses cheveux blancs et son visage déjà dévoré de l’intérieur par le cancer, aussi intense que dans La Canonnière du Yang-Tse ; Hoffman, tout en finesse, brille autant que chez Peckinpah –, ponctué par la valse triste de Jerry Goldsmith, ami et collaborateur régulier (sa partition « économique », limitée à une quarantaine de minutes pour un métrage de deux heures vingt, demeure un modèle de musique appliquée, comme disent les Italiens), ce grand film lyrique, grandiose mais jamais spectaculaire, toujours précis, adulte, dans son évocation d’une vie et d’un contexte particuliers, s’achève sur une délivrance, sur un ballot de noix de cocos emportant au large, vers sa liberté, l’homme qui ne renonça pas, qui ne se coucha pas devant l’adversité, qui fend à présent, pour l’éternité du film, la mer immense, en écho aux prophètes ouvrant les flots de la mort.

Dernière ironie : Charrière, guère convaincu par les premiers jours de son alter ego, finit par l’adouber, mais ne vit pas son récit romanesque sur grand écran, décédé peu avant sa sortie. L’épilogue du générique de fin nous montre les ruines du bagne, envahi par la végétation indifférente, soulignant la victoire du primitivisme de La Planète des singes, la mélancolie liée à l’Histoire de Patton : les hommes luttent, aiment, souffrent et disparaissent, ne goûtent au paradis – étonnant intermède au Honduras, traité sans dialogue, pareil à un rêve sensuel et solaire – que brièvement, dans un bonheur éphémère. Au bout du voyage ne restent que l’absence humaine, les lieux hantés, la vaine gloire (de commander, de s’évader), la tristesse d’un regard souverain souvent récompensé par le succès commercial, voire critique. 

Pour toutes ces raisons, nous aimons beaucoup le cinéma de Franklin J. Schaffner, qui mérite bien qu’on le redécouvre ici et maintenant, loin du Hollywood contemporain et des célébrités absurdes de la TV, petit écran ne parvenant pas à étouffer le souffle intact de l’âme du réalisateur, de son théâtre de chambre épique, en miroir de celui dun Lean, mais n'appartenant qu’à lui, riche dautres belles promesses (Le Seigneur de la guerre ou Cœur de lion).      
                      

Commentaires

  1. Un classique immuable que ce "Papillon". Un grand film d'aventure, une belle histoire d'amitié, une ode à la liberté. On l'oublie souvent mais Schaffner était un grand cinéaste. Excellent texte, en tout cas !

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    Réponses
    1. Merci !
      Et un excellent directeur d'acteurs, qui offrit à Heston, McQueen, Scott et Peck des rôles marquants.
      L'épilogue de "La Planète des singes" et le prologue de "Patton" demeurent iconiques...

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